Le temps des manœuvres

Malgré un refus catégorique du ministre de la Justice en juillet, la Chambre des notaires du Sénégal tient à l’intégration de certains collaborateurs de ses membres, nonobstant l’exigence d’un concours. Une lettre récente du président Alioune Ka réveille les démons de la division.
Le malaise persiste dans le notariat. Alors que les 22 notaires ayant réussi au seul concours organisé au Sénégal peinent à être titularisés, la Chambre des notaires du Sénégal fait des pieds et des mains pour parvenir à placer quelques-uns de ses protégés. Dans une lettre adressée au ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Me Malick Sall, le tout nouveau président de la Chambre des notaire déclare : ‘’Nous avons le plaisir de vous transmettre la liste des 14 stagiaires ayant intégré, avec le diplôme requis, les offices de notaire, après le décret n°2009-328 du 8 avril 2009, avant l’organisation du concours d’accès au stage le 17 novembre 2013, ainsi que les attestations de leur maitre de stage.’’
Ainsi, sollicite le président Alioune Ka la régularisation de ces gens, nonobstant des dispositions qui exigent le concours comme seul moyen d’accéder à la profession. ‘’Nous vous saurions infiniment gré, souligne-t-il, de bien vouloir régulariser leur inscription et valider leur stage, en leur délivrant un arrêté d’aptitude aux fonctions de notaire’’.
Cette même demande a été formulée en juillet dernier, sous le magistère de Me Aissatou Sow Badiane, ancienne Présidente de la Chambre des notaires du Sénégal. La seule différence, c’est que, cette fois, c’est la chambre elle-même qui porte le combat. A l’époque, six notaires, tous des femmes, sollicitaient la constatation de leur aptitude aux fonctions de notaire. Elles suggéraient, rapportent nos sources, que cette régularisation soit faite, soit par l’insertion dans le nouveau décret fixant le statut des notaires, de dispositions transitoires, soit par la prise d’un arrêté constatant leur aptitude aux fonctions de notaire.
Par cet acte, les demanderesses reconnaissaient, implicitement, qu’elles ne remplissaient pas tous les critères pour devenir notaires. C’est ce qui résulte de la réponse à elles servie par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Il leur disait : ‘’Vous faites valoir que d’autres collaborateurs de notaires ont eu à bénéficier d’arrêtés d’aptitude sans remplir les conditions requises, notamment l’inscription au registre des stages. Les personnes qui ont récemment bénéficié d’un arrêté constatant leur aptitude aux fonctions de notaire, ont été inscrites au stage avant l’entrée en vigueur du décret de 2009’’.
Selon Maitre Malick Sall, ces dernières ont toutes effectué leur stage avant février 2009, ainsi que l’établissement des attestations délivrées par leur maitre de stage, les attestations d’inscription au registre de stage et les notifications d’inscription au registre des stages délivrées par le président de la chambre en exercice à l’époque.
La réponse du ministre de la Justice en juillet
En conséquence, faisait-il savoir aux candidates à la charge de notaire, ‘’une suite ne peut être donnée’’ à leur ‘’sollicitation d’insertion de dispositions transitoires dans le nouveau décret fixant statut des notaires, ce décret ayant été déjà pris’’. Dans la même veine, il ajoutait : ‘’Il ne peut également être fait droit à votre demande de constatation de votre aptitude aux fonctions de notaire par arrêté.’’
En effet, rappelait le garde des Sceaux pour justifier sa décision, ‘’le décret 2002-1032 du 15 octobre 2002 fixant le statut des notaires modifié par le décret 2009-328 du 8 avril 2009 avait prévu, en son article 115, une dérogation permettant aux notaires stagiaires en service régulièrement constatés par leur maitre de stage de conserver le bénéfice de leur inscription, conformément à la tolérance admise par la chambre’’.
En langage moins technique, le 15 octobre 2002, l’Etat du Sénégal décidait de rendre plus démocratique l’accès à la profession de notaire qui, jusque-là, était réservé à quelques privilégiés. En effet, pour être apte aux fonctions de notaire à l’époque, il fallait juste la Maitrise, ensuite effectuer un stage d’un certain nombre d’années dans une étude notariale. Avec la bénédiction du maitre de stage et du président de la chambre, on pouvait prétendre à l’inscription au registre et éventuellement à une charge. Grâce donc à ce décret de 2002 portant statut des notaires, le concours devient le seul moyen d’accéder à la profession. La question qui s’est alors légitimement posée, c’était de savoir quel sort réserver à ceux qui étaient déjà inscrits au registre avant l’entrée en vigueur dudit décret ?
