Publié le 7 Nov 2013 - 17:58
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La cour du roi Pétaud

 

La séparation formelle des pouvoirs est l’acte fondateur d’une justice indépendante. Mais dans le contexte d’une nation en édification comme la nôtre, celle-ci n’est pas d’emblée octroyée par le pouvoir d’État. Elle est toujours à construire ensemble par le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, les magistrats des différentes juridictions et aussi ses auxiliaires : des avocats aux greffiers et autres huissiers de justice, sans oublier les officiers de police judiciaire que sont à un certain grade les gendarmes et les policiers.

Les organisations de la société civile, y compris les magistrats depuis qu’ils se sont organisés en syndicat, sont venus s’ajouter à cette communauté en y apportant, en plus de la complémentarité professionnelle, une dimension revendicative, donc par là d’antagonisme. Ainsi, le pouvoir judiciaire qui était un lieu d’arbitrage, de conciliation et de compromis, est devenu un champ de confrontation d’intérêts divergents de la petite bourgeoisie urbaine. Un de plus.

La perversion de la démocratie sénégalaise vient de cette instabilité institutionnelle installée à l’ombre du pouvoir politique. L’appartenance à la direction d’un des partis de gouvernement conférant en partage individuel une autorité virtuelle qui s’exerce sans mesure à travers la presse. Sinon comment faut-il comprendre la déclaration insolite d’Ibrahima Sène, chargé des questions économiques au Parti de l’indépendance et du travail (PIT), selon qui ''le préfet de Dakar doit être traduit en justice'' ?

Il n’est pas nécessaire de sortir de l’École nationale d'administration (Ena, ex-Enam) pour savoir que le préfet est un haut fonctionnaire nommé par le président de la République pour qu’il représente l’État dans le département de Dakar pour celui dont il est question. Et l’argumentaire qui suit est d’une rare platitude : ayant fermé le marché, ce préfet est responsable de l’incendie qui s’y est déclaré et doit donc démissionner pour être jugé pour ''incendie involontaire''.

Si cela se trouve, le cas de figure invoqué supposerait que le préfet en question, sans doute par manque de moyen logistique et de personnel, les fonctionnaires étant moins dotés que les politiques mais plus consciencieux, serait venu inspecter les lieux. Puis il aurait, avant de fermer la dernière issue, enlevé sa casquette pour en griller une sur l’établi d’un boucher. Et ensuite, il aurait jeté son mégot mal éteint dans un tas d’immondices dans lequel le feu aurait couvé.

La question qui se pose est de savoir si le placide Maguette Thiam ne va pas ajouter aux compétences actuelles d’Ibrahima Sène, les affaires juridiques sur lesquelles il s’aventure à disserter si hardiment. Ou bien s’il lui fera comprendre une fois pour toutes que ''la démarche républicaine et démocratique'' qu’il préconise n’est pas adaptée au terreau libéral du régime actuel mais à celle d’une ''république démocratique'' que son parti a cessé de nous promettre depuis la chute du mur de Berlin.

Au surplus, le membre de la direction politique d’un parti siégeant au gouvernement peut-il montrer un pareil mépris des institutions républicaines à travers la personne d’un préfet de Dakar qui agirait non pas sur ordre mais de sa propre impulsion ? Ainsi, une atteinte à l’honorabilité et à l’intégrité physique du haut fonctionnaire représentant l’exécutif dans la capitale ne vise-t-elle pas le chef de l’État lui-même ?

La direction de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois), qui est partie prenante de l’affaire, en décidant de porter plainte contre l’État du Sénégal, est mieux inspirée et mieux articulée dans sa démarche citoyenne. Elle a le mérite de respecter la personne humaine en même temps que de marquer sa confiance en la justice de notre pays.

Un autre qui aura perdu une bonne occasion de laisser faire est le président du groupe parlementaire de la coalition gouvernementale, Moustapha Diakhaté, à peine sorti de l’embrouille des exclusions de députés. Le voilà confondant pouvoir législatif et pouvoir judiciaire en portant l’estocade à un pauvre prisonnier - mais pas un prisonnier pauvre - Karim Wade, pour ce qu’il refuserait désormais de comparaître devant cette juridiction d’exception brouillonne.

N’aurait-il pas mieux agi, en s’installant pleinement dans ses prérogatives de politique et de parlementaire donc de législateur à l’occasion, d’initier la procédure de mise en accusation du dit détenu devant une Haute cour de justice ? Plutôt que de participer à  instaurer cette pétaudière, une cour du roi Pétaud selon son sens ancien, où chacun fait ce qu’il veut et où règne le désordre sur fond de contestation permanente, franche ou biaisée de l’autorité suprême : ''Nous ne pouvons accepter qu’on accuse Mansour  Sy de quelque chose que pratique le chef de l’État'', se défend Ibrahima Sène.

Les membres de la classe politique comme Ibrahima Sène et Moustapha Diakhaté se croient d’emblée investis d’une autorité par le seul fait d’appartenir au parti au pouvoir ou d’être des élus alors que seul le chef de l’État est détenteur de cette autorité et ne la délègue légalement qu’aux hauts fonctionnaires du commandement, et aux forces de l’ordre.

Au début de l’alternance, un certain député en une certaine cérémonie publique, qui s’était heurté à un barrage de police, se frappait la poitrine en se répétant avec colère : ''Une autorité comme moi…'' Il annonçait cette dérive sémantique qui ferait, le seuil du 21ème millénaire franchi, Ibrahima Sène s’improviser autorité judiciaire à la faveur d’une alliance politique et Moustapha Diakhaté autorité pénitentiaire à l’ombre d’une loi d’exception.

Que ne s’en viennent pas ces périodes troubles qu’engendre ce genre d’abus sinon nous pourrions voir réactiver cette autre juridiction d’exception, les Tribunaux spéciaux des périodes les plus sombres du règne de Léopold Senghor.

 

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