Publié le 12 Sep 2013 - 14:20
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La somalisation rampante ?

 

 

Une haute autorité française aurait évoqué «la somalisation» de l’Afrique, à l’occasion de la contre-offensive poussée en Centrafrique par des éléments de l’ancienne garde présidentielle du président évincé Francis Bozizé. La prise du pouvoir par une dissidence armée à majorité musulmane, la Cedeka, y a dérivé la démocratie tropicalisée vers des massacres en séries de musulmans par des chrétiens et inversement. La responsabilité de la France, ancienne puissance de tutelle, n’étant pas exclue dans le déclenchement de la crise en Centrafrique, la Cedeka étant l’alliée de son meilleur allié de la même période, le Tchad d’Idriss Déby, la posture ambiguë de la France dans ces conflits n’est-elle pas une source d’inquiètes interrogations ? En tout état de cause, ce diagnostic sévère de la situation globale de l’Afrique est à peine exagérée dans la mesure où il dégage une tendance à l’ensauvagement de la gestion de l’Etat, au morcellement de l’autorité et à l’extension de l’insécurité.

Si cette tendance de «somalisation» s’observe dans l’évolution de la Centrafrique, de la République du Zaïre, du Nigeria, de  la Libye et est déjà perceptible en  Egypte, elle reste dormante dans l’ancien Soudan, en Côte-d’Ivoire, au Mali. L’intensité de la menace réside en ce que toutes les grandes régions du continent sont concernées sauf l’Afrique australe où, du fait d’un mode de décolonisation franche et radicale de la plupart des pays et de l’influence positive de l’Afrique du Sud, la dissémination du nouveau mal africain n’est pas à l’ordre du jour. Si d’ailleurs le cas de la République du Congo n’a pas empiré et abouti à l’éclatement de ce grand pays, c’est grâce à un effort militaire soutenu par l’Afrique du Sud, la Namibie, le Zimbabwe notamment pour contenir les contradictions des anciennes factions révolutionnaires aiguisées par leurs soutiens ougandais et rwandais. La marge de manœuvre des puissances occidentales, limitée au maximum, n’avait pu miser que sur une défaite électorale du président Robert Mugabe.

La Somalie ne bénéficie pas d’un environnement où le nationalisme révolutionnaire des luttes pour l’indépendance aurait tissé entre les pays de la région et leurs dirigeants des relations solidaires. Même si elle avait épousé la même idéologie marxiste que son voisin l’Ethiopie, une guerre fratricide les opposera et causera leur déclin réciproque : la désagrégation quasi-totale de la Somalie et la scission de l’Ethiopie dont naîtra L’Erythrée. Dans un contexte de guerre civile larvée entre chefs de clans, les nombreux cas de viol, entre autres méfaits, emmenèrent la création de tribunaux islamiques par les maîtres d’école coraniques puis, quand ils furent combattus, émergèrent les organisations d’autodéfense des jeunes, «Chebabs» qui imposèrent l’Etat islamique. A ce jour, ni les forces armées du Kenya et de l’Ethiopie, citées par les islamistes comme des croisés chrétiens, ni celles de l’Union africaine n’en sont venues à bout, leur dernière prouesse étant un attentat spectaculaire contre le cortège présidentiel en plein Mogadiscio.

Il y a loin du Mali à la Somalie. L’avènement au pouvoir au Mali du président Ibrahim Aboubacar Keïta est un facteur d’espoir dans la mesure où, malgré ses accointances supposées avec la France, le soutien de diverses associations islamiques et des anciens mouvements irrédentistes, conjugué vers un même candidat, ne saurait être que bénéfique à la réconciliation nationale. La véritable solution aux crises de l’Afrique de l’Ouest ne saurait être que de force dès lors qu’elles posent en même temps la question de la démocratie dans ses dimensions politiques et sociales. Le malaise diplomatique entre le Sénégal et le Mali devrait être passager après que le président Ibrahim Boubakar Keïta ait marqué les limites du tolérable dans les relations bilatérales. Le Sénégal n’avait pas calculé les conséquences d’un soutien trop visible à un des candidats de l’élection présidentielle malienne, Soumaïla Cissé, originaire du Nord Mali sans être représentatif de la spécificité targui, arabe ou tamashek qui pose problème et donc, cherche solution.

Si le Nord potentiellement irrédentiste a donné majoritairement ses suffrages à un leader politique du Sud, c’est parce que les rapports entre le nouveau pouvoir et l’ancienne rébellion doivent être d’autant plus francs qu’ils seront contrastés. Cependant, le fait que la diplomatie sénégalaise ait perdu pied au Mali peut être relativisé par l’offensive diplomatique majeure de la Mauritanie, dont le président était hier l’hôte du Sénégal. Après tout, c’est la Mauritanie qui a non seulement la plus longue frontière avec le Mali mais aussi qui se trouve aux confluents de l’ancienne zone d’occupation des mouvements autonomistes et djihadistes avec l’Algérie, le Niger et last but not least le Burkina Faso. Le moment est venu de rendre  justice à ce dernier pays d’avoir initié dès le début le dialogue entre les différents protagonistes selon cette logique pertinente du président Compaoré que si les questions irrédentistes se règlent dans les pays dits avancés par la négociation, pourquoi ce ne serait pas le cas en Afrique ?

Or, il se trouve que la victoire sur les insurgés «djihadistes» laisse entière la nécessité d’une négociation avec les insurgés irrédentistes ou alors le cas échéant, d’une autre guerre. Le fait n’est pas anodin que des accrochages entre l’armée malienne et les Touaregs armés aient eu lieu hier matin dans la zone de Foïta où, selon l’ancienne rébellion, ses forces devraient être regroupées et cantonnées selon les accords d’Ouagadougou. A ce moment, le président mauritanien effectuait un pèlerinage  sur la mythique île de Gorée où le guide décline au passé les souffrances de la race noire. Le communiqué commun des deux pays, après avoir énuméré tous les accords de coopération possibles mais laissées en l’état à ce jour, se sont promis de combattre la menace terroriste qui plane sur leurs deux pays et plus globalement sur l’Afrique de l’Ouest, avec une mention du Mali sur le thème de la réconciliation nationale et de la paix. Pour que le Mali ne soit pas la Somalie…

 

 

 

 

 

   

 

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