Publié le 19 Sep 2012 - 11:47
LUTTE - MODOU LÔ, LEADER DE L'ÉCURIE ''ROCK ÉNERGIE'

''J'ai beaucoup galéré avant d'en arriver là''

 

 

 

Depuis la fin de la saison, on vous voit impliqué dans des actions humanitaires. Pourquoi ?

C'est une question qui me tient beaucoup à cœur. En fait, c'est de notre devoir d'aider. Avant, je n'avais pas les moyens de le faire, mais, j'ai toujours voulu le faire. Pendant la saison de lutte, je voulais le faire mais c'était impossible avec les entraînements et la préparation des combats, mais on l'avait programmé depuis longtemps. J'attendais juste la fin de la saison pour le faire. Puisque je ne peux pas entrer dans chaque maison de supporters pour les remercier de l'amour qu'ils me portent, je leur viens en aide à ma manière. C'est vrai que je ne peux pas satisfaire tout le monde, mais je fais ce que je peux. Nous avons ciblé en premier les prisons et l'empire des enfants, mais nous allons étendre ces aides humanitaires aux autres couches sociales qui ont besoin de nous.

 

Certaines sources annoncent que beaucoup de personnes font le pied de grue chez vous pour solliciter votre aide ?

C'est normal ! Après tout, nous sommes tous des êtres humains et il faut s'entraider dans la vie. Je ne veux même pas que ces actes soient connus du grand public, parce que je ne le fais pas pour du voyeurisme, mais pour aider tout simplement. Les gens viennent de partout pour nous solliciter et nous faisons ce que nous pouvons pour les aider, parce qu'ils se déplacent avec beaucoup d'espoir.

 

''Nous n'étions pas riches quand j'étais enfant''

 

Qu'est-ce qui vous pousse réellement à faire de l'humanitaire ? Est-ce parce que vous avez eu une enfance difficile, pauvre ?

Je peux dire qu'il y a une part de cela. Nous n'étions pas riches quand j'étais enfant mais mon père faisait tout pour nous assurer au moins les trois repas de la journée. On a eu des moments difficiles. Vous savez, avant de pouvoir réellement aider ceux qui souffrent, il faut passer par là, éprouver beaucoup de difficultés, cela peut purifier le cœur de l'être humain. Mais être né avec une cuillère d'argent dans la bouche ne permet pas de comprendre ce qu'est la misère, ce que ces gens-là vivent au quotidien. Certaines expériences de la vie forgent votre caractère. Et je vous assure que si j'avais 500 millions, je pourrais offrir les 450 et ne garder que les 50 millions pour moi. Cela fait plaisir d'aider, et c'est une façon d'adorer Dieu, de respecter Ses Préceptes. Tout ce qui nous a été prêté par le Bon Dieu, un jour où l'autre, il nous le reprendra, tout en nous demandant si nous en avions fait bon usage. Que ceux qui sont plus riches aident les plus pauvres !

 

''J'ai été charretier, soudeur''

 

Il paraît aussi que vous avez travaillé comme charretier pour aider vos parents ?

C'est vrai. J'avais une charrette et je convoyais pour des magasins des sacs de ciment. J'allais parfois chercher du sable à la plage pour les maçons, ou ramasser les gravats dans les maisons en construction pour aller les déverser ailleurs. Je travaillais aussi comme déménageur, en portant sur ma charrette les bagages de locataires qui changeaient de lieu d'habitation.

 

À part charretier, quel autre métier avez-vous exercé ?

J'ai été soudeur métallique, j'ai plus duré dans ce métier d'ailleurs. J'ai aussi fait de la mécanique et j'ai été maçon. J'ai fait beaucoup de petits boulots comme cela.

 

Avez-vous toujours la même habileté dans vos anciennes professions ?

Chacun a au fond de son cœur un métier qu'il aime particulièrement, qui lui tient à cœur plus que tout. Pour les derniers petits métiers que j'ai faits avant la lutte, je ne me concentrais plus. Parce que je ne pensais qu'à une seule chose, devenir lutteur. J'avais hâte de terminer le boulot pour aller m'entraîner. Parfois, le peu d'argent que je gagnais dans les petits boulots m'aidait à financer ma carrière de lutteur, dans les ''mbàpàt'' (séance de lutte avec frappe). Quand je sortais vainqueur, je rentrais avec une somme d'argent. Parfois, il m'arrivait de rentrer bredouille mais sans perdre espoir. J'ai aussi travaillé comme apprenti chauffeur de mon père qui conduisait un car. C'est tout cela qui m'a forgé, qui a fait de moi un homme. Rien ne m'étonne, j'en ai beaucoup vu, j'ai aussi beaucoup galéré. Il fallait payer le transport.

 

''Ma mère me disait : Tu n'as pas honte de te déshabiller dans la rue''

 

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ou fait mal dans cette galère ?

