Publié le 28 Feb 2020 - 23:38
MACKY SALL

L’équation du 3ème mandat

 

Remis au gout du jour par l’ex-Pm Mahammed Boun Abdallah Dionne et l’ancien ministre de l’Intérieur Mbaye Ndiaye, le débat sur la troisième candidature du Président Macky Sall est parti pour ramener le pays 9 ans en arrière.

 

Bis repetita ! Le spectre du troisième mandat prend progressivement forme. Jusqu’ici dans la périphérie de la question, avec des ballons de sonde lancés çà et là, le régime est maintenant dans le vif du sujet, avec la sortie, avant-hier, du Directeur des structures de l’Alliance pour la République, Mbaye Ndiaye, qui soutient à qui veut l’entendre que le président de la République en est à son premier quinquennat. L’ex-ministre de l’Intérieur d’enfoncer même le clou, en soutenant qu’aucune loi n’interdit aujourd’hui au Président Macky Sall de briguer une nouvelle candidature, une troisième.

Cette sortie qui replonge le pays dans le contexte de 2011, avec la fameuse troisième candidature d’Abdoulaye Wade, est bien calculée et bien dosée dans un contexte où l’Alliance pour la République, le parti présidentiel, traverse les pires moments de son histoire et où son chef, Macky Sall en l’occurrence, en perd presque le contrôle.  Est-ce une manière de calmer les ardeurs pour inverser la tendance et reprendre par la même occasion, la main au sein de son parti, ou un nouveau ballon de sonde pour mesurer le degré de pénétration d’une telle hypothèse au sein de cette même société sénégalaise qui avait fait barrage à Abdoulaye Wade en 2012 ? Mystère et boule de gomme !

Macky Sall rattrapé par sa déclaration de 2017

Ce qui est évident, c’est qu’un nouveau palier vient d’être franchi dans ce débat. Et cette fois ci, le régime a poussé le bouchon plus loin, en affirmant vertement la volonté du Président Sall, de briguer un nouveau mandat, en dépit de sa déclaration de 2017 où il disait à la face du monde, qu’il en était à son premier mandat. ‘’Le Sénégal est une grande démocratie en marche. En 2016, c’est moi-même qui ait proposé au peuple sénégalais une révision constitutionnelle où l’objectif a été de régler une bonne fois pour toute la question de la limitation des mandats. Que tout le monde sache que dans ce pays, plus personne ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. On l’a écrit noir sur blanc et consigné dans la Constitution : ‘’Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs’’. Toute personne qui parle français doit savoir que le mandat est de cinq ans renouvelable une seule fois. On a verrouillé cette disposition, en disant que personne ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. C’est ce que dit la constitution et c’est clair. J’en suis à mon premier mandat qui va prendre fin en 2019, si je suis réélu, ce sera mon deuxième et dernier mandat. Je voudrais vraiment que ce débat soit clos définitivement’’, avait-il soutenu en fin décembre 2017, début janvier 2018.

Il poursuivait : ‘’Je demande aux intellectuels de ne pas engager le pays dans un débat puéril et inutile. Je ferais tout dans ce pays, sauf un troisième mandat. Je veux que ce soit clair. Je pense que nous devons être très sérieux dans ce pays, lorsque nous voulons apporter une contribution positive à la marche du pays. Nous avons, il y a un an, engagé une réforme majeure de notre constitution par voie référendaire. Justement, c’était pour arrêter le débat. Puisque nous avions une majorité totalement qualifiée au Parlement, nous avions choisi de consulter directement le peuple sur une réforme très sérieuse, très constructive, très consolidante de la constitution pour régler principalement la question de la durée et du nombre de mandat du président de la République ainsi du mode d’élection. Cette question a été définitivement fixée dans cette constitution. D’ailleurs en 2016, ce dont il était question, c’était moins le nombre de mandat que la durée. On devait passer du septennat au quinquennat bloqué. Le nombre de mandat est réglé, depuis très longtemps. Le nombre de mandat n’a pas été modifié. Pourquoi engager une discussion sur un débat de 2024, un débat qui n’a pas lieu d’être, puisque je suis dans la logique de ne pas dépasser deux mandats, si le peuple sénégalais me fait confiance en 2019. Donc, ce débat ne doit pas nous faire perdre du temps’’.

