Publié le 25 Jun 2016 - 00:26
UNE MATINEE A REBEUSS

Le combat pour la survie

 

Rebeuss fait peur. Non pas parce qu’il y règne l’insécurité, mais simplement parce que ce nom renvoie à la plus grande ou célèbre prison du Sénégal. Les habitants de ce quartier de Dakar sont souvent classés dans la catégorie des personnes  ‘’dangereuses’’. Mais cela ne fait pas d’eux des délinquants, comme d’aucuns veulent le croire. Après l’opération de déguerpissement annoncée aux alentours de cette prison, EnQuête a fait un tour sur les lieux. Un constat, des allégations, c’est un état  des lieux qui… passe par le retour sur l’histoire même de cette vieille localité.    Reportage !

REPORTAGE

Rebeuss, ce bidonville. Mercredi 22 juin 2016. Une forte canicule sévit et incommode les habitants, en ce sixième jour du mois de Ramadan. Pourtant, pour nombre d’entre eux, notamment ceux dont les habitations sont contiguës à la célèbre prison, l’objet de leur tourment est ailleurs. L’imminence de leur déguerpissement étreint les cœurs. Une centaine de maisons sont concernées. ‘’Je suis venue rendre visite à des membres de ma famille, parce que j’ai entendu à la radio que l’on devait déguerpir les habitants aujourd’hui (avant-hier)’’, dit une dame assise sur un banc, la mine défaite. A côté d’elle, une jeune femme allaite un charmant nouveau-né.

C’est une Guinéenne qui a quitté son pays natal, il y a à peine un an. Devoir quitter sa modeste et étroite demeure lui a coupé l’appétit. ‘’Nous ne sommes certes pas dans de très bonnes conditions sur le plan de l’architecture, comme on peut le constater, mais il y a la paix. Et c’est l’essentiel. J’ai 5 enfants et si du jour au lendemain, on nous demande de chercher ailleurs, cela nous perturbe forcément’’, dit-elle d’une voix douce, dans un wolof aux accents peuls. Dans sa chambre exigüe, sont disposées un lit de deux places, des ustensiles de cuisine, des seaux et des habits bien enveloppés dans des nattes et superposés le long du mur. Tout est ordonné, malgré les modestes moyens. Et pourtant la location coûte cher. ‘’Personnellement, tout ce que je peux déplorer ici, c’est la cherté de la location. Mon mari débourse 30 000 francs à la fin du mois pour cet espace’’, dit-elle.  

Ce petit quartier est en réalité entouré de garages de mécaniciens. C’est d’ailleurs, dit-on, à eux que sont destinées les sommations. ’’On nous a expliqué qu’il y a confusion dans cette histoire de déguerpissement. Hier, le sous-préfet nous avait convoqués pour clarifier la situation. Et donc, les citations concernaient les ateliers de mécaniciens et non les habitations. D’ailleurs, elles ont été retirées’’, explique le délégué des jeunes, trouvé juste en train d’aborder le sujet avec d’autres riverains. 

Du côté des garagistes, c’est tout aussi le désordre. Censés être les déguerpis, ils ne sont toujours pas éclairés sur le motif. ‘’On nous avait donné des sommations, dans un premier temps, pour que les voitures qui occupent cet espace soient délogées. Ensuite, l’on nous dit que cette mesure concerne les habitations qui sont aux alentours de la prison. Mais tout à l’heure, on est revenu nous dire que seules les voitures garées sur la route doivent  dégager’’, confie Nar Samb, occupant d’un atelier mécanique qui date de 1966. 

Anarchie

A Rebeuss bidonville, les rues ne sont pas toutes faites. L’on se perd facilement dans les dédales de ruelles et les habitants ne se lassent de montrer la bonne direction aux étrangers. Ici le mot urbanisme est absent du vocabulaire. L’anarchie est le maître-mot. Parfois, l’étranger pense trouver une issue et se retrouve dans une autre maison. Dans l’intimité d’une famille. D’ailleurs, il est difficile de faire la différence entre les maisons et les chambres construites comme ça, de façon isolée. Les propriétaires de ces logements habitent rarement sur place. Presque tout est en location. ‘’On ne peut pas surveiller tout le monde. Peut-être qu’aujourd’hui, d’aucuns louent leurs bâtiments comme bon leur semble. Mais ce qui est sûr, c’est que Rebeuss est célèbre par sa location très abordable. Jusqu’à présent, des chambres sont louées  à 7 500, 10 000 voire 15 000 F Cfa’’, renseigne un habitant.

Le lotissement, les conditions d’habitations sont des problèmes que les populations sont obligées de ne pas se poser. Régulièrement, on parle, dans le quartier, de déguerpissements. ‘’Lorsqu’on parle de logements sociaux, on tend une oreille plus qu’attentive. On se dit que c’est peut-être pour nous les habitants des bidonvilles. Mais ces logements sont habités maintenant par des propriétaires de R+4’’, raille M. Dione. Qui ajoute : ‘’On a dit au maire, lors de sa visite, qu’on ne refuse pas de quitter les lieux. Mais si jamais cette mesure arrive, qu’on nous donne des conditions bien précises. On n’a pas choisi d’être des pauvres, mais on en est fier. Puisque c’est une volonté divine. Cependant, on n’acceptera jamais qu’on nous jette dans la rue, comme ça.’’

