Publié le 15 Sep 2021 - 22:30
HAUSSE DES TAXES

Entre ‘’illégalité’’ et paradoxes

 

Pendant que le gouvernement communique, à grand renfort médiatique, sur la suspension de certaines taxes pour alléger le coût de la vie, d’autres mesures fiscales étaient en gestation et risquent d’impacter sévèrement les importateurs et, par ricochet, le consommateur.

 

Certains choix de l’Etat suscitent pas mal de controverses et de l’incompréhension chez certains spécialistes du droit et autres agents des régies financières. Pendant que le gouvernement était en train de communiquer, à grand renfort médiatique, sur certaines mesures prises pour alléger le coût de la vie aux Sénégalais, la douane, elle, travaillait à chercher des sous sur le dos des commerçants, importateurs et, par ricochet, des contribuables. Ce qui n’est ni juste ni légal, pensent beaucoup de spécialistes du secteur.

Inspecteur des douanes, Docteur en droit, Ndiaga Soumaré n’a pas hésité à prendre son courage à deux mains pour exprimer son désaccord. Dans un post intitulé ‘’Pourquoi je désavoue le prélèvement pour le programme de modernisation de l'Administration des douanes (Promad) et la taxe pour le Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec)’’, publié sur Facebook, il peste : ‘’Aux termes de la Constitution, article 67, la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature... Les taxes et prélèvements sont, dans une République, créés par la loi et non par décret. Le constat malheureux est qu'aujourd'hui, ce sont des décrets qui ont créé les taxes dénommées Promad et Cosec.’’

En effet, en ce qui concerne le Promad, objet d’une note de service de la douane en date du 23 août, il est prévu par le décret n°2021-928 du 8 juillet instituant un prélèvement pour la modernisation de l’Administration des douanes. Dans la même veine, l’arrêté n°027307/MFB/DGD a été élaboré pour fixer les taux, tarifs et assiette du Promad.

De l’avis de M. Soumaré, il revient aux contribuables visés par de telles mesures de se faire justice devant les organes judiciaires compétents, en l’espèce la Cour suprême, en sa Chambre administrative. ‘’Conformément à cette disposition constitutionnelle (l’article 67), je répondais aux collègues et transitaires qui m'ont interpellé à ce sujet que ces décrets sont illégaux et devraient être attaqués devant la Cour suprême’’. 

Et d’ajouter : ‘’On ne saurait être plus royaliste que le roi, en termes de recours pour excès de pouvoir… Je laisse donc aux contribuables le soin de juger de l'opportunité de porter le combat contre ces taxes arbitraires et dangereuses. En effet, le processus coloré d'imperium de création desdites taxes est aux antipodes des valeurs d'une République. Et si chaque Administration créait une taxe par décret pour sa soi-disant modernisation ?’’, finit-il par se demander.

Si l’inspecteur des douanes s’est exprimé sur sa page Facebook, d’autres ont également joint ‘’EnQuête’’ pour fustiger la dernière mesure du gouvernement relative au Promad. Il en est ainsi de ce fonctionnaire des régies financières qui dénonce : ‘’Il faut savoir que la douane a déjà des dotations budgétaires et un fonds d’équipement à milliards. Je me demande donc pourquoi cette taxe, qui plus est, n’est pas passée par l’Assemblée nationale. Il faut que la douane réponde aux questions suivantes : Comment vas se passer la gestion ? Qui pour contrôler la gestion ? L’Assemblée nationale est-elle impliquée dans son élaboration, conformément aux dispositions constitutionnelles ?’’

Pire, renchérit notre interlocuteur, la taxe va plutôt grever le chiffre d’affaires des entreprises et des commerçants, dans un contexte où l’Etat renonce à des taxes pour alléger le coût de la vie aux Sénégalais, dans un contexte où l’on parle de relance des activités économiques. ‘’Cela pose véritablement un problème de cohérence’’, insiste le fonctionnaire. Embouchant la même trompette, Ousmane Gaye, déclarant en douane, fustige, dans une contribution parvenue à ‘’EnQuête’’ : ‘’Le consommateur n'est pas usager des services de la douane. C'est plutôt son commissionnaire transitaire. Le fameux TSC (Travail supplémentaire commercial), taxé même 10 h, alors qu’il est censé être payé en dehors des heures de travail légalement prévues et le PID (Prestation informatique douanière) rémunérant l'usage du système informatique douanier constituent, en fait, des charges d'exploitation pour le transitaire.’’

