Des chiffreurs bloqués par les contrats spéciaux de retraités

C’est l’un des corps les plus hermétiques et les plus secrets de la République, veillant notamment à la sécurisation dans la transmission des informations gouvernementales. Il a décidé de rendre publique une complainte qui concerne ses jeunes pensionnaires diplômés qui peine à être intégrés.
L’attente a été longue et l’endurance l’a été tout autant : quatre ans. Pourtant, le personnel du Chiffre s’est décidé à faire entendre sa voix, très rare au demeurant, pour dénoncer la mise à l’écart de la promotion 2015 de cette structure inconnue du grand public.
Elle a en charge l’étude, la conception, l’innovation et l’ensemble des mécanismes des outils et des techniques de mise en œuvre du Chiffre et de la sécurité des systèmes d’information de l’Etat. En somme, la formation des agents chargés de veiller sur la fiabilité et la viabilité des secrets de l’Etat. Ce dernier peut s’épargner de cheveux blancs, car la plainte parvenue à ‘’EnQuête’’ est plutôt un problème de ressources humaines : la non-titularisation de 26 sortants de la promotion 2015. Pour faire clair, souffle une source anonyme, ces derniers sont délibérément maintenus à un statut d’élève, alors que le décret qui devait les faire passer pour des titulaires aurait dû être pris depuis longtemps.
Le mal que dénoncent les indiscrétions tapies dans ce temple du silence, est comparable à celui qui frappe la Fonction publique sénégalaise de manière générale : ‘‘Les vieux chiffreurs ne veulent pas faire valoir leurs droits à la retraite. On leur signe des contrats spéciaux pour une charge de travail qu’ils ne peuvent pas remplir manifestement. Pourtant, les jeunes diplômés, frais émoulus, ne sont pas intégrés’’, se plaint-on. Pour des raisons de sensibilité, l’effectif de ce corps est gardé secret, mais une très grande majorité devait être renouvelée, estime-t-on.
Dans ce corps très hermétique, où l’on se fait un point d’honneur à sécuriser les communications gouvernementales intérieures et extérieures, l’on s’étonne que ces jeunes pensionnaires soient mis dans des situations de précarité de manière aussi délibérée, vu le haut degré de sensibilité des informations qui leur passent entre les mains. ‘‘C’est même paradoxal, par rapport aux hautes responsabilités qu’ils assument. Heureusement qu’ils sont de vrais patriotes’’, renseigne-t-on.
La complainte concerne les élèves de cette cuvée qui ont fini leur formation de treize mois et peinent à se voir appliquer des dispositions légales d’embauche qui leur feront gravir les dix échelons que comporte ce corps pour devenir, éventuellement, chiffreur principal de classe exceptionnelle, la classe la plus élevée. ‘‘Quatre d’entre eux ont même été remerciés en mars 2018, pour avoir exposé, de la manière la plus courtoise possible pourtant, cette préoccupation à qui de droit’’, nous apprend-on. Des élèves qui ont déjà perdu au change, si l’on considère l’article 29 du décret 2014-1306 qui consacre l’échelonnement des chiffreurs de 1re classe, 1er échelon et ceux de 2e classe, après deux années de service effectifs.
Il existe trois corps du cadre du Chiffre que sont les cryptologues, les ingénieurs du chiffre et les chiffreurs. Un dilemme d’autant plus cornélien que ces agents assermentés sont liés par l’obligation de discrétion permanente et définitive, et ‘‘n’ont aucun moyen de recours contre leur hiérarchie qui peut les révoquer ou les bloquer très facilement sans autre forme de procès. La présidence de la République n’ayant pas d’autre élément d’appréciation’’.
Les chiffreurs assurent, sous l’autorité et le contrôle des cryptologues et des ingénieurs du chiffre, l’ensemble des tâches relatives à l’exploitation du chiffre et des systèmes d’information ainsi que des transmissions cryptologiques. Ils servent au service central des chiffres sénégalais et peuvent être mis à la disposition des institutions de la République utilisatrices. La promotion de 2015 a pourtant eu la chance - ou la malchance - d’être la première, après le décret 2014-1306 du 1er juillet 2014 pris par le président Macky Sall, abrogeant et remplaçant certaines dispositions de la loi 83-03 du 28 janvier 1983 portant statut spécial personnel du Chiffre.
Très utilisés sous les présidents Senghor et Diouf, les chiffreurs auraient été relégués au second plan par le régime libéral. L’actuel président de la République, Macky Sall, est en train de redorer le blason de ce corps. Mieux, alors que seules quelques institutions, représentations diplomatiques, et un ministère sont pourvus en chiffreurs, le chef de l’Etat serait dans les dispositions d’en doter l’ensemble des départements ministériels et de l’Administration déconcentrée (préfectures).
OUSMANE LAYE DIOP