Publié le 2 Mar 2023 - 22:05
‘’XALÉ, LES BLESSURES DE L’ENFANCE’’

Moussa Sène Absa filme les plaies 

 

Dans la catégorie fiction, la course à l’Étalon d’or de Yennenga, le Sénégal est représenté par le film ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’ de Moussa Sène Absa.

 

Il y a 20 ans, le réalisateur sénégalais Moussa Sène Absa était en compétition au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, avec ‘’Madame Brouette’’. Il revient en 2023 avec un autre long métrage fiction, ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’. Le premier cité n’avait pas décroché le Yennenga d’or. L’aura-t-il avec le deuxième ?

‘’Les prix m’importe peu. La fête du cinéma est dans le regard des gens. C’est cela mon Yennenga. Le plus important pour moi est la perception du public : voir des gens venir à la fin avec des yeux lumineux, embués ou que le film les marque. C’est cela mon prix’’, sourit-il.

Un prix déjà gagné. Ceux qui sont venus suivre son film au cinéma Neerwaya ont aimé ce qu’ils ont vu. ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’, un film d’une heure quarante-et-une minutes, traite des traumatismes des enfants, des jeunes. Parmi celles-ci, l’émigration. Une thématique bien présente dans la filmographie de Moussa Sène Absa et qui revient dans cette fiction. Elle est présentée à travers Adama, un jeune de Yarakh qui rêve de Paris, des Champs Elysées, de belles voitures, d’une fortune qu’il ne peut avoir qu’en allant en France. Pour lui, c’est Panam ou l’enfer.

Il prit une pirogue. Arrive à bon port, mais ne réalise pas tous ses rêves. Voir Awa, sa jumelle qu’il avait laissée à Dakar, dix ans auparavant, dans la même maison familiale, renseigne à suffisance sur cet état. ‘’L’émigration est une des blessures de l’enfance qui est encore intacte et qu’on n’est pas encore arrivé à guérir. La situation de cette jeunesse débordante d’énergie, qui a envie de faire, de réaliser et de se réaliser, à qui l’on n’a pas offert toutes les opportunités, me peine. Cela me touche’’, explique Moussa Sène Absa à la fin de la projection.

Awa, elle, a été également blessée, souillée par son oncle qui l’a violée, alors qu’elle n’a que 15 ans. Un viol suivi de grossesse qui l’oblige à s’éloigner des classes, alors qu’elle était brillante. Elle finit coiffeuse auprès de sa tata Fatou. De son viol est née une fille, Binta, qu’elle aimera plus que tout et chérira. L’oncle violeur, Atoumane, est banni de sa société.

Moussa Sène Absa présente, à travers son jugement, une autre forme de condamnation, de peine infligée, différente de celle de la prison. Il semble dire qu’elle est plus pénible, parce qu’Atoumane reviendra dix ans plus tard mal-en-point et est juste une loque humaine.

Ces histoires sont accompagnées de chants entonnés soit par un groupe de femmes soit d’hommes. Tout dépend du message du réalisateur qui dit avoir vécu avec ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’, son ‘’plus beau moment de cinéma’’. Car, partage-t-il, ‘’c’est la première fois que je fais un film avec une équipe entièrement africaine, d’une part et, d’autre part, avec des jeunes qui pourraient être mes enfants, dont les producteurs. Ils m’ont demandé de me faire plaisir, de faire ce que je veux. Il y a des choses que j’ai écrites sur le plateau, surtout les chansons. Le groupe de chanteurs répétait les textes pendant 10 ou 15 minutes et après on tournait. C’est cette liberté-là qui m’a beaucoup marqué. J’ai chanté dans le film. Je suis un musicien raté, j’écris mes musiques, je donne mes mélodies à un compositeur qui les arrange’’, a-t-il dit.

PROFIL MABEYE DIOL

Rêve d’acteur

Il interprète son premier rôle au cinéma dans ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’. Il a marqué les cinéphiles grâce à un jeu fluide.

Âgé à peine de 25 ans, Mabèye Diol a réussi une belle performance dans ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’ de Moussa Sène Absa. Il y interprète le rôle d’Adama, le jumeau d’Awa, le personnage principal. Contrairement à sa jumelle qui est brillante à l’école, lui ne s’intéresse pas aux études. Il pense que ce qu’il veut avoir dans la vie, ce ne sont pas de longues études qui lui permettront de l’avoir. D’ailleurs, il le dit à son père qui essaie de le persuader de retourner à l’école.

