Publié le 9 Feb 2021 - 19:38
AFFAIRE OUSMANE SONKO VS ADJI SARR

De la fureur et des arrestations

 

La commune de Mermoz Sacré-Cœur a rompu, hier, avec son calme habituel. Elle est devenue un véritable champ de bataille. Les alliés du député Ousmane Sonko entendent s’opposer à une liquidation de leur leader, orchestrée par le régime. Récit d’une chaude journée.

 

Hier, en tout cas, le masque de protection aura été d’une grande utilité pour beaucoup. Coincés entre les flammes et les bombes lacrymogènes fusant de partout, les riverains de la commune de Mermoz-Sacré-coeur ne s’attendaient certainement pas à un tel champ de bataille. En cette mi-journée, c’est la débandade dans la ruelle donnant face au domicile du président de Pastef-Les patriotes sis à la cité Keur gorgui (en face de l’Agence nationale de la grande muraille verte). Les jets de pierres pleuvent, les multiples chantiers aux alentours aidant. Il faut à tout prix faire reculer l’engin de la gendarmerie nationale. ‘’Ils veulent amener Ousmane Sonko, mais ça ne passera pas!’’, lance un manifestant levant haut le drapeau du parti. Derrière lui, Mamadou Fall, sympathisant de Pastef, s’écroule, il a du mal à respirer en raison du gaz lacrymogène.

Les voisins du député sont unanimes. Ousmane Sonko a toujours fait preuve de bienveillance et de respect. Il est décrit comme un homme calme, réservé et sympathique. Difficile pour eux de croire à cette accusation de viol. Présent sur les lieux, l’activiste Guy Marius Sagna n’a cependant fait aucune déclaration.

Barre de fer, pneus, branches d’arbres, briques, ‘’les patriotes’’ utilisent tous les objets à leur portée pour, à leur tour, quadriller les alentours du domicile de leur leader.  Une heure plutôt, l’atmosphère était pourtant calme. Des centaines de partisans s’étaient donnés rendez-vous à la cité Keur Gorgui pour soutenir leur président de parti. Ousmane Sonko devait répondre à une convocation de la section de recherches, suite à la plainte d’Adji Sarr. Mais, les choses ont dégénéré, lorsque les forces de l’ordre ont débarqué pour disperser la foule.

Une scène digne des films d’action que certains n’oublieront jamais. C’est le cas de ce jeune homme blessé à la tête. ‘’Regardez où tout cela nous mène. Ce que ces gens oublient, c’est que pour Sonko, nous sommes prêts à tout. Macky Sall devrait avoir honte. Ce qu’il a orchestré est d’une telle bassesse qu’il n’est même plus digne d’être appelé Président de la République. On ira jusqu’au bout, personne ne touchera à notre président’’, crie une jeune dame occupée à éponger le sang du blessé à l’aide d’un mouchoir.

A l’aise dans sa tenue de sport, elle fait partie de ces rares femmes dans les rangs des manifestants. Une autre, militante de Pastef, conseille à Adji Sarr de rester terrée : ‘’Je suis une femme, mais j’ai honte aujourd’hui à cause de cette fille. C’est par elle que ce scandale est arrivé. J’ai pitié pour sa famille et ses enfants. Comment on peut être aussi cupide ? Pour de l’argent, tu brûles tout un pays. Malheur à toi, si un Sénégalais meurt aujourd’hui. Nous sommes ici pas parce qu’on n’a pas de travail ou qu’on n’a rien à faire, mais parce que nous croyons en cet homme. Nous sommes prêts à tout pour Ousmane Sonko. Rien ne nous fera reculer’’.

On déplore dans les rangs des manifestants, plusieurs blessés graves. Aux abords du domicile d’Ousmane Sonko, un véhicule de police est incendié, plusieurs autres appartenant à des particuliers, caillassés.

L’assaut de la Bip

Venus en renfort, les éléments de la Brigade d’intervention de la police (Bip), à l’aide de tirs, ne laissent aucun répit aux manifestants retranchés dans un bâtiment inachevé près du domicile de Sonko. Confortés dans leur riposte par des cris dans l’autre camp, la deuxième phase était d’envahir le bâtiment. Essoufflé, le coordonnateur du Mouvement pour l’emploi des jeunes déclare : ‘’C’est une injustice ! Ousmane Sonko ne mérite pas cela, c’est un député. Nous invitons le ministre de l’Intérieur à calmer cette tension, car c’est sous ses ordres que tout ceci est en train de se passer’’. Pendant ce temps, l’assaut a eu lieu, un manifestant, la tête en sang, a été embarqué.

Le nouveau mot d’ordre du chef des opérations est ‘’de boucler le secteur et d’organiser une patrouille’’. A en croire ce dernier, les forces de l’ordre ne sont pas venues pour Ousmane Sonko, mais pour rétablir l’ordre public, surtout que les rassemblements sont interdits, en cette période pandémie. 

Un peu plus loin, les pierres de la foule ont également plu dans le domicile du directeur de cabinet du chef de l’Etat, Mamoud Saleh brisant ainsi plusieurs vitres. ‘’Je n’ai pas de carte de membre. Je suis là parce que j’en ai marre. On a tous marre de l’impérialisme. Nous ne sommes pas des héritiers de Senghor, mais de Mamadou Dia, de Nelson Mandela. Nous allons nous battre, parce que cette histoire est un complot. Ousmane Sonko a le droit d’aller dans un salon de massage comme tout le monde. Le régime a tout essayé pour l’avoir, rien n’a marché, il ne restait que l’accusation de viol. C’est vraiment bas’’, soutient un manifestant. Derrière lui, les arrestations se multiplient. Les moins chanceux sont traînés jusqu’au véhicule de police.

