Publié le 16 Nov 2024 - 18:26
CAMPAGNES ÉLECTORALES ET FONCTION PUBLIQUE

Une politisation qui fragilise notre démocratie

 

Le Sénégal, en pleine effervescence électorale, voit ses campagnes se transformer en véritables shows politiques, où l'on peine parfois à distinguer entre l’agent administratif et le militant. Cette confusion reflète la politisation inquiétante de l’administration publique, un phénomène qui interpelle la continuité et l’égalité des services publics, tout en questionnant l'usage des moyens de l'État et le financement opaque des partis politiques.

 

Dans le contexte électoral au Sénégal, le décor des campagnes électorales est marqué par des cortèges en fanfare, des caravanes de militants enthousiastes et un véritable arsenal d'accompagnateurs : directeurs de campagne, conseillers, gardes du corps et autres partisans dévoués. Pourtant, au sein de ces groupes, il est souvent difficile de distinguer l'agent administratif du militant politique, et cette confusion soulève un enjeu majeur : la politisation de l’administration en période de campagne.

Il est de notoriété publique que les hauts fonctionnaires sont régulièrement mobilisés pour battre campagne aux côtés des candidats désignés, parcourant les coins et recoins du pays. Mamadou Ndiaye, journaliste et observateur avisé de la scène politique sénégalaise, souligne que cette pratique est moins visible depuis l’émergence de leaders comme Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Bien que l’on continue de croiser des directeurs généraux tels que Fadillou Keita et Waly Diouf Bodiang aux côtés de Sonko, ou encore des ministres comme El Malick Ndiaye et Birame Souley Diop, d’autres figures, comme Alioune Sall, ministre de la Communication, ont choisi de s’éloigner du terrain national pour mener campagne en Europe. Là-bas, il s’adresse aux Sénégalais de la diaspora, dont le soutien l’avait propulsé au poste de député. D’autres figures, comme Abdourahmane Diouf et Yacine Fall, ont brillé par leur absence.

La campagne de Pastef, le parti dirigé par Sonko, a tenté de marquer une rupture en mobilisant des ressources financières issues de contributions populaires et en limitant l’utilisation abusive des moyens de l'État. Pourtant, malgré cette volonté de transparence, les observateurs restent partagés quant à l'impact de la mobilisation des agents administratifs sur la continuité des services publics.

Administration et politique : un équilibre délicat

Certains analystes estiment qu’il est crucial de maintenir un équilibre entre engagement politique et respect des principes administratifs. La présence des hauts fonctionnaires sur le terrain de la campagne peut, en effet, perturber le fonctionnement de certains services publics. D’autres relativisent cette situation, arguant que grâce aux avancées numériques, de nombreuses tâches peuvent être accomplies à distance. La signature de documents, la gestion des dossiers par e-mail et d’autres procédés administratifs peuvent désormais être effectués sans présence physique constante.

Cependant, cet argument ne convainc pas tout le monde. Pour de nombreux citoyens, les activités politiques des responsables administratifs ne devraient en aucun cas interférer avec leurs tâches officielles. Ce sentiment est partagé tant pour les membres du régime que pour ceux de l'opposition, comme Barthélémy Dias, le maire de Dakar, qui doit jongler entre ses responsabilités municipales et son rôle politique.

Dans l’environnement politique complexe du Sénégal, l’équilibre entre les fonctions administratives et les engagements politiques s’impose comme un défi important pour de nombreux maires, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité. Ces élus, qui portent à la fois la casquette de responsables administratifs et celle de figures politiques influentes, doivent concilier leurs responsabilités institutionnelles avec les impératifs de mobilisation et de campagne.

Du côté du pouvoir comme de l’opposition, le même défi se pose. Les maires doivent également veiller à ne pas compromettre la continuité du service public en période électorale. Le principe d’égalité d’accès aux services, tout comme celui de la continuité, ne doit pas être relégué au second plan. Pourtant, dans certaines localités, les habitants déplorent des dysfonctionnements lorsque leurs élus sont happés par les campagnes, laissant leurs postes administratifs temporairement vacants.

Pour beaucoup de citoyens, ils doivent gérer les attentes de leurs administrés tout en répondant aux exigences de la politique nationale, dans un contexte où chaque action est scrutée et analysée. Pour garantir la confiance des populations et préserver l'intégrité de l’administration, l’équilibre reste non seulement un défi, mais aussi une nécessité impérieuse.

Ce dilemme souligne un enjeu majeur : comment garantir que l’engagement politique ne nuise pas à l’efficacité administrative ? Des solutions, telles que la délégation de certaines responsabilités ou l’optimisation des processus de gestion, sont régulièrement évoquées. Mais pour de nombreux citoyens, l’essentiel reste le respect des principes fondamentaux qui régissent l’administration publique.

Par ailleurs, la question de l’utilisation des ressources publiques à des fins politiques reste un sujet de discorde. Mamadou Ndiaye observe que, contrairement aux précédents régimes, la campagne de Pastef a réduit l'usage ostentatoire des véhicules administratifs, autrefois visibles en file indienne, portant des plaques "AD". Cette réduction marque un changement significatif, même si des dénonciations persistent.

Pour financer leurs activités, Pastef et ses alliés ont opté pour une levée de fonds qui a permis de récolter 500 millions de francs CFA en quelques heures, avec un objectif final d'un milliard de francs CFA. Une cagnotte en ligne a également été mise en place, atteignant plus de 80 millions de francs CFA. Cette transparence dans le financement des campagnes contraste avec le flou habituel qui entoure les ressources des partis politiques au Sénégal.

Le financement des partis politiques : un vide juridique

Le Sénégal ne dispose d'aucun cadre juridique régissant le financement des partis politiques. Pour certains, l'intégration de ces dépenses dans le budget de l'État pourrait assainir les finances publiques et instaurer des mécanismes de lutte contre les financements occultes. En dehors des couvertures médiatiques des candidats et de la production de matériel de campagne, toutes les activités des partis doivent être autofinancées par les cotisations de leurs membres, des activités lucratives et d'autres revenus légaux.

Pour Pathé Ndiaye, ancien Directeur du Bureau Organisation et Méthodes (BOM), l'administration sénégalaise doit respecter les principes d'égalité et de continuité du service public. Depuis l’avènement du régime libéral en 2000, l'administration a perdu certaines de ses caractéristiques essentielles, s’étant politisée au point de compromettre ses missions fondamentales.

Le principe d'égalité stipule que tous les citoyens doivent avoir un accès équitable aux services publics, sans discrimination. La continuité, corollaire de l'égalité, exige que les services essentiels fonctionnent de manière ininterrompue, garantissant la stabilité de la vie sociale. Lorsque des agents administratifs désertent leurs postes pour s’engager dans la campagne, cette continuité est menacée, au détriment de la population.

La politisation de l’administration sénégalaise en période de campagne électorale reste un enjeu complexe. Si la modernisation numérique permet de limiter les perturbations, le respect des principes d’égalité et de continuité du service public doit rester une priorité. La question du financement des partis politiques et de l’utilisation des ressources de l’État nécessite également une régulation claire. Pour préserver la crédibilité de l’administration et garantir un fonctionnement impartial, une réflexion approfondie s’impose.

AMADOU CAMARA GUEYE

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