Publié le 29 Apr 2012 - 17:50
REPORTAGE CHEZ LES DISCIPLES DE BETHIO

Dans l’univers mental des Thiantacounes

 

Entre Cheikh Béthio Thioune et ses disciples, c’est une grande histoire d’amour que les vicissitudes de la vie ne peuvent ébranler. À des exceptions près.

 

Université Cheikh Anta Diop. Il est à 15h dans ce temple du savoir. Un vent tiède chasse des tourbillons de poussière. La valse des étudiants rythme l’ambiance. Difficile de dénicher un seul ''Thiantacoune'' dans cette atmosphère. Aucun des étudiants rencontrés dans les différents pavillons ne porte l’effigie du Cheikh, signe distinctif d'appartenance. De même, aucun interlocuteur ne veut nous orienter vers un fidèle du Cheikh en garde-à-vue puis écroué à la prison de Thiès.

 

Le regard est méfiant chez bon nombre de personnes rencontrées. Les disciples se fondent dans la masse. C’est Babacar Sall (*), un étudiant à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (FASEG) qui acceptera de se dévoiler après nous avoir longuement inspectée du regard. Par la suite, les autres s'exprimeront sur les qualités de leur guide qu’ils présentent comme un ami, un homme d’une grande générosité, mais aussi comme un roc solide. ''Et pour rien au monde, disent-ils à l’unanimité, ils ne tourneront le dos au Cheikh qui les a tirés des ténèbres pour les guider vers la lumière. Notre amour pour lui est grandissant, rien ne peut le faiblir'', s’exclame un étudiant qui préfère garder l’anonymat.

 

 

Entre amour et désamour

 

Si les Thiantacounes sont considérés, pour d’aucuns, comme des êtres singuliers, sous l’emprise d’un envoûtement, une forte conviction rythme leur discours. La plupart ont fait allégeance au Cheikh, par pur amour du vénéré Serigne Saliou, d’autres sous la bénédiction du saint homme qui orientait des disciples vers cet homme qui a initié le cànt pour lui rendre grâce : ''Serigne Saliou dit que quiconque suit Béthio Thioune aura l’agrément de Dieu et de Serigne Touba dans la vie d’ici-bas et dans l’au-delà. Voir Béthio revient à voir Serigne Saliou, Serigne Touba…''. Raison suffisante pour que des millions de disciples affluent vers lui.

 

 

''Je ne peux expliquer mon choix''

 

Pour autant, tous n’arrivent pas à justifier les raisons qui les ont incités à porter leur dévolu sur Béthio. C’est le cas de Fadel Sakho, dit Bëgg jamm. ''J’éprouve les mêmes peines que tout humain à justifier la présence de l’âme dans le corps humain. Il incarne notre âme dans la vie d’ici et dans l’au-delà''. Rencontré chez lui, à la Gueule Tapée, il dégage une forte personnalité. Il est d’un calme qui force le respect. Il jouit d’une grande popularité et a fait adhérer toute sa famille au mouvement religieux des thiantacounes.

 

Dire que lorsqu’il se rendait, pour la première fois à un cànt organisé en 2002, cet ex-talibé tidiane ne s’imaginait guère que son destin se lierait avec celui des thiantacounes. ''J’y suis allé par pure curiosité. Je ne comprenais pas que des hommes puissent ramper pour un autre, mais je ne sais comment l’expliquer, j'ai fait acte d’allégeance, le même jour, au cheikh, après l’avoir écouté religieusement. Il m’a rassuré''. Bëgg jamm, dont la maison est un grand lieu de rassemblement, rit sous cape à l’idée d’un envoûtement. ''C’est insensé. C’est une thèse qui ne tient pas la route, ce sont des informations distillées par les détracteurs du cheikh jaloux de son succès et de sa popularité. Comment expliquer l’adhésion des milliers de talibés basés à l’étranger qui ont fait acte de soumission, au téléphone, sans avoir rencontré, au préalable, le cheikh ?''

 

 

Pas de potion magique à l’origine !

 

Toujours est-il qu’ils sont nombreux qui déclarent avoir trouvé des repères solides, grâce au Cheikh. Comme l'étudiant Babacar Sall. ''Malgré mon niveau d’études, je cuisine durant les grands événements. L’argument selon lequel, le marabout ensorcelle ses disciples ne tient pas la route. Si c’était le cas, on aurait, en premier, envoûté les membres de notre famille. Car, Cheikh Béthio est le meilleur guide. Il est une source de bénédiction. Notre allégeance est du ressort de Dieu. Grâce à lui, on surmonte les épreuves de la vie et l’on s’adapte à toutes les situations''.

 

 

«Une cabale» contre leur chef religieux

 

Que ce soit Babacar Sall ou ses condisciples en année de Maîtrise au département de Physique Chimie ou encore Fatou Coly, étudiant en 1ère année en Sciences juridiques, tous tiennent à renouveler leur attachement à leur guide. Celui-ci serait simplement victime de cabale, voire de manigances politiques. ''Le cheikh dérange au plus haut niveau, en raison des pouvoirs que lui ont conférés Serigne Saliou, lui un griot qui n’est pas un descendant de la famille, qui est le marabout de l’élite intellectuelle et sociale. Serigne Saliou lui a dit qu’il a placé entre ses mains le meilleur de chaque famille'', témoigne Fatou Coly. Pour les thiantacounes, Béthio est en train, à l’image des saints et des grands hommes qui ont marqué leur époque, de faire face aux péripéties de la vie. Mais, ''il en sortira grandi'', martèle-t-on. Et Fadel Sakho, un horloger, d’ajouter : ''Papa, maman, grand-père, personne n’a réussi à nous détacher de lui. Ce ne sont pas les coups bas de ses détracteurs qui nous feront fléchir. Serigne Touba a été emprisonné pendant 7 ans, Mame Cheikh Ibra Fall a été qualifié de tous les noms, cela n’a en rien impacté de façon négative sur leur dimension spirituelle, notre cheikh est de classe exceptionnelle…''.

 

 

Le Cheikh, une caution morale ?

 

Que nenni ! arguent-ils à l’unanimité. Pour les disciples, ce n’est pas fortuit si l’ancien administrateur civil sert de guide à la crème du pays, dans tous les secteurs de la vie, notamment des intellectuels d’une grande probité morale.

 

''J’étais Dj, mais depuis que je suis devenu thiantacoune, je n’écoute plus la musique, je ne vais plus aux soirées dansantes. Les khassaïdes et la lecture du Coran revivifient mon âme et mon cœur, il m’a métamorphosé'', souligne Babacar Sall.

 

Étudiant en physique chimique, Assane Samb estime pour sa part que ses parents doivent ''rendre grâce'' au cheikh. ''J’ai été un enfant terrible. On m’appelait équipe nationale, car je pouvais sortir avec onze filles à la fois. Mais, j’ai gagné en maturité. Nul d’entre nous ne s’enferme dans une chambre avec une fille. Pour vous dire que les délinquants ne sont pas des nôtres. Ils se cachent derrière l’effigie du cheikh pour commettre leurs forfaits''.

 

(*) Tous les noms sont d'emprunt sur demande insistante des intéressés.

 

Matel BOCOUM

 

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