C'est maintenant que la lutte à une telle cote de popularité, mais avant, aucun parent ne voulait que son enfant devienne lutteur. Mes parents non plus, ils ne connaissaient rien de la lutte. Quand mon père venait me réveiller vers 4 heures du matin pour aller travailler, il ne me trouvait pas dans la chambre, parce que j'étais dans les ''mbàpàt''. De là, j'allais directement le rejoindre au marché central. Et il me grondait comme pas possible. Il me demandait où j'étais la nuit, ce que je faisais. Et quand je revenais à la maison, ma mère prenait le relais. Elle me grondait en me disant : ''Tu n'a pas honte de te déshabiller dans la rue''. Cela me faisait mal, mais je continuais quand même d'exercer la lutte, c'était plus fort que moi. C'était ma passion, ce que j'aimais par dessus tout. Je crois en tout ce que je fais parce que j'y vais à fond et je me donne entièrement les moyens de réussir mes ambitions. Je me rappelle, la première fois que je me faisais faire une carte d'identité nationale alors que je n'avais même pas encore commencé la lutte avec frappe, je me moquais un peu du ''mbàpàt'', j'étais soudeur métallique à l'époque. Le gars qui prenait les informations m'a demandé ma profession. Je lui ai dit sans hésiter : lutteur. Sur ma première carte d'identité, il est écrit lutteur comme profession,. Et je pense que ce qui m'arrive aujourd'hui, c'est le résultat de toutes ces épreuves par lesquelles je suis passé. C'était écrit que je devais être lutteur. Cette passion me rongeait. Quand j'allais suivre un combat de lutte, je revenais à la maison avec plein de rêves en tête, j'étais comme possédé et je me disais que je pouvais faire comme eux, sinon devenir meilleur qu'eux.

 

Qui était votre idole à l'époque ?

Quand Moustapha Guèye remportait un combat, j'étais l'un des premiers à arriver chez lui pour manifester ma joie, de même que Manga 2 et aussi Baboye qui habitait derrière chez nous. C'est là-bas qu'il nouait son ''ngemb'' et on y allait pour le regarder et l'encourager. Quand il y avait ''mbàpàt'', avant le début des combats, nous venions jouer sur le sable pour voir qui allait terrasser qui, qui était le meilleur. Le plus important pour réussir, ce n'est pas d'avoir une idole, mais c'est de croire en soi. Même un voleur doit avoir du courage et de la détermination dans ce qu'il fait.

 

Comment vivez-vous votre popularité ? N'est-il pas embêtant de ne pouvoir vaquer à vos occupations comme vous le voulez ?

(Rires). Ma mère m'a une fois dit exactement ceci : ''Modou, si tu vas chez les marabouts, tu ne peux pas leur demander de diminuer un peu cette popularité''. Tout simplement parce que les choses la dépassaient. Même dans sa chambre, elle ne pouvait s’asseoir à cause du monde qu'il y a chez nous après chaque combat. Je lui ai répondu que ce n’était pas du ressort d'un marabout, mais que c'est la volonté de Dieu. C'était écrit que je serais Modou Lô, un lutteur populaire.

 

Cela ne vous dérange aucunement ?

Non pas du tout. J'accepte le destin. Ce n'est pas évident parce que je ne peux rien faire, je ne peux aller nulle part sans qu'il n'y ait une foule derrière moi. Pour m'entraîner à la plage, je suis obligé d'y aller la nuit, vers 1 heure du matin.

 

''L'argent de la lutte ne vaut pas grand-chose''

 

Que faîtes-vous de vos millions gagnés dans la lutte ?

Vous savez, l'argent de la lutte ne vaut pas grand-chose. Pour un cachet de 100 millions F Cfa, on peut finir par ne se retrouver qu'avec 10 millions. Parce qu'il y a les marabouts à payer, les parents qui viennent de partout pour demander de l'aide, la famille directe, la préparation du combat qui demande un lourd financement. Parfois l'avance qu'on nous donne ne nous suffit pas et nous sommes obligés d'emprunter et de rembourser une fois qu'on a reçu le reste du reliquat. Après cela, tu peux rester plusieurs mois sans combat. Donc tu es obligé de vivre avec le reliquat. C'est de l'argent qui sort, sans revenir. Pour les investissements, j'ai beaucoup de projets avec mon staff, j’attends la concrétisation pour en parler. Et je compte élargir ces projets pour créer des emplois.

 

Depuis un moment, les promoteurs ont exigé le départ du CNG de lutte. En tant qu'acteur, comment vivez-vous cette situation ?

La lutte est un facteur de développement, beaucoup de personnes y gagnent leur vie. Donc, on n'a pas intérêt à ce qu'elle périclite. Chacun doit faire sa part des choses, tout en communiquant avec les autres. Nous (les lutteurs) sommes concernés, donc nous ne devons pas rester les bras croisés et regarder la lutte mourir lentement. C'est notre profession, notre vie. On doit tous s’asseoir autour d'une table, discuter pour régler tous les différends. La lutte avec frappe est notre fierté, elle n'existe nulle part ailleurs qu'au Sénégal.

 

Est-ce vrai que votre combat-revanche contre Balla Gaye 2 serait sur le point d'être ficelé ?

C'est vous qui me l'apprenez. Je ne suis pas au courant de cette démarche, on ne m'a pas encore sollicité pour cette saison.

 

Avez-vous repris les entraînements à ''Rock Énergie'' ?

On se rencontre parfois à la plage pour s'entraîner, mais pour le moment, je n'ai pas le même programme qu'eux. Mais n'empêche que je fréquente la salle de musculation et la plage.

 

Et vos vacances, comment vous les passez ?

J'ai l'impression que les vacances sont plus éprouvantes que la saison. En pleine saison, les gens ne viennent pas vous voir parce qu'ils savent que vous avez besoin de concentration. Mais pendant les vacances, beaucoup de personnes viennent vous voir, et ce balai incessant peut vous fatiguer.

 

KHADY FAYE

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