Soudeur de son état, il lui promet de lui donner l’argent qu’il faut pour qu’Adama reprenne le chemin de l’école. Il n’en veut rien. Ce système, dit Adama, n’est pas fait pour permettre aux pauvres de sortir de leur situation. Il n’a qu’un rêve : voyager.

Il vendra des écouteurs et des lunettes de soleil pour économiser de l’argent et partir à Paris. Il rêve grand, voit grand. Il promet à sa jumelle de lui envoyer beaucoup d’argent et de belles robes ; à sa mère une belle  maison. Il ne fera pas son premier voyage par pirogue, parce que sa jumelle a été violée. Il lui fallait régler cela. La deuxième tentative est la bonne et il arrivera à bon port. ‘’Je n’ai pas grand rapport avec le personnage que j’ai interprété. Tous ceux qui me connaissent savent que j’aime mon pays et je crois pouvoir y faire fortune’’, dit-il. 

Ainsi, après son baccalauréat obtenu à Louga en 2018, il est resté ici pour ses études supérieures. Il s’est d’abord inscrit dans un institut privé de formation. Il fait un an d’études en gestion avant de se réorienter vers le journalisme et la communication. Il semble ne pas encore s’y retrouver. Il opte pour le théâtre. Il est à Melokaan atelier théâtre où il se fait former. Ce n’est pas dans ce cadre tout de même qu’il a été choisi pour jouer un rôle dans ‘’Xalé, les blessures de l’enfance’’.

Il a, en effet, rencontré Moussa Sène Absa au cours d’une formation initiée par le festival Dakar Court. Le réalisateur était leur formateur et l’a repéré sans rien lui dire. Il l’a appelé quelque temps après la formation pour lui demander de rejoindre le projet. Ainsi, il est devenu Adama. 

Une première expérience auréolée de chance. Mabèye Diol est entouré de grands noms du cinéma et du théâtre. Il partage le plateau avec la grande Rokhaya Niang, l’incomparable Ibrahima Mbaye Tché et les talentueux Montor Bâ et Roger Salah. ‘’J’ai beaucoup appris à leurs côtés’’, avoue le jeune Diol qui se voit déjà faire une belle carrière dans le cinéma. ‘’Je veux devenir un très grand acteur. Ibrahima Mbaye Tché est mon idole. Lui et tous les autres grands avec qui j’étais sur le plateau m’ont aidé et ont fait de moi ce que je suis devenu. J’aime bien l’acting et je veux continuer à persévérer, devenir grand. J’aime le cinéma’’, dit-il. 


DR MASSAMBA GUEYE - PROFESSEUR LITTÉRATURE - CONTEUR

‘’’Xalé…’ montre la maturité de son créateur Moussa Sène Absa’’

''Je pense que Xalé… de Moussa Sène Absa comme film de fiction projeté dans le cadre de cette 28e édition du Fespaco, montre, dans son écriture, la maturité du créateur. Moussa Sène Absa est arrivé à un niveau absolu de la maîtrise de son art. Il ne se cherche pas. Il a une écriture posée. Il est dans le questionnement sociétal. Mais dans la pratique de son art, il n'est plus dans le tâtonnement. Il est dans la direction maîtrisée.

Ce qui est beau dans ce film, c'est qu'il nous replonge dans des pratiques oratoires oubliées au cœur de son processus. Les ‘’mbabor’’ qui étaient dans les cœurs, qui, dans les grandes possessions, écrivaient l'état de la société, reviennent comme un coryphée, reprennent la place de ce qu'on appelle une rumeur maîtrisée dans la société moderne. Dans la mise en place des univers, le passé et le présent se mêlent. Le passé ne torture pas le présent et le présent ne l'inhibe pas.

Les pratiques anciennes qui n'ont plus de place sont automatiquement sanctionnées par la communauté. Dans cette écriture, Moussa Sène Absa nous rappelle que la prison n'est pas un véritable lieu d'enfermement, que la véritable prison dans la société, c'est celui dans ta dignité qui t'exile à sortir du groupe. C'est une proposition pénale qu'il fait : le jugement du peuple est le vrai jugement. Mais le jugement du peuple aboutit à la sanction de l'individu par l'exil. On retrouve la même chose dans ‘’Le monde s’effondre’’ de Chinua Achebe. Quand Okonkwo bat sa femme, il est exilé sept ans, sept mois, sept jours.

Donc, c'est des techniques d'écriture que nous avons. Et Moussa Sène Absa, tant au niveau de l'audio, de la vidéo, du montage et du rythme du film, et  des dialogues, fait la fierté de l'Afrique et de la création africaine. Ce film est moderne, beau et ancré.’’

BIGUÉ BOB (ENVOYÉE SPÉCIALE À OUAGADOUGOU

 

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