Fin de panique à Rebeuss …

Si Rebeuss fait toujours peur, le constat est que le quartier, lui, s’est vidé de toute son agressivité d’antan. Il n’y a que quelques petits soulards qui traînent, dit-on. Ici, il est formellement interdit de dire que c’est une localité de drogués. ‘’On crée des rumeurs pour libérer l’espace. Quand on a voulu vendre le stade Assane Diouf, on a fait croire que des gens s’y droguaient. Actuellement, toutes sortes de rumeurs infondées circulent’’, déclare sur un ton mélancolique le responsable du collectif des jeunes. ‘’Tout le temps, on parle de tonnes de drogues saisies. Mais ce n’est jamais à Rebeuss’’, poursuit-il.  

Partout, dans les rues de ce ‘’quartier-village’’, c’est la même rengaine : on réclame le respect. ‘’On se bat pour ne pas qu’on ne nous entende dans certaines choses. D’ailleurs, on n’entend jamais de viol, de vol ou d’agression à Rebeuss. Les gens ont peur, parce que cette localité a une histoire ancienne. Mais là, ce n’est plus le cas’’, dit un jeune homme révolté. ‘’Dans les années 70 fin 80, c’était un lieu mal famé et on le reconnaît. Aujourd’hui, tout ce qu’on peut entendre venant de nous, c’est à propos de notre équipe de Navétanes ‘’Xandalou’’, poursuit-il. Par ailleurs, un mécanicien confie que l’argument de l’insécurité liée aux évasions ne tient pas. Car ils sont les premiers à infiltrer les évadés pour ensuite les ramener. ‘’Les cas sont innombrables. On les éconduit toujours. Donc, nous ne sommes pas là pour les protéger, mais pour travailler’’, laisse-t-il entendre. 

Que disparaissent ces ‘’bars-clandos’’!

A Rebeuss cohabitent musulmans et chrétiens. ‘’Ici, il y a des Diolas, des Manjaques, des Sérères, mais surtout beaucoup de Peuls’’, confie un riverain. Non loin d’une petite mosquée se dresse un bar à l’effigie duquel on peut lire : ‘’Bar Goorgoorlu chez Marcel’’. Seulement, ce n’est pas le seul endroit où l’on peut trouver de la  boisson alcoolisée. Les ‘’bars-clandos’’ pullulent. Ce que déplorent des jeunes que nous avons rencontrés. ‘’Ce que l’on dit concernant les drogués et les fumeurs de chanvre n’existe pas ici. Ce sont des contrevérités. Seulement, il y a la vente de boisson alcoolisée. Et on est en train de lutter pour éliminer définitivement ces ‘’bars-clandos’’. Et cela dans un bref délai’’, martèle-t-on. ‘’Ce sont des habitants d’ici qui le vendent, des voisins. Depuis que nous sommes jeunes, nous faisons face à cette vente. Mais puisque cela commence à servir d’arguments pour ceux qui veulent nous déguerpir, nous allons le combattre et mettre fin à ce commerce pour de bon’’, fulmine le ‘’Rebeussois’’. Toutefois, ce collectif tient à préciser qu’il ne peut rien contre les bars qui bénéficient déjà de leurs licences.

SERIGNE FALLOU DIONE, PRESIDENT COLLECTIF ‘’AAR SUNU GOX’’

‘’Nous avons toujours été sur nos gardes et avons empêché des évasions‘’                        

‘’Je suis né en 1986 et j’ai assisté à de nombreuses évasions qui ont été empêchées par la population de Rebeuss. Tout prisonnier qui est passé par là a été ramené en prison par les habitants. Vers les années 94, on était certes très jeunes, mais on se rappelle une mutinerie. Les prisonniers avaient pris position sur les miradors avec des armes blanches. Mais les populations se sont interposées. On a toujours été sur nos gardes. On habite près de la prison et on sait les dispositions sécuritaires qu’il faut prendre.’’

Notre interlocuteur embraye sur l’affaire Ino et montre là où il a été arrêté. Il montre un enclos et pointe du doigt celui qui l’a arrêté, à l’époque. ‘’Il y a de cela deux ans, un prisonnier allait s’évader aux abords du stade Assane Diouf. Et c’est mon grand frère qui l’a cueilli et l’a ramené à Rebeuss. Nous organisons des ‘’ndogu’’ pour les prisonniers. On les distribue tous les vendredis du mois de ramadan. Après ce mois béni, chaque mois, on distribue des repas. Mais cela ne fait pas de nous des complices et on n’acceptera jamais de l’être. En disant que des gens viennent se cacher ici, on accuse toute une population.’’

Il pointe plutôt la responsabilité des autorités pénitentiaires. ‘’Les évasions sont de leurs responsabilités. La prison de Rebeuss est une des plus grandes et des plus sécurisées. Il y a au moins, à l’entrée, 7 portails blindés et une muraille de 7 à 8 mètres. S’il y a des évasions, on doit pouvoir revoir les choses, ailleurs, mais pas ici.’’   

AMINATA FAYE   

 

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