Publié le 2 May 2020 - 21:39
COURBE ÉPIDÉMIOLOGIQUE DU CORONAVIRUS AU SÉNÉGAL

Les raisons d’une irrégularité

Pr. Massamba Diouf

 

La stratégie adoptée par le ministère de la Santé et de l’Action sociale pour lutter contre la pandémie, est-elle la meilleure pour contrôler l’avancée du virus dans le pays ? Selon l’épidémiologiste Massamba Diouf, le dépistable ciblé oriente les chiffres de la maladie de façon arbitraire.  

 

Il y a un mois, à mi-parcours des 63 jours de présence de la Covid-19 au Sénégal, le docteur Abdoulaye Bousso affirmait qu’il serait hasardeux de donner la date du pic de l’épidémie dans le pays. ‘’Aujourd’hui, prévenait le coordonnateur du Centre des opérations d'urgence sanitaire, avec toutes les mesures de contingence prises par le président de la République, avec la fermeture de l’aéroport, la suspension des cours, l’interdiction de manifestations, ces effets pourront se faire sentir en principe à partir de la semaine prochaine. Donc, à la fin de la semaine, nous serons à 14 jours de la fermeture des frontières, nous devrons ne plus avoir de cas importés, normalement’’.

Trois semaines plus tard, c’était le président de la République Macky Sall, le mercredi 22 avril sur France Info, qui s’alignait sur la même longueur d’onde, puisqu’à l’époque, il y avait au Sénégal 442 cas officiels, dont 253 personnes sorties de l'hôpital, 6 décès et 182 patients en traitement. Le chef de l’Etat ne s’empêchait pas de prévenir : ‘’Nous devons rester vigilants, car le pic est devant nous. Beaucoup reste à faire.’’

Hier, le ministère de la Santé et de l’Action sociale a annoncé qu’avec les 91 tests revenus positifs des 901 réalisés, le Sénégal a franchi la barre des 1 000 personnes infectées, avec désormais 1 024 cas confirmés. Et sur les deux mois de pandémie que vient de traverser le pays, un sentiment persiste : l’incertitude sur ce que la suite nous réserve. Depuis le recensement du premier cas officiel, la courbe épidémiologique de la Covid-19 est restée irrégulière, impliquant des records éparpillés dans le temps, de contamination et de guérison. Avec la nouvelle statistique observable depuis cette semaine sur les communiqués du ministère, le taux de positivité des tests réalisés, les quatre derniers jours, illustrent parfaitement cette irrégularité : hier, ce taux était revenu aux alentours des 10 %, alors que le jeudi, il était tombé à 4,39 %. Mercredi était observé un taux de 7,37 %, tandis que mardi, il était de 10,4 %.

‘’Tant qu’il n’y aura pas un échantillonnage aléatoire, les chiffres qu’on aura seront arbitraires’’’

Pour le professeur Massamba Diouf, la situation observée est tout à fait normale. ‘’Tant qu’il n’y aura pas un échantillonnage aléatoire, les chiffres qu’on aura seront arbitraires. Comme les tests sont ciblés, l’on peut trouver zéro cas positif, alors qu’il en existe dans la communauté’’, analyse l’épidémiologiste.  

Les variations de la courbe épidémiologique compliquent l’observation d’un pic. En théorie, le pic épidémique d’une maladie est évalué en fonction du nombre de personnes infectées. Comme le défini le Pr. Diouf, c’est ‘’le point à partir duquel l’on peut s’attendre à une inflexion de la courbe épidémiologique’’. Sachant que dans le cas de la Covid-19, la majorité des malades ne développe que peu (ou pas) de symptômes et que beaucoup ne sont pas testés, la courbe de l’épidémie s’appuie, pour beaucoup de pays, sur le nombre de personnes admises à l’hôpital, et donc présentant une forme grave de la maladie. Mais la particularité d’un pic épidémique est que l’on sait qu’il est atteint a posteriori, lorsque le nombre de patients hospitalisés reste stable, puis amorce une décrue durable.

Pas très convaincu par la stratégie consistant à tester des cas ciblés, puisqu’elle ne devrait pas permettre d’atteindre rapidement les résultats attendus, l’enseignant-chercheur à la faculté de Médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar est d’avis que les cas identifiés et isolés ne constituent pas un danger pour la société. Selon lui, ‘’la meilleure manière d’avoir une idée réelle du nombre de cas dans la population, est de tester la communauté, car le virus s’y est installé. Et que l’on donne à tout le monde la même probabilité de faire partie de l’échantillon. Ces chiffres pourront être extrapolés sur d’autres groupes. C’est cela le principe de l’épidémiologie’’.

Le Pr. Diouf rappelle que, dans plusieurs pays, plutôt que de viser un pic, l’on cherche un plateau : ‘’Si on observe l’évolution de la courbe épidémiologique au Sénégal, c’est ce qui se passe. A un moment donné, on avait un nombre de cas qui vacillait entre la vingtaine et la trentaine. L’on a même pu croire qu’il s’agissait du plateau.’’

A la différence du pic, le plateau prend en compte plusieurs points culminants, statistiquement semblables, sur une période déterminée. Seulement, la lecture a changé, lorsque le nombre de tests a été augmenté. ‘’L’on s’est rendu compte qu’il s’agissait, en fait, d’un leurre. La réalité est que le nombre de cas suivait le nombre de tests effectués de manière asymptotique. Ce qui veut dire qu’au Sénégal, on ne peut pas se prononcer sur le pic de l’épidémie’’, assure le spécialiste.  

‘’La réalité est que le nombre de cas suivait le nombre de tests effectués de manière asymptotique’’

Pourtant, l’on pourrait estimer ce pic avec une certaine précision, en utilisant des modèles statistiques mathématiques. Des modèles dits SEIR (Susceptible – Exposed – Infectious – Recovered). ‘’Ce sont des modèle compartimentaux en épidémiologie, qui permettent de déterminer le nombre de personnes susceptibles d’être infectées, le nombre de cas exposés et le nombre de cas réellement infectés. Ils sont suffisamment robustes pour prédire la date à laquelle l’on peut, plus ou moins, s’attendre à une baisse de l’incidence, c’est-à-dire le nombre de nouveaux cas’’, explique Massamba Diouf.

Mais la condition serait de réaliser un dépistage communautaire massif suivant un échantillon aléatoire. ‘’Et à partir de ces données, confirme l’enseignant-chercheur, l’on pourra construire un modèle SEIR pour prédire une date pour éventuellement atteindre un plateau épidémiologique’’.

Un pic d’épidémie ne signifie pas, pour autant, la maîtrise de la maladie et ne justifie surtout pas un relâchement. Il n’est, en effet, pas suivi d’une chute immédiate de la courbe, mais plutôt d’un plateau, comme l’affirme un épidémiologiste de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris : ‘’Cette courbe stagne, puis commence à décroître, avec un nombre de nouveaux cas chaque jour inférieur au jour précédent.’’ Seulement, dans la logique de ne point totalement confiner sa population et dans l’impossibilité de faire respecter scrupuleusement les mesures barrières de sécurité, le Sénégal peine à dégager une stratégie maitrisée pour en arriver-là. 

Lamine Diouf

 

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