Ces propos d’hier du chef de l’Etat contrastent avec ceux d’aujourd’hui. Récemment, en fin d’année, il avait refusé de répondre par oui ou non sur une probable troisième candidature. Et les sorties de Boun Abdallah Dionne et de Mbaye Ndiaye poussent le bouchon plus loin. Et Pourtant, c’est le même Macky Sall qui avait, dans un passé récent, demandé à ses militants et responsables de ne plus s’épancher sur la question, sous peine de représailles. Qu’adviendra-t-il de ces deux responsables ? Le Président va-t-il sortir la cravache, comme il l’avait promis ? La suite des évènements nous édifiera peut-être. Mais quoiqu’il en soit, il serait étonnant que deux soldats de la trempe de Mahammed Boun Abdallah Dionne et Mbaye Ndiaye aient pu agiter cette question, sans qu’ils aient eu l’assentiment de leur boss.

Jurisprudence Wade

C’est en 2016 que le président de la République Macky Sall a procédé à une révision constitutionnelle. Tout comme Abdoulaye Wade dans sa constitution de 2001, il a touché à la durée du mandat présidentiel en l’amenant de 7 à 5 ans. Mais il aura, comme son prédécesseur, fait son mandat de 7 ans. D’ailleurs, pour éviter tout amalgame dans le décompte des mandats, beaucoup avaient suggéré qu’il soit introduit dans la constitution de 2016, une disposition transitoire au niveau de l’article 27 pour préciser que le mandat de 2012 à 2019 faisait partie du décompte. Mais Macky Sall et son clan avaient opposé une fin de non-recevoir, soulignant à l’époque que la constitution était déjà claire là-dessus. Avec la tournure des évènements, beaucoup pensent aujourd’hui que Macky Sall pourrait bel et bien bénéficier de la jurisprudence Abdoulaye Wade, s’il décidait à se présenter pour une troisième candidature.

En 2001, un an après son élection pour sept ans, Abdoulaye Wade avait changé la constitution pour instituer un quinquennat renouvelable une fois. Après sa réélection en 2007, il avait de nouveau fait modifier la Loi fondamentale pour rétablir le septennat. En janvier 2012, un mois avant le scrutin présidentiel, les juges du Conseil constitutionnel avec à leur tête, à l’époque, feu Cheikh Tidiane Diakhaté, avaient validé la troisième candidature controversée d’Abdoulaye Wade, sous prétexte que le premier mandat ne faisait pas partie du décompte et que la constitution, tripatouillée à plusieurs reprises, lui permettait de briguer à nouveau le suffrage des Sénégalais. Cela, dans un contexte national où plus d’une dizaine de citoyens sénégalais avaient perdu la vie dans la lutte contre le troisième mandat ‘’anticonstitutionnel’’ du Pape du Sopi.

THIERNO BOCOUM (PRESIDENT DU MOUVEMENT AGIR)

‘’Le débat a été volontairement relancé’’

‘’Quand deux hauts responsables des domaines d’autorité du président de la République, à savoir le parti et l’Etat, parlent de la question du troisième mandat, il faut s’arrêter un instant pour analyser le fait. Le ministre Mbaye Ndiaye a succédé à l’ancien Premier ministre Mohamed Boun Abdallah Dionne sur les plateaux de télé pour dire presque la même chose sur cette question. L’un, secrétaire général de la présidence coordonne les activités du Président Macky Sall, en sa qualité de chef de l’Etat, l’autre, directeur des structures de l’Apr, tient l’appareil du parti que dirige Macky Sall. Ils se sont succédés en moins d’une semaine d’une télévision à une autre sans que le holà n’ait été tiré de la première intervention pour que la deuxième soit plus conforme aux vœux jusque-là exprimés par le président de la République : travailler et éviter de parler de la question du troisième mandat. Pourtant, on pouvait valablement s’attendre à une mise au point de la part du chef de l’État, surtout face au premier de ses exécuteurs pour le Fast Track, qui a osé dire qu’il ne se débinera pas en répondant à la « question qui gêne ».