Dispersés, il aura fallu à peine quelques minutes pour que ‘’les patriotes’’ assiègent toutes les artères de la commune. Le rond-point de la boulangerie jaune en a fait les frais. Des deux voies de Sacré-Cœur au rond-point Liberté 6, briques et pneus en feu font office de décor. Auchan Sacré-Cœur n’a pas été épargné par la furie des manifestants.

Apeurés, les élèves du collège Sacré-Cœur réunis par petits groupes se demandent comment rentrer sain et sauf. Dans la ruelle partant du Consortium pour la recherche économique et sociale au rond-point de la cité, la lourde artillerie de la police et de la gendarmerie ne rassure pas. Plus personne n’y a accès, même pas la presse. ‘’Tonton, je veux rentrer chez moi’’, lance craintif un élève qui sera violemment repoussé par un policier. Trois ‘’dragons’’ bloquent le carrefour. Sur la rue longeant le collège, c’est le désert, des multiples barrages émanent de gros nuages de fumée. Les vendeurs plient bagages. Boutiques, restaurants et ateliers ont fermé leurs portes. ‘’Vraiment ce pays va mal, sortir de chez soi et rentrer sain et sauf est une chance. Que Dieu nous garde’’, murmure un passant.

‘’Ousmane Sonko a toute une jeunesse derrière lui’’

Le visage masqué à moitié par un tee-shirt noir, Ibrahima Ndao, debout au rond-point de boulangerie jaune, converse bruyamment au téléphone. ‘’Cette n’est plus uniquement une accusation de viol, parce qu’il y a eu auparavant plusieurs accusations de viol concernant des autorités, mais les choses n’ont jamais pris une telle tournure. Nous sommes dans un pays de droit, donc, ils ne peuvent pas débarquer chez lui, le prendre de force, sans avoir lever son immunité parlementaire. Ousmane Sonko est un député du peuple et un président de parti. Il a toute une jeunesse derrière lui. Même s’il était pris en flagrant délit, les choses doivent se passer dans les règles de l’art. Si les choses se passaient normalement, il n’y aurait pas toute cette agitation. Puisqu’ils ont opéré un coup de force à son domicile, ils n’ont qu’à assumer les conséquences.’’, martèle-t-il.

A l’en croire le ‘’diaayé doolé’’ (coup de force) de l’Etat ne fait qu’agrandir la communauté des sympathisants de Pastef. ‘’Les forces de l’ordre, poursuit-il, nous ont versé de l’eau chaude, certains ont utilisé leurs armes. Au nom de quoi ? Nous sommes déterminés. Nous allons rendre le Sénégal ingouvernable, tant que Macky Sall ne recule pas sur ce dossier. Ousmane Sonko n’est ni un violeur ni un fornicateur. Sonko ne tendait même pas la main aux femmes. C’est à cause de son engagement politique qu’il a commencé à s’ouvrir. Il faut que les Sénégalais se réveillent et sachent que ce combat ne se limite pas à l’instant présent, mais c’est pour le Sénégal de demain. On n’acceptera pas qu’Ousmane Sonko soit enfermé en prison’’.

La tactique est de ne pas se regrouper en un lieu, mais de se positionner dans des endroits retranchés pour lancer des pierres. Du côté des taximen, c’est le sauve-qui-peut. ‘’ Sonko n’est pas n’importe quel adversaire. Ce que le régime oublie c’est qu’il est l’espoir de toute une jeunesse. Et ces jeunes ont la fougue et la force qu’il faut pour se battre. Vraiment, on aurait pu éviter ce chaos. Si on touche à un seul de ses cheveux, ce pays va brûler, c’est clair’’, confie Adama Thiam au volant de son taxi. En ce début d’après-midi, vu la tension de ce jour, il préfère mettre fin à sa journée pour plus de sécurité.

‘’...c’est le Sénégal qui va brûler’’

A Sacré-Cœur 3, l’objectif est de bloquer la VDN. L’avenue Cheikh Anta Diop, elle, sans surprise aucune, a été transformée en un véritable champ de bataille. Plusieurs étudiants se sont mobilisés pour soutenir leur leader, un homme en qui ils voient un meilleur avenir pour le Sénégal. De l’avis Khadim Mbaye, il est temps d’appliquer la célèbre assertion de Thomas Sankara : ‘’seule la lutte libère’’. ‘’Ousmane Sonko est victime d’acharnement. Nous, aujourd’hui, n’avons rien à perdre. Nous sommes prêts à mourir pour lui. Déjà que nos conditions de vie sont difficiles, vraiment, on n’a rien à perdre. Macky Sall gagnerait à ne pas toucher à un seul de ses cheveux, s’il veut la paix. Au cas contraire, c’est le Sénégal qui va brûler’’, martèle l’étudiant tenant une grosse pierre.

Vendeurs de café et autres commerçants ont préféré suivre de loin une scène à laquelle ils sont d’ailleurs habitués. Sur l’avenue Cheikh Anta Diop, les affrontements ne se font pas rares. En début de soirée, nombreux sont ces travailleurs qui par manque véhicule de transport en commun ont dû marcher jusqu’à une zone sans troubles pour en trouver. Par mesure de sécurité, la société Dakar dem dikk a interrompu ses liaisons, en fin d’après-midi. Tout porte à croire que la tension risque d’être aussi vive, tant que le leader de Pastef bénéficie de son immunité parlementaire.

Toutefois, la crise de confiance entre la justice et les Sénégalais pourrait faire perdurer ce climat délétère. Pour beaucoup, si le président de Pastef-Les patriotes répond à la convocation de la section de recherche, on ne le reverra qu’après l’élection présidentielle.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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