Par le biais des mesures transitoires, il était ainsi prévu de les dispenser du fatidique concours.
Par la suite, ce qui devait constituer une exception s’est imposée en règle. Très réticente à organiser le concours pour donner la chance à tout diplômé en droit, la chambre a continué d’inscrire les siens dans le registre. Jusqu’en 2009. A cette date, le gouvernement modifie encore le statut, mais le concours est maintenu. Encore une fois, des mesures transitoires ont été prévues pour dispenser ceux qui ont été inscrits au registre entre 2002 et 2009. Dernièrement, ces derniers ont tous bénéficié d’un arrêté d’aptitude.
Quand certains des bénéficiaires avouaient qu’ils ne remplissent pas tous les critères
C’est d’ailleurs s’appuyant sur ces nominations qu’elles considéraient comme anormal, que les bonnes dames justifiaient leurs prétentions. Le ministre répondait : ‘’Cette dérogation n’était accordée qu’aux personnes alors inscrites au stage de notaire, au moment de l’entrée en vigueur du décret de 2009, soit le 25 juillet 2009. Or, il résulte de vos attestations de stage que vous avez toutes débuté votre stage entre novembre 2009 et octobre 2012, soit après la date précitée. Vous ne pouvez, par conséquent, bénéficier des dispositions dudit décret.’’
Après ces réponses très claires, l’insistance de la Chambre des notaires du Sénégal indispose plus d’un, qui s’interrogent sur les raisons de ce lobbying intense. Selon nos sources, l’objectif est surtout de coopter des personnes bien identifiées, des filles de…, neveux de…, etc. Laissant en rade une trentaine d’autres collaborateurs avec les mêmes diplômes, la même expérience ou plus, mais dont le seul tort est de n’avoir aucun parrain au sommet de la République ou du notariat.
Ironie de l’histoire, certains collaborateurs qu’ils cherchent à intégrer vaille que vaille, avaient participé au concours d’accès à la profession, mais y avaient échoué. D’autres fils de… n’avaient même pas jugé utile d’y participer, préférant user de subterfuges pour accéder à la profession. Pendant ce temps, les seules personnes qui remplissent tous les critères définies par les lois en vigueur dans ce pays se tournent les pouces. Pourtant, il leur suffit une simple signature d’un décret par le président de la République, pour pouvoir exercer leur métier. Ignorant complètement ces lauréats du concours, la chambre préfère s’activer dans le recyclage des recalés.
Chez les 22 notaires issus du seul concours jamais organisé au Sénégal (en 2013), le sentiment de désespoir croît de jour en jour. ‘’C’est comme si, dans ce pays, il y a deux catégories de citoyens : ceux qui ont droit à tous les privilèges et ceux qui n’ont droit à aucun’’, s’étrangle un de nos interlocuteurs. Dans une lettre ouverte publiée récemment, le coordonnateur du collectif des 22 notaires en attente de titularisation en appelait à l’intervention directe du président de la République. Il s’indignait : ‘’La discrimination dont nous sommes victimes a, comme toujours, un indispensable complément : le favoritisme. Nous ne sommes certes pas issus de familles de notaires, mais notre qualité de citoyens de la République nous permet d’espérer et de compter sur la haute bienveillance de votre autorité suprême pour nous conférer et garantir ce qui nous revient de droit.’’
Ceci est le nième cri du cœur du collectif issu du seul concours organisé au Sénégal pour accéder à la profession de notaire. Las d’attendre une nomination qui tarde à venir, Mansour Diop exprime son désarroi et supplie le chef de l’Etat : ‘’Nous craignons pour notre avenir. Et comme nos frères qui prennent les pirogues du désespoir, nous ne savons guère sur qui compter, en dehors de vous. Il nous est absolument impossible de renaitre de parents notaires ; et sauf votre intervention dont nous implorons l’arrivée, nous ne serons jamais notaires, malgré les diplômes, concours, stages, attestations, arrêtés d’aptitude, attestations…’’ Mais surtout, malgré leur compétence, dont la réussite au très sélectif concours représente une preuve plus qu’éloquente.
MOR AMAR