Publié le 9 May 2020 - 02:53
SIDY BA, PORTE-PAROLE DU CONSEIL NATIONAL DE COOPERATION ET DE CONCERTATION DES RURAUX (CNCR)

‘’Si le Sénégal n’émerge pas, c’est en grande partie à cause de l’agriculture…’’

 

Face aux difficultés des agriculteurs, le porte-parole du CNCR propose, dans cet entretien, des solutions de sortie de crise. Il plaide également pour une meilleure implication des ruraux dans les prises de décision du secteur agricole.

 

La pandémie de Covid-19 n’a épargné, à ce jour, aucun secteur.  Qu’en est-il du domaine agricole, en cette veille de campagne ?

Tout à fait. L’impact est négatif, à tout point de vue, parce que, d’abord, le fait de ne pas bouger, de rester sur place, c’est un problème. Depuis le 23 mars, on est confiné chez nous, on est confiné dans nos régions, on est confiné dans nos villages. Nos lieux d’échanges ont été fermés et nous avons des crédits en souffrance au niveau de nos producteurs, car il y a certaines institutions avec lesquelles on a eu à faire une contractualisation. En ce moment, on devait être en train de payer ceux qui nous avaient prêté des intrants. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas le faire, nous ne pouvons pas aller là où se trouvent les producteurs pour récupérer cet argent-là et revenir reverser cela à nos créanciers. Egalement, on ne peut pas faire un suivi correct des stocks de semences qu’on a au niveau de nos villages, de nos groupements et voir ce qu’il en est au niveau de la qualité, voir s’il y a des problèmes, ce qu’il faut faire.

Tout compte fait, cette pandémie a des incidences très négatives sur la campagne agricole et sur le monde rural de manière générale. Même ceux qui sont dans le secteur de l’élevage ne sont pas épargnés, parce que c’est avec le bétail qu’ils vendaient qu’ils arrivaient à se faire de l’argent. Aujourd’hui, cet argent, ils ne peuvent plus l’avoir, parce qu’ils n’ont pas de marchés où vendre.      

Le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural a annoncé le démarrage de la mise en place des intrants agricoles. Vous confirmez ?

 Le ministre n’a pas encore mis une seule graine dans les points de collecte. Pas une seule graine, à ce que je sache, n’est mise à disposition dans les points de vente de semences. Pas un seul gramme d’engrais n’est encore mis à la disposition des agriculteurs, pas une seule commission, à ce que je sache, n’est encore mise sur place pour cette distribution et cette vente de semences certifiées. Peut-être que cela est effectif niveau du Sud, c’est possible, mais au niveau du bassin arachidier, je n’ai aucune information allant dans ce sens. C’est pourtant la période idéale pour mettre en place les commissions et cela doit se faire avant le 15 mai et les ventes des semences doivent démarrer entre le 15 mai et le 15 juin. C’est la période idéale.

Maintenant, la question est de savoir si, avec le confinement, avec la restriction dans les déplacements, les autorités nous donnerons la permission, l’autorisation de prendre les semences dans certains endroits et de les amener là où il en manque. Probablement, on aura besoin de dérogation, mais tel n’est pas encore le cas.

Que pensez-vous du document de sécurité alimentaire en riposte à la Covid-19 produit en mars 2020 ?

J’aimerais préciser que le ministre de tutelle n’a parlé avec aucun membre de notre organisation professionnelle. Il n’a pas interpellé le CNCR, alors que nous devrions être au cœur de ce processus. Ce plan de riposte pour une sécurité alimentaire face à la Covid-19 s’est fait sans nous les agriculteurs. Je pense que lorsqu’on doit concevoir un document de ce genre, il est bon que toutes les plateformes paysannes, ou au moins que l’une des plus représentatives du Sénégal soit impliquée, et c’est valable pour toutes les spéculations. C’est nous qui travaillons, d’autant plus qu’eux ne font que nous accompagner dans ce que nous faisons. Donc, je pense que produire un document sans les paysans, c’est être contre leur volonté. Or, c’est censé être pour leurs intérêts. On aurait dû être associé à la conception et à la mise en œuvre de ce plan de riposte. Mais, tel n’a pas été le cas. Ce sont des choses qui pouvaient avoir lieu grâce à la vidéoconférence, non seulement avec le CNCR, mais avec tous les acteurs du secteur et avec certains leaders paysans qui sont au niveau des régions. Qu’on cherche à leur demander leur point de vue, envoyer des mails et demander la contribution de ces derniers. On aurait réagi volontiers. Mais ni par Internet ni par vidéoconférence, nous n’avons pas été contactés. Je ne trouve pas cela normal pour des gens qui se respectent et l’anomalie a commencé par le chef du ministre qui a eu à s’entretenir avec tout le monde, sauf les paysans. Peut-être que les réalisateurs de ce plan n’ont fait que suivre la voie de leur patron qui n’est autre que le chef de l’Etat. Il a reçu tout le monde sauf les organisations professionnelles agricoles.