Une augmentation de l’ordre de 17 à 20 % sur les produits concernés

Selon lui, en instituant le Promad pour se substituer à ces deux frais (et pourquoi pas l’escorte ?), c'est le transitaire qui est soulagé, mais en faisant du Promad un prélèvement ad valorem, ce sont les droits et taxes payés par l’importateur qui augmentent de 3 %.

‘’Par contre, fait-il remarquer, l’importateur pourrait ne pas ressentir ce prélèvement, lorsque les marchandises ne sont pas taxées ad valorem, mais plutôt forfaitairement ou au conteneur (c’est le cas des conteneurs de pneus, des conteneurs dit fourre-tout ou des conteneurs de carreaux). Dans ces cas, les droits liquidés sont répartis en tenant compte désormais du PCF et du Promad, ce qui induira pour l’Etat, par exemple, une perte de TVA’’.

L’expert ne s’en limite pas. Il fait une simulation pour démontrer l’incidence de cette nouvelle taxe. Il déclare : ‘’Faisons une simple simulation pour apprécier la portée de ce prélèvement. Pour une valeur déclarée de 10 000 000 F CFA d’un produit non soumis à l’escorte, le Promad prélève désormais 300 000 F CFA, alors qu’au titre du PID (9 500 F CFA) et du TSC (3 000+9 000 F CFA), le transitaire payait juste 21 500 F CFA. Par ailleurs, pour une même valeur en douane, les contributions du Sénégal pour le fonctionnement des institutions telles que l’UEMOA et la CEDEAO sont respectivement de 80 000 et de 50 000 F CFA, soit 0,8 % et 0,5 %’’.

De l’avis du spécialiste, tout ceci risque d’être répercuté sur le consommateur qui se verra ainsi dans la situation de payer des pots qu’il n’a pas cassés.

‘’En somme, dit-il, les prélèvements institués par la DGID et la DGD auront pour effet d’enfoncer encore le consommateur par le report de l'augmentation de 17 à 20 % environ des droits et taxes à l'importation’’. Aussi, signale-t-il, il convient de s’interroger sur la durée du Promad. ‘’De combien l’Administration douanière a besoin pour se moderniser ? Le Promad ne s’éternisera-t-il pas, à l’instar du prélèvement pour le Cosec à son niveau actuel ?’’, s’interroge le spécialiste.

L’Etat trait le secteur informel, mais c’est le consommateur qui trinque

Par ailleurs, le déclarant en douane a aussi invoqué le prélèvement de conformité fiscale, objet d’une note de service en date du 6 septembre, au cœur même des tractations pour la suspension de certaines taxes. Il s’interroge : ‘’Quelle est alors la pertinence de telles décisions (celles prises par l’Etat pour alléger le coût de la vie) ? Et comment ces décisions affecteront-elles le pouvoir d’achat des consommateurs ? Ce prélèvement, d’après M. Gaye qui cite la note de service, s’applique aux importations de marchandises effectuées par les personnes physiques ou morales qui ne sont pas en règle avec le service des impôts. Ces mêmes acteurs, constate-t-il pour s’en désoler, sont pourtant les cibles de l’acompte sur l’impôt assis sur les bénéfices industriels et commerciaux appelé communément BIC.

En analysant la liste des marchandises soumises au PCF, à l’annexe de la note de service, il parvient à la conclusion suivante : ‘’On peut, sans risque de se tromper, affirmer que le PCF, tout comme le BIC, s’applique aux acteurs du secteur dit informel.’’ Comme dans le cadre du BIC, note-t-il, les assujettis auront le même comportement et le même geste, c’est-à-dire répercuter le prélèvement sur le prix de vente de leurs marchandises.

‘’Le PCF, conclut le déclarant en douane, est doublement exorbitant de par son taux fixé à 12 % et de par son assiette composée de la valeur en douane majorée des droits de porte (droits de douane et redevance statistique). Aux allures d’une taxe intérieure, il induira à sa liquidation effective une hausse des droits et taxes de 14,52 % ou de 16,32 % selon la catégorie du produit importé’’.

MOR AMAR

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