Publié le 25 Nov 2022 - 22:23
VOTE DU BUDGET DE L'ÉDUCATION NATIONALE

Des débats houleux et des promesses

 

Le ministre de l'Éducation nationale a défendu, hier, le budget alloué à son département, dans une ambiance électrique. Devant la représentation nationale, Cheikh Oumar Hanne a annoncé des projets et programmes. Le budget de son département s'élève à 778 milliards F CFA. 

 

L'Assemblée nationale a été, une nouvelle fois, le théâtre de tensions, hier, lors du vote du budget du ministère de l'Éducation nationale. Les hostilités ont très tôt démarré avec les échanges de mots entre parlementaires. De passage pour la critique de forme du rapport, le député Guy Marius Sagna a vigoureusement dénoncé ''une violation du règlement intérieur de l'Assemblée nationale''. En haussant le ton, le député a dit regretter le refus de respecter l'article 46 de ce règlement qui demande que les rapports soient donnés aux parlementaires 24 heures avant la plénière.

Pour M. Sagna, cela permettrait de lire et d'apporter les observations nécessaires, comme il le faut. Mais des députés du camp adverse n’ont pas voulu l'entendre de cette oreille. D'ailleurs, l'un d'eux a traité Guy Marius de faux activiste. Ce fut le début des invectives. Deux parlementaires ont failli en venir aux mains. L'un a traité Guy Marius Sagna de menteur et l'autre a pris sa défense.

Alors que le temps imparti aux droits de réponse était fini, un député a forcé la main pour prendre la parole, aux dépens du rapporteur général. Il s’en est suivi un siège de la tribune. De légers accrochages ont eu lieu, avant que la situation ne revienne à la normale.

Ainsi, le rapporteur a répondu aux doléances du député Guy Marius Sagna, en rappelant que cette situation est une longue pratique parlementaire. Il a toutefois rassuré qu’il a pris bonne note. Qu'ils s'efforceront de donner les rapports 24 heures avant la plénière, comme le dit la loi. 

Après ces escarmouches, vint le temps de la plénière. Et le ministre Cheikh Oumar Hanne a entendu des vertes et des pas mûres. Notamment du député Thierno Diop qui a évoqué une affaire de détournement dont est accusé le ministre de l'Éducation nationale. "Je ne voterai pas un budget pour un ministre qu'on a épinglé pour détournement. Pire, au lieu de répondre à l'Ofnac, il s'est permis de l'insulter en menaçant de porter plainte. Donc, moi, je ne vais jamais m'associer à ce budget qui lui est alloué''.

''Il faut que nos enfants apprennent dans leurs propres langues''

Concernant le budget qui s'élève à 778 milliards F CFA, les députés ont pris la parole, tour à tour, soit pour le magnifier, soit pour le rejeter. Certains programmes ont retenu l’attention des parlementaires. C’est le cas de l'enseignement coranique. D'où la question du député Mouhamed Chérif Dicko : "À quand la décolonisation de notre système éducatif ?"

Cette interprétation a eu une partie de sa réponse, à travers les annonces faites par le ministre et rapportées par les commissaires. "Le ministre a dit prendre bonne note de la proposition d'inscrire le ''jom'', le ''ngor", et le ''fuula'' dans le logo du Men et a promis d'en étudier la faisabilité'', peut-on lire dans le rapport.

Dans cet ordre d'idées, M. Dicko a plaidé en faveur de l'inclusion et surtout de la valorisation des langues nationales dans le système. Pour lui, c'est faux de dire que les élèves sont nuls. Seulement, on leur a imposé une langue qui n'est pas la leur. Il déclare :"Il faut que les élèves apprennent dans nos langues. Ainsi, vous verrez que nous avons des génies.''

Selon plusieurs interventions, l'enseignement coranique est indispensable dans notre pays. D'ailleurs, informent-ils, les meilleurs élèves sont ceux-là qui ont comme formation de base l'apprentissage coranique. ''Les enfants qui débutent par l'enseignement coranique sont les plus intelligents, une fois dans le français. Ils ont de meilleurs résultats'', disent certains.

Une autre parlementaire de renchérir : ''Il faut, au moins, avoir une pensée pour les maîtres coraniques. Nous vivons dans un pays où il est impossible de ne pas apprendre le Coran. C'est de là qu'on forme les imams qui interviennent dans les mariages, dans les décès, ils sont les régulateurs sociaux…''

Parmi les intervenants, quelqu'un a même fait savoir, sous le regard attentif de Cheikh Oumar Hanne, que les 10 % du budget pourraient régler beaucoup de choses dans l'enseignement arabe ou coranique.

Embouchant la même trompette, le député Cheikh Thioro Mbacké de dire : "On a mis 700 milliards à ta disposition, soit près de 15 % du budget national. Pour nous, issus des daaras, nous ne te demandons pas, mais nous exigeons. Donnez aux daaras leur part et arrêtez de les politiser. Certes, je n'ai pas confiance en toi, mais peut-être que tu feras quelque chose pour les daaras.''

D’autres députés ont émis l'idée de trouver des bulletins de salaire aux maîtres coraniques. 