J’ai l’impression que nous sommes quasiment pris pour des ‘’moins que rien’’.  Donc, les gens se disent même si on ne les reçoit pas, même si on ne prend pas leur point de vue, nous allons réfléchir à leur place, comme il est de coutume d’ailleurs. Je pense que cela n’est pas bénéfique, pour un pays qui veut émerger à travers l’agriculture, parce que si le Sénégal n‘émerge pas, c’est en grande partie à cause de l’agriculture. Elle n’est pas soutenue comme il se doit. Si les producteurs étaient impliqués, les choses allaient mieux marcher.

Les banques rechignent à faire des prêts aux agriculteurs, les poches se vident… Qu’est-ce qu’il urge de faire, en ce moment, pour sauver la campagne agricole ?

 Nous pensons qu’il est bon qu’au regard de cet impact négatif de Covid-19 sur le monde rural, à défaut de gratifier les semences et les intrants, qu’ils nous soient vendus à des prix avec une forte subvention de 70 à 75 %. A mon avis, c’est le minimum que l’Etat peut faire, subventionner fortement les semences et les engrais pour que les paysans puissent acheter, parce qu’ils n’ont plus d’argent et ils n’ont plus les moyens de se faire de l’argent en monnayant leur talent à Dakar, dans les grands centres, ni même dans leur espace territorial. Avant, ils vendaient soit deux poulets, des chèvres, des moutons, leurs vaches, leurs produits agricoles transformés pour avoir un peu d’argent. Voilà bientôt deux mois qu’on ne peut plus rien faire et on ne nous a aussi rien donné. Cet avenir clair-obscur nous inquiète vraiment.

 Des leçons à tirer de cette pandémie, il y en a forcément. Quels chantiers, après la Covid-19 ?   

Les autorités doivent avoir une nouvelle approche, parce que nous vivons des changements climatiques. Je pense qu’aujourd’hui, il est bon qu’on réfléchisse sur une correcte maitrise de l’eau en saison sèche comme en saison de pluie, parce que nous avons des saisons de pluie erratiques et nous avons aussi des sols éprouvés qui ne répondent pas tellement à nos espérances. Des sols qui produisent en deçà des prévisions. Il faut changer de paradigmes, essayer une autre voie, à savoir promouvoir l’agro-écologie sous toutes ses formes pour s’inscrire dans la dynamique du PSE vert.  Si les choses sont laissées en l’état, on va vers l’abime, ce que je ne souhaite pas.

Il est bon que les gens se concertent. Les différents acteurs, l’Etat et les organisations professionnelles doivent échanger. Le Sénégal nous appartient tous ; il faut qu’on ait des concertations afin que nous agriculteurs puissions nourrir tout le monde, que le Sénégalais puisse nourrir le Sénégalais et ne plus dépendre du riz importé de l’Inde. On doit promouvoir la consommation de ce que nous produisons et là aussi, il faut qu’on nous accompagne, qu’on nous soutienne dans la production, une production suffisante. Que l’huile sénégalaise produite au Sénégal soit consommée au Sénégal, que le riz produit au niveau de la vallée soit consommé par les Sénégalais, que les oignons qui pourrissent au niveau de la vallée soient consommés par les Sénégalais et qu’ils soient inclus dans le processus de distribution de l’aide alimentaire qui est en cours dans le pays.

Les fruits et légumes au niveau des Niayes peuvent être utilisés pour cette même aide. Encore une fois, la concertation doit être de mise à chaque fois qu’un problème pareil survient et elle devait commencer par nous demander comment nous envisageons le Sénégal après le Covid-19. Mais on ne nous l’a pas demandé. C’est un cri du cœur que je lance et que je veux que les autorités entendent et qu’elles prennent au sérieux ce que nous disons au lieu de nous taxer d’oiseaux de mauvaise augure, alors que ce n’est pas le cas. Nous sommes des patriotes. Nous sommes une organisation citoyenne apolitique autonome. Nous ne voulons que le bien-être du Sénégal.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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