Publié le 14 Jul 2020 - 20:11
IMPACT COVID DANS LES 14 REGIONS DU SENEGAL

La sécurité alimentaire et nutritionnelle menacée

 

Le coronavirus n’a pas eu que des conséquences sanitaires. D’après une enquête de Cicodev Afrique, dans les 14 régions du Sénégal, les populations sont confrontées à d’énormes problèmes au plan alimentaire et nutritionnel. Ces derniers sont consécutifs aux mesures prises pour arrêter la propagation de la pandémie.

 

L’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev) a mené une enquête, au mois de mai dernier, avec ses 16 points focaux répartis dans toutes les régions, sur l’impact que cette crise a sur le quotidien et la sécurité alimentaire et nutritionnelle auprès des populations.

Au Sénégal, la vie économique de certaines régions est rythmée par les échanges économiques dans les marchés quotidiens, hebdomadaires (‘’louma’’) ou les supermarchés. Ces lieux où les consommateurs s’approvisionnent en produits de toutes sortes (denrées alimentaires agricoles, maraîchers, aliments de bétail, produits phytosanitaires, volaille, produits cosmétiques, habillement) sont de véritables zones de brassage économique et culturelle.

Les ‘’louma’’ de Kolda sont des exemples patents. Ils polarisent plus de 60 villages environnants avec plus de 600 tonnes de riz, plus de 300 tonnes de céréales et plus de 800 tonnes de légumes vendus par mois. La région compte le plus grand marché hebdomadaire de l’Afrique de l’Ouest. Car le ‘’louma de Diaobé’’ a un chiffre d’affaires de 700 000 000 F CFA par semaine. D’ailleurs, il ressort de l’enquête que la fermeture de ce marché pendant 8 semaines a entrainé un manque à gagner estimé à 5 milliards de F CFA. À l’évidence, souligne le rapport, la fermeture de ces marchés hebdomadaires, aujourd’hui rouverts avec les mesures d’assouplissement, a eu des impacts non négligeables. Des perturbations ont été notées dans l’approvisionnement en denrées alimentaires des populations avec une flambée des prix, une rareté des produits agricoles, animaux et végétaux. Il se pose aussi l’indisponibilité des produits de qualité, en plus des problèmes de stockage.

Le directeur exécutif de Cicodev, Amadou Kanouté, indique que l’enquête révèle à suffisance l’existence de réelles menaces d’insécurité alimentaire qui peuvent engendrer un affaissement de l’économie nationale. Pour lui, la pandémie de la Covid-19 a fini d’installer le monde dans une crise qui menace à la fois les voies et les moyens d’existence des populations. ‘’Cette menace est encore plus marquée en Afrique où plus de 2/3 de la population sont en situation de précarité alimentaire. Ces personnes vulnérables sont les plus exposées face à la pénurie de denrées alimentaires’’, fait-il savoir.

 Au Sénégal, le mauvais bilan de la saison des pluies 2019 annonçait déjà une situation d’insécurité alimentaire et de malnutrition accrue et préoccupante. D’ailleurs, un rapport de la FAO de novembre 2019 confirmait la menace. L’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) a déclaré qu’au moins 975 000 personnes avaient été touchées par la sécheresse au Sénégal. Déjà, en 2019, des signaux d’insécurité alimentaire étaient perceptibles sur le terrain.

 Absence de centre de stockage dans certaines régions

Les mesures de confinement ont eu des effets néfastes sur la sécurité alimentaire en ville et dans les villages. Elles ont restreint l’accès des populations à des ressources alimentaires suffisantes, diverses et nutritives. Les obstacles rencontrés par les producteurs sont essentiellement liés à la conservation des produits périssables. Pour cause, il n’y a pas d’espace de stockage dans certaines régions et des difficultés d’accès au crédit dans les banques sont notées
‘’Il faut ajouter à ce décor que les populations sont obligées de parcourir de longues distances pour s’approvisionner, avec des risques de non-disponibilité des produits. Ces problèmes, faut-il encore le rappeler, concernent la quasi-totalité des régions du pays, de Kébémer à Matam, en passant par Tambacounda et Kédougou’’, rapporte la chargée de programme Accès durable à une alimentation saine et nutritive à Cicodev, Khady Thiané Ndoye. 

Face à ces difficultés, des solutions d’adaptation, d’innovation dans la chaîne d’approvisionnement en nourriture sont mises en place. Dans les localités de Fatick, Kébémer, Tambacounda et Ziguinchor, les populations s’organisent pour s’approvisionner lorsque les légumes ou les poissons sont à bon prix. Certains achètent et stockent de grandes quantités de produits alimentaires (riz, sucre, lait, dattes, œufs…) afin de prévenir les ruptures de stock. Tandis que d’autres s’approvisionnent en denrées périssables pour ensuite les mettre au frais à côté du canari ou chez les voisins qui possèdent des réfrigérateurs.  La livraison à domicile à travers Internet ou par téléphone fait également partie des mécanismes de résilience notés dans certaines localités. Un système de circuit court qui est en plein essor dans plusieurs capitales régionales comme Kédougou du fait de l’accessibilité à Internet, la facilité des opérations et la sécurité des transactions. 

Pour mieux faire face aux effets de la pandémie, Cicodev exhorte l’État du Sénégal à mettre en place des stocks de sécurité pour garantir la disponibilité permanente des produits alimentaires sains et nutritifs de première nécessité. Ce, à un coût acceptable pour les consommateurs les plus démunis. Il demande au gouvernement de réduire autant que possible la dépendance du marché et surtout extérieur pour assurer la sécurité alimentaire de ses citoyens. Cicodev incite l’Etat à favoriser l’émergence de systèmes alimentaires (production, transformation, distribution, stockage, consommation, gestion des déchets) plus durables, plus résilients et plus favorables aux exploitations familiales locales.

Selon les enquêteurs, la crise de la Covid-19 continue d’avoir des impacts forts négatifs sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations, surtout les plus vulnérables. Mais, précisent-ils, cette crise a aussi permis de voir et de mesurer les capacités de mobilisation, d’organisation et d’adaptation de différentes catégories d’acteurs. Cette adaptation s’est faite dans la solidarité, la mutualisation des idées et des approches novatrices avec des politiques plus sensibles aux réalités locales.

VIVIANE DIATTA

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