La vérité aujourd’hui est que ce débat a été relancé pour que sa banalisation s’impose très tôt. Il fallait le remettre sur la table après avoir effacé les traces d’une approche qui n’était pas la bonne. Une approche qui n’arrangeait pas le chef. Il ne fallait surtout pas dire qu’il ne peut pas, mais bien affirmer que l’éventualité est bien possible. C’est ainsi qu’il fallait poser le débat. C’est toute la différence d’approche entre ceux qui ont été sanctionnés et ceux qui semblent être encouragés. Ils parlent tous de la même question mais l’expriment différemment. Le Président Macky Sall réduit tous les jours l’épaisseur de la porte de sortie. Il trouve le moyen de travailler à ne devoir compter que sur un trou de serrure qui risque de le compresser dangereusement tout en lui rendant la tâche difficile. Aujourd’hui il s’expose à tous les risques et expose, par ricochet, notre pays. Le risque de ne plus travailler au service exclusif des populations est d’abord le risque qu’il fait courir à un pays qui doit faire face à plusieurs urgences.

L’idée de vouloir arrêter les ambitieux de son camp lui coûtera énormément d’énergie. Ces proches collaborateurs ont aujourd’hui déserté les questions essentielles pour traquer des traîtres et des taupes. Le problème est que finalement ce sont des traîtres à une ambition démesurée, des traîtres qui semblent ne pas vouloir cautionner une éventuelle troisième candidature. Le risque de faire tomber le pays dans un cycle de violences est réel. Sans parler du recul démocratique inacceptable que ce débat révèle. En laissant prospérer un tel débat et en donnant l’impression de le cautionner, tant que le ton est « conforme », le Président Macky Sall agit comme un amateur politique. Ce qu’il n’a jamais été jusque-là. Il doit savoir que ça ne passera pas. C’est évident que cela ne passera pas.

En tout état de cause, Macky Sall n’a pas le droit de souiller la mémoire de ces dizaines de compatriotes qui ont perdu la vie pour avoir défendu la démocratie. Il n’a pas le droit de faire moins que son prédécesseur, après avoir suscité autant d’espoir. Il n’a même pas le droit de couvrir de honte ses soutiens qui se sont battus pour qu’il soit au pouvoir. Il a le choix entre se ressaisir ou persister dans cette voie. Nous nous n’avons qu’un choix : celui de faire face, par tous les moyens, à toute forme de décision allant dans le sens d’un recul démocratique inacceptable’’.


DETHIE FALL (DEPUTE OPPOSITION)

‘’C’est un débat inutile et insensé’’

‘’C’est une déclaration insensée, pour la bonne et simple raison que cette question n’est pas seulement une question de droit, mais également une question d’éthique et morale. Nous rappelons que le président de la République, Macky Sall, lui-même avait dit qu’il avait introduit l’alinéa 2 de l’article 27 de la constitution pour lever toute équivoque et pour se l’appliquer. Pour dire tout simplement que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs et il a déjà fait un mandat, entre 2012 et 2019. Là, il est en train de faire le deuxième et dernier mandat. Donc, ce n’est même pas un débat. Le Président Macky Sall était dans l’opposition, entre 2008 et 2012, il a vu et vécu ce que cette question avait apporté comme désagrément comme tache à notre démocratie et il ne faudrait pas aujourd’hui que ses proches agitent ce débat inutile et insensé’’.


SOULEYMANE GUEYE CISSE (SG DE LA LD-DEBOUT)

‘’Ils veulent nous divertir…’’

‘’Nous n’avons pas d’avis dessus. Je crois que la constitution est très claire sur la question. Même avant qu’il n’accède au pouvoir, il a été élu sous le régime des deux mandats, il a réduit l’un. Deuxièmement, la constitution sénégalaise a été modifiée. Donc Macky Sall n’a pas plus de deux mandats. Le reste, ils veulent nous divertir. Le problème va se régler sur le terrain politique. Ils n’ont qu’à assumer et nous assumerons, le moment venu.

Ce n’est pas notre débat. Ce sont les gens de l’Apr qui parlent et qui entretiennent ce débat. Alors que Macky Sall disait qu’il ne voulait pas de ce débat. Maintenant, si c’est pour régler un problème interne entre Mimi Touré et Amadou Ba ou bien pour l’imposer au peuple sénégalais, c’est leur affaire. En tout cas, la loi est très claire. Le président du Sénégal n’a pas plus de deux mandats. Ça c’est depuis Abdou Diouf. Ce n’est pas parce qu’on a changé la constitution qu’il doit avoir un autre mandat. On est en politique et, en politique, il y a de l’éthique. Lui avait dit qu’il en était à son deuxième et dernier mandat. S’il décidait de faire un forcing, il nous trouvera sur le terrain. La politique n’est qu’un rapport de forces. Nous nous préparons à lui répondre sur le terrain’’.

ASSANE MBAYE

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