Publié le 15 Apr 2024 - 19:14
SAINT-LOUIS - POUR DE MEILLEURES PERFORMANCES EN RIZ

Un ingénieur-stratégiste propose le concept “AISE”

 

Des études ont montré que la demande nationale du Sénégal en riz blanc se situe à peu près à deux millions de tonnes, soit 1/10 de la consommation ouest-africaine en riz. Mais malgré les gros efforts des gouvernements successifs, la production nationale peine à donner les résultats escomptés. D'où la proposition de l'ingénieur Tandakha Ndiaye avec le concept “AISE” qui réunit les acteurs (A), les institutions (I), le secteur (S) et l’environnement (E). 

 

Pour l'ingénieur-agriculteur Pape Tandakha Ndiaye, le concept “AISE” se présente sous la forme d’un diagnostic directif, faisant un cadrage de la problématique du secteur du riz du Walo.

Donc, en premier lieu, il faut s’attaquer à la formalisation des acteurs par la traduction des unions de producteurs et des particuliers de coopératives agricoles fortes par une administration étatique forte. “Pour les acteurs, on prône les trois F : formalisation - formation - financement. Pour la formation et les financements, ce serait vraiment dommage ou bien illusoire chez nous de le faire supporter aux acteurs. Donc, on a mis les solutions relatives aux formations et aux financements, au niveau des institutions. D’ailleurs, 70 à 80 % des solutions prônées seront des solutions institutionnelles’’, informe-t-il. 

S’agissant des institutions, Pape Tandakha Ndiaye renseigne : ‘’On a travaillé sur la problématique et on en ressort sept axes majeurs.  C’est important qu’on ait des barrières à l’entrée, parce que le riz impacte la souveraineté alimentaire de notre pays. Mais pour se faire également, on sait tous que les intrants joueront un rôle déterminant. Donc, dans la souveraineté, je propose qu’on puisse nationaliser l’ensemble des sociétés qui produisent des phosphates qui sont une matière première de la production des engrais. Le Sénégal avait fait siennes ces sociétés-là. Avec l’avènement du libéralisme, on les a pour la plupart privatisées. Ce qui a externalisé l’achat de ces intrants, mais nous a poussés aussi à avoir des déficits de devise”.

‘’L’échec le plus cuisant’’

Aujourd’hui, l’ingénieur-stratégiste estime que l’échec le plus cuisant des programmes d'autosuffisance en riz, c’est d’avoir voulu hausser la production par l’augmentation des surfaces exploitables, alors qu’on doit privilégier l’augmentation de la production par le rendement. Il s’explique : ‘’Le rendement du riz dans la vallée du fleuve Sénégal tourne autour de 7 à 10 t par ha.  Aujourd’hui, le défi pour les chercheurs, c’est au moins d’essayer de voir les rendements les meilleurs au monde et qu’on puisse s’approcher de nos producteurs pour pouvoir le produire. Et cela est à notre portée, si on prône le transfert des compétences et le transfert des technologies dans notre démarche. Il nous faut prôner une agriculture durable, mais hautement productrice et consommatrice de peu d’espaces. Parce que l’espace est limité dans le temps, alors que les hommes ne sont pas limités. Comme nous le savons tous, la démographie est galopante, alors que le foncier est constant. C’est pourquoi on adopte une solution d’augmentation des rendements, c’est-à-dire une production agricole durable et hautement productrice. Il faut aussi faire la refonte de la politique céréalière actuelle qui s’était axée que sur le riz au détriment du mil, du sorgho et du maïs.” 

Selon toujours Pape Tandakha Ndiaye, l’approche systématique au détriment de l’approche systémique a fini par marginaliser certaines de nos céréales locales sans que les objectifs soient atteints. “De 2008 à 2017, deux programmes nationaux d’autosuffisance en riz (Pnar 1 et Pnar 2) ont été mis en œuvre sans que les objectifs espérés  soient atteints. Pourtant, ces programmes d’autosuffisance en riz successifs ont englouti plus d’un millier de milliards francs CFA. Pire, les Pnar 1 et Pnar 2 ont fini même par créer des déséquilibres dans le domaine des autres céréales locales”, constate Pape Tandakha Ndiaye. 

Des manquements qu’il faut rectifier en se fixant un objectif systémique céréalier dans le respect de la biodiversité et des secteurs connexes.  

Plaidoyer des infrastructures de desserte des zones de production

Raison pour laquelle il conseille l’implication des agences d’exécution des routes dans l’élaboration des infrastructures de desserte des zones de production en les incitant à une utilisation de matériaux adéquats aux environnements salins et inondables. “Le talon d'Achille, le maillon faible de la production du riz de la vallée reste les routes et les pistes de production.  Les parcelles et les ilots de parcelles sont desservis par des pistes en argile pour la plupart donc impraticables pendant l’hivernage ce qui rend les opérations logistiques fastidieuses, surtout en période de moissonnage hivernal, entrainant souvent des abandons de production. Donc, la donne doit changer avec des voies de production plus adaptées pour mettre en valeur ces zones de rente. Des pistes et routes de production de qualité qui peuvent être alliées à d'autres ambitieux projets de transport des productions de la vallée du fleuve Sénégal dont la route dite boucle du riz et le transport fluvial pour assurer un transport multimodal’’, conseille M. Ndiaye.

L'ingénieur-agriculteur souligne d’ailleurs qu’il existe un important projet de navigation de l’Omvs sur le fleuve Sénégal. Un projet que les producteurs pourraient mettre à profit pour ressortir leurs productions. ‘’Parce qu'il est illusoire, dit-il, de penser que toute la production de riz de la vallée doit être évacuée par la route.  Pour la boucle du riz, je lance un appel solennel au président Diomaye Faye pour sa rapide réalisation, car il sera une grande utilité pour les populations du Walo”, lance le stratégiste Tandakha Ndiaye. 

Mettre en place une politique à ces rémunérations

Pour mieux accompagner la production rizicole, renchérit-il, il est temps que l’État du Sénégal puisse également limiter son intervention dans la structuration des prix des produits agricoles. “L’État doit garantir des prix rémunérateurs auprès des producteurs. On a de braves producteurs, mais les prix étant plafonnés. Donc, je pense qu’on doit faire une étude pour voir quels sont les prix rémunérateurs, et comment on pourra au moins compenser ou bien mettre en place une politique à ces rémunérations’’, suggère Pape Tandakha Ndiaye.

Le stratégiste invite aussi l’État à mettre en place un système de suivi et de contrôle des intrants pour s’assurer de leur qualité et lutter contre les détournements. ‘’Étant dans tous les cas un partenaire avec les producteurs, l’État doit contrôler nos sous qu’on met dans la subvention des intrants afin qu’on voit la finalité de ces subventions”, déclare M. Ndiaye. 

Ainsi, il conseille aux autorités la mise en place d'un fonds de financement sur le moyen terme avec un suivi par campagne adossé à des résultats et des critères de coercition, mais également l’incitation du privé local à investir dans la production agricole par des mécanismes fiscaux. 

IBRAHIMA BOCAR SENE (SAINT-LOUIS) 

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