Publié le 9 Feb 2021 - 21:28
AFFAIRE OUSMANE SONKO

L’obstacle de l’immunité 

 

Suite à l’invocation par le député Ousmane Sonko de son immunité parlementaire, la Section de recherches de la Gendarmerie a informé le parquet qui devra mettre en branle la procédure de levée de cette immunité devant l’Assemblée nationale. EnQuête revient sur les différentes étapes de cette procédure, ainsi que les raisons des conflits ayant embrasé, hier, Dakar et ses environs.

 

Dans la rue, c’était la guerre. Cailloux contre lacrymogènes. A la Section de recherches de la Gendarmerie de Colobane, c’était un tout autre combat. Un branle-bas judiciaire dont le premier acte a été posé par les avocats d’Ousmane Sonko. Au commandant Abdou Mbengue patron de la SR qui attendait leur client, ces derniers informent par une lettre : ‘’Notre mandant, l’honorable député Ousmane Sonko, a reçu le 6 courant, une convocation l’invitant à se présenter dans vos locaux le lundi, 8 février 2021 à 11 heures pour les besoins d’une enquête pénale le concernant…’’. Les robes noires d’ajouter : ‘’Nous vous rappelons que Monsieur Ousmane Sonko est député à l’Assemblée nationale et est régulièrement domicilié à son domicile… En conséquence, nous vous saurions gré de bien vouloir vous conformer aux dispositions combinées des articles 61 et 58 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale’’.

Que préconisent ces textes ? Aux termes de l’article 61 al 1er du règlement intérieur, ‘’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions’’. Il ressort des alinéas suivants que : ‘’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée dont il fait partie’’. Le député, selon la même disposition, ne peut, même hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée dont il fait partie. La seule exception prévue, c’est en cas de flagrant délit.  

Ce qui est loin d’être le cas, dans l’affaire opposant Ousmane Sonko à la masseuse Adji Sarr. Député pendant 10 ans, ancien président de la commission des lois, Maitre Abdoulaye Babou apporte des éclairages. ‘’Il y a deux types d’enquête : l’enquête préliminaire et celle de flagrance. Dans le premier cas, quand il s’agit d’un député, il faut forcément passer par la levée de l’immunité parlementaire. Le procureur ne peut pas aller prendre un député. A moins qu’il y ait un autre délit qui pourrait relever de la flagrance’’. Cela dit, s’empresse-t-il d’ajouter : ‘’Le député n’est pas au-dessus des lois. En cas de flagrant délit, l’immunité parlementaire ne joue pas. Il faut tout simplement informer le bureau de l’Assemblée nationale’’.

Régime juridique et procédure de l’immunité parlementaire

Dès lors, la question que se posent beaucoup de Sénégalais, c’est : pourquoi les forces de l’ordre ont été, hier, au domicile d’Ousmane Sonko ?  En tout cas, la Gendarmerie qui gère l’affaire de viol impliquant le leader de Pastef n’a jamais été, hier, à son domicile pour un motif ou un autre. Face à l’invocation par le député de son immunité parlementaire, la Section de recherche a juste fait un PV d’information au procureur de la République. Toujours, informent nos sources, il n’a pas été question d’une volonté d’arrêter le leader des patriotes.

 ‘’Ce qui s’est passé est que, le matin, la police a constaté qu’il y a rassemblement au domicile d’Ousmane Sonko. Ils sont intervenus pour les disperser et cela a dégénéré. Il y a eu ensuite des attroupements, troubles l’ordre public…’’, soutiennent nos sources.

En ce qui concerne le dossier de viol, donc, il n’y a eu rien de nouveau. Après information, le parquet va devoir saisir l’Assemblée nationale, qui aura à sa charge la levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko. Maitre Abdoulaye Babou explique : ‘’Le procureur, qui a l’intention de poursuivre, prépare son dossier. Ce dossier est transmis au président de l’Assemblée nationale. Ce dernier convoque la commission compétente, en l’occurrence la commission de levée. Auparavant, la commission des lois choisit les membres devant composer cette commission. Laquelle est formée au prorata des groupes de l’opposition et du pouvoir. Une fois installée, le député est entendu par ladite commission’’.

En la matière, cette législature est en passe de battre tous les records. Déjà, il y a au moins les cas des députés Oumar Sarr et Khalifa Ababacar Sall. Tous deux ont vu leur immunité levée, avant de faire l’objet de poursuites. L’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale explique : ‘’Si la commission de levée vote la levée de l’immunité, il faut passer ensuite passer en plénière. Là, le problème sera reposé ; le rapporteur lit le rapport de la commission ; et les députés vont voter. Si la majorité est d’accord, en ce moment seulement le procureur pourra faire son travail. Je tiens à rappeler qu’il faut respecter la présomption d’innocence. Tant qu’il n’y a pas une décision de condamnation définitive, on ne peut dire que le député Ousmane Sonko est coupable de ceci ou de cela’’.

En son temps, rappelle son ancien compagnon, quand il était président du groupe parlementaire Espoir sous le régime du Président Wade, l’actuel président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, avait échappé à une procédure de levée de son immunité parlementaire, suite à des déclarations relatives à l’affaire des 6 milliards de Wack Ngouna. La commission de levée mise en place par la majorité libérale d’alors a lâché l’affaire en cours de route.

Par ailleurs, au rythme où vont les évènements, les choses risquent de se compliquer davantage pour Ousmane Sonko. En fait, même si l’accusation de viols semble être tiré par les cheveux, il pourrait lui être imputé d’autres chefs d’accusation qui vont corser son dossier, en l’occurrence, l’incitation à la rébellion, troubles à l’ordre public... Même si, le détonateur des événements d’hier semble être l’intervention de la police.

En tout cas, interpellé sur la dernière sortie d’Ousmane Sonko, l’ancien député et non moins avocat à la Cour rétorque : ‘’C’est un nouveau problème. Mais il ne m’appartient pas de qualifier l’appel d’Ousmane Sonko. C’est du ressort du procureur de la République. Et si ce dernier décide de poursuivre pour appel à l’insurrection, on est dans la flagrance. Et quand on est dans la flagrance, il n’y a pas de levée d’immunité parlementaire. Dans ce cas, tout ce qu’il faudra faire, c’est informer l’Assemblée. Mais, pour le moment, je n’ai pas entendu que le procureur a posé des actes dans ce sens’’.

MOR AMAR

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