La réponse à ces préoccupations est, en partie, dans le rapport présenté aux parlementaires. En y jetant un coup d'œil, on peut lire : "Le ministre de l'Éducation nationale a indiqué qu'un diagnostic sans complaisance doit être fait sur ces structures qui accueillent près de 700 000 enfants. Ces derniers ne doivent pas être laissés en rade par le système éducatif''.

Un programme pour les langues nationales en vue

Évoquée par plusieurs parlementaires, la question des langues nationales a intéressé le ministre de l'Éducation nationale. Dans le rapport, il est fait mention d'un nouveau programme pour l'enseignement de ces langues nationales. ''Le ministre a annoncé qu'un Programme de renforcement de la lecture initiale pour tous (RLEIT) est en cours pour les 6 746 écoles des localités de Kaffrine, Kaolack, Fatick, Diourbel, Matam, Louga, Saint-Louis, Kédougou et Tambacounda. Ces écoles ont un effectif total de 466 072 élèves et, en 2028, la généralisation de ce programme sera effective sur toute l'étendue du territoire national''.

En prenant la parole, Ibrahima Diallo a émis le vœu que la diaspora soit prise en compte dans le cadre des stratégies mises en place pour améliorer les conditions de vie des élèves. ''Nos enfants qui sont dans des écoles en Gambie ont besoin d'aide et d'accompagnement. Ces écoles ont besoin d'être aidées pour avoir des cantines scolaires''.

À cette question, le rapport a apporté des réponses : "La restauration à l'école est bien un gage de réussite et, dans beaucoup de pays, ce système est mis sur pied. Toutefois, cela demande des moyens énormes et le gouvernement fait beaucoup d'efforts avec une dotation d'un milliard 300 millions chaque année pour l'implantation de ces cantines dans le plus d'établissements possible pour aider nos enfants.''

Bara Gaye dénonce une iniquité de l'État

Parmi les différentes interventions, celle du député Bara Gaye a donné du fil à retordre au ministre de l'Éducation nationale. Face à Cheikh Oumar Hanne, M. Gaye s'en est pris à l'État 'qui n'a rien fait pour sa commune en termes d'infrastructures scolaires. "Moi, j'ai un problème avec la géographie de vos investissements. Vous n'avez rien réalisé pour ma commune, parce que vous mettez en avant les rapports pouvoir-opposition. C'est pourquoi, en tant que collectivités territoriales, nous avons construit nous-mêmes un collège et un lycée. Mais ce qui déplorable dans tout ça, c'est que nous vous avions invité à l'occasion de l'inauguration, mais vous aviez refusé notre invitation. C'est parce que, tout simplement, je ne suis pas du camp du pouvoir. C'est de l'iniquité ça !".

Le député d’enchaîner avec d'autres injustices dont il estime être victime. ''Quand on interpelle l'État pour la construction d'écoles, il nous parle toujours de problèmes d'espaces, ce qui n'est pas le cas'', s'indigne-t-il, avant de demander au ministre de revaloriser l'école publique et surtout de tenir ses promesses.

''91 % de ce budget seront consacrés aux salaires des enseignants''

Le ministre ne s'est pas laissé faire. En réponse aux nombreuses et différentes interpellations des députés, Cheikh Oumar Hanne a d'abord invité ces derniers à être fiers de ce que son département fait. Sous les applaudissements des parlementaires de la coalition au pouvoir, le ministre de l'Éducation nationale a fièrement rappelé les résultats de son travail : "Aucun pays de la sous-région ne fait mieux que le Sénégal en matière d'éducation'', a-t-il dit. Et pour mieux défendre le budget de son ministère, il annonce que 91 %, soit 720 milliards, sont consacrés aux salaires des enseignants. Monsieur Hanne de se féliciter des réalisations du président Macky Sall. Il laisse entendre : "Sous le régime du président Macky Sall, même quand vous allez dans les zones reculées, sur deux personnes rencontrées, il y a une qui peut lire et écrire.''

Soutenu par les cris et applaudissements de nombreux députés, il fait ces promesses : "Nous allons mettre en place 6 000 classes, en remplacement des abris provisoires. On fera tout pour que tous les enfants aillent à l'école.''

Toutefois, il a ajouté que ce genre d'école n’est pas prêt à disparaître du pays. "Ces écoles de fortune continueront à se développer, en raison de l'évolution démographique et se créeront dans toutes les localités où leur implantation est nécessaire, surtout celles les plus reculées''.

Mais après ce constat, Cheikh Oumar Hanne a annoncé des mesures pour y remédier. C'est ainsi qu'il fait savoir que la résorption de ces ''écoles de fortune'' se fera au fur et à mesure, à travers le Programme de remplacement des abris provisoires (Prorap). C'est un programme qui concerne 6 339 abris sous forme d'allotissement. 

Revenant sur la future rencontre entre le président Macky Sall et les communautés de daaras, il déclare : "Pour cette rencontre prévue le lundi 28 novembre 2022, j'ai instruit les IEF d'aller voir ces communautés et leur demander leurs doléances, avant même la rencontre avec le président. C'est aussi une façon de vous rassurer de mon engagement à accompagner les daaras qui jouent un rôle important dans le pays. Je vais ainsi inclure leurs enseignements dans le système éducatif.''

El hadji Fodé Sarr

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