Publié le 11 Feb 2021 - 06:34
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Trump: L’absurde procès ?

 

Hier s’est ouvert le procès en destitution de Donald Trump, accusé d’«incitation à l’insurrection » pour les évènements qui,  le temps d’un assaut contre le Capitole, le 6 janvier,  défigura la démocratie américaine.

D’emblée, ses avocats évoquent une « violation de la constitution », considérant le fait qu’il n’est plus en  fonction. Que nenni ! Les démocrates arguent que ce procès vaut surtout pour demain ; qu’il est celui de  l’exemple et de l’exemplarité et qu’il porterait au moins le mérite d’empêcher Trump de prétendre à quelque responsabilité au plus haut niveau, pour l’avenir. Et ce n’est pas rien.

Mais, pour y arriver, il y a l’obstacle du vote : les règles veulent qu’il y ait 17 sénateurs qui apportent leurs voix à la destitution. Seuls 5 pour le moment se prêtent à cette éventualité. L’exercice ressemble donc plus  à une gageure qu’à une promenade de santé. Et ce n’est pas une bonne nouvelle.

Certes, dans un argumentaire de plus de 77 pages, les Démocrates indiquent la pertinence du procès et soulignent une « trahison d’une ampleur historique ». C’est donc à l’aune de cette trahison qu’ils vont en guerre et qu’ils épuiseront toutes les options possibles y compris celle de la censure, en désespoir de cause, pour faire choir, par sa mort politique, l’ex chef iconoclaste de la Maison Blanche. Si Donald Trump est destitué, les sénateurs démocrates pourront évoquer le 14ème amendement ; ce dernier, né de la guerre de sécession, interdit à quiconque ayant participé « à une insurrection ou à une rébellion » contre les Etats unis de se présenter à une élection. En cas d’échec, ils pourraient avoir recours à la censure qui nécessite juste la majorité du Sénat (et ils l’ont) qui est une voie de détours vers le même 14ème amendement… Bref, tout est loin d’être dit, si le procès débouche sur un Impeachment empêché, tant sont nombreux les subterfuges et les astuces qui pourraient nous y ramener. La force des démocraties, c’est aussi la complexité de leurs lois et les chemins inépuisables qu’elles offrent pour conjurer les menaces susceptibles de les fragiliser.

Mais, et je le disais plus haut, ce procès est d’abord celui de l’exemple. Il n’a ni besoin de verdict ni besoin de condamnation ; il tire sa valeur et sa pertinence du simple fait qu’il ait lieu. C’est le procès du parjure : il inflige à Trump et à tous ceux qui seraient tentés de faire, un jour, comme lui, la leçon humiliante de l’intolérance de l’Amérique à l’abjection de la fatuité que nourrit le seul désir de posséder et d’asservir ; celui plus dangereux de régner et de se croire intouchable. C’est le procès de la mise en danger de l’Amérique  par le seul caprice d’un ‘moi attardé’ qui s’est indigné d’un jouet qu’on lui a refusé.

Et à sa manière, par ce caprice imbécile, d’autant plus imbécile qu’il était sans issue, Trump a fait l’Histoire. Il a porté à la connaissance planétaire, que même les plus grandes démocraties, les plus anciennes, peuvent elles aussi être mises à l’épreuve par la soudaineté des impondérables ; par le prurit des vanités qui, contre toute attente, déforme l’intelligence…et modifie la trajectoire de l’Histoire.

Le 11 septembre 2001, l’Amérique se réveillait brutalement d’un long sommeil fait d’indifférences tranquilles aux convulsions du monde et des certitudes de sa toute-puissance, par les éclairs  de feu que dessinaient dans le ciel les aéronefs de la mort ; le 6 janvier 2021, elle s’est réveillée avec la même soudaineté ; celle d’une démocratie vulnérable, non plus du fait d’ennemis de l’extérieur, mais bien de ceux de l’intérieur qui, sur le simple mot d’ordre d’une vanité blessée ont répondu par un fiat d’hybris.

Et ce fiat a souillé le parlement de ces centaines de souliers grossiers qui laissaient leurs marques de boue et de sable sur les tapis ; de ces cris et invectives de haine qu’amplifiaient les arcanes désertes d’un Capitole soudain défiguré. De ces gueux surgis des quatre coins de l’Amérique qui venaient chanter d’une haine commune, leur refus du progrès et de la fraternité ; leur allergie à toute altérité qui ne serait pas blanche…

Alors, oui, si le procès en destitution de Trump semble être d’office une absurdité juridique, il est dans l’absolu une nécessité politique et un symbole moral. Les jours qui viennent nous édifieront sur les tournures judiciaires de ce procès politique. Ce qui est politiquement utile, c’est que Trump est jugé et que, dans la foulée, c’est toute sa politique qui l’est et que cela ne peut être sans impact sur le devenir du parti républicain. Ce qui est moralement nécessaire, c’est la sanction de la vanité ; c’est l’espérance qui s’ouvre, avec la présidence de Biden sur les possibilités d’une Amérique réconciliée avec elle-même et résolument fraternelle. Et, encore une fois, ce n’est pas rien.

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