Publié le 15 Jun 2019 - 02:10
BOUBACAR TRAORE ECRIVAIN

‘’On n’a pas une école sénégalaise, on a une école au Sénégal’’

 

Dans un ouvrage publié en deux tomes, l’ancien instituteur, formateur au Greta de Bordeaux Nord, enseignant-chercheur et chef du département des psychologues conseillers à la Fastef, Boubacar Traoré, propose une évaluation de l’école française.

 

‘’La question scolaire au Sénégal : de la laïcité à l’interculturel’’ est un ouvrage publié en deux tomes, sorti aux éditions universitaires européennes et écrit par le Pr Boubacar Traoré. Comme l’indique le titre, il est consacré à un diagnostic de l’école. ‘’Ce travail est important parce qu’aujourd’hui l’école sénégalaise se heurte à un certain nombre de difficultés. Il y a des grèves cycliques, des situations de perturbation, de tensions et des fois même, on a des morts. Cela veut dire qu’il nous faut nous arrêter un instant et réfléchir sur la quintessence de l'école, sa substance’’, propose le sociologue Djiby Diakhaté qui a présenté une note de critique sur le travail du Pr Traoré. L’auteur a commencé dans sa démarche scientifique à faire l’historique de cette école avant de passer à une analyse de la situation actuelle. De cette dernière, découle une assez singulière conclusion : ‘’nous n’avons pas une école sénégalaise mais une école au Sénégal’’.

‘’L’école dont nous disposons aujourd’hui est héritière de la colonisation et le colonisateur a mis dans l’école le contenu qu’il a voulu, lequel devait lui permettre de développer l’assimilation et de faire en sorte que nous développions une sorte de complexe d’infériorité par rapport à l’homme blanc. Ce qui fait qu’aujourd’hui des années après le départ du colonisateur, nous continuons à enseigner par le français dans nos écoles. Dans mon enfance où je m’épanouissais dans la connaissance, grâce à la langue maternelle, l’intrusion du français m’est apparue comme la présence d’un gendarme (…)’’, explique Djiby Diakhaté.  En d’autres termes, ‘’nous avons une école qui nous éloigne de nous-mêmes. Aujourd’hui, les produits de nos écoles ont des problèmes pour trouver de l’emploi dans nos entreprises. Vous formez quelqu’un et quand il sort, il est étranger à sa communauté ainsi il ne peut pas développer l’entrepreneuriat’’, indique M. DIakhaté. Pour étayer ses propos, il rappelle une décision prise sous le magistère d’Abdou Diouf et qui a été une catastrophe.

‘’On ne réfléchit pas beaucoup sur le fait que dans les années 1980, lorsqu’on a mis en place la Délégation à l’insertion, la réinsertion et à l’emploi (Dire) avec Abdou Diouf. On avait mis en place le programme maitrisard chômeur. On avait pris des maitrisards en économie et on leur a donné des moyens de production en pensant qu’ils allaient rapidement développer des secteurs d’activités comme la boulangerie, le transport ou encore la riziculture. Ils ont tous fini par déposer bilan. Ils ont tous échoué de la manière la plus lamentable qui soit. Au même instant et dans les mêmes secteurs d’activités, des Sénégalais qui ne sont jamais allés à l’école française ont réussi. Il s’agit de Ndiaga Ndiaye, d’Abdou Karim Fall, de Bocar Samba Dièye, de Moustapha Tall, de Serigne Mboup. Cela montre que notre école ne forme pas pour nous mais pour les autres. Il faut donc changer le contenu de l’école’’, clame Djiby Diakhaté. L’auteur le conforte dans son analyse.  ‘’Il faut profondément réformer le système.

Il faut inclure les langues nationales et les religions. On a hérité du système français qui est sélectif’’, défend Pr Boubacar Traoré. Instituteur de formation, il sait bien de quoi il parle. Il a été à l’école William Ponty où il a été formé, donc connaît l’environnement et le système éducatif sénégalais. Il assure que depuis les indépendances, il n’y a eu que des ‘’réformes de façade’’ et aucune ‘’réforme profonde’’. Il a rappelé que cela serait difficile à faire puisqu’en 1958, le Sénégal a signé des accords avec la France ayant abouti à l’indépendance. Dans ces derniers, il y en a concernant le système éducatif. Aujourd’hui, le Sénégal ne peut procéder à aucune réforme sans l’aval de la France, informe-t-il. C’est pourquoi de 1960 à nos jours, ‘’on a un programme qui a la teinture africaine mais c’est la culture occidentale qui est enseignée’’, regrette Boubacar Traoré.

Ainsi, il invite ses lecteurs à réfléchir autour des problèmes d’interculturalité et de la laïcité. Cela est important selon Djiby Diakhaté parce que ‘’nous avons des fois au Sénégal des problèmes de communautarisme. Il faut que l’école prenne en charge ses questions et développe le voisinage culturel entre les entités qui la composent’’. Pr Traoré lui propose dans son ouvrage ‘’une école qui nous réconcilie avec nous-mêmes’’, selon M. Diakhaté. ‘’Il a considéré en parlant de l’histoire que dans les sociétés sénégalaises traditionnelles, l’école était la famille et que c’est à l’intérieur de la famille qu’on inculquait à l’individu le savoir, le savoir être et le savoir-faire. Aujourd’hui, notre école distille le savoir mais met de côté le savoir être. Il ne s’agit pas seulement de former en donnant des connaissances aux gens. Il faut aussi leur donner des valeurs. Si vous voulez demain confier des responsabilités aux gens et qu’ils ne volent pas les deniers publics, il faut développer en eux des valeurs. Il faut une école orientée autour des valeurs’’, défend Djiby Diakhaté.

BIGUE BOB

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