Publié le 4 Jun 2022 - 23:34
DAOUDA GUÈYE (PHOTOGRAPHE)

L’historien de la Sénégambie à travers l’image

 

De Banjul à Dakar, le Sénégalais Daouda Guèye était le photographe le plus coté.  Aujourd’hui, chacun de ses clichés reconstruit une partie d’un passé, un patrimoine tout en donnant une ouverture sur l’avenir. Il a immortalisé les grands événements marquants la période des indépendances. Ayant un parcours exceptionnel, proche de la centaine, Daouda Guèye inspire.

 

Le photographe Daouda Guèye dit ‘’Pape Daouda’’ a une vie artistique remarquable. Elle est  partagée entre le Sénégal et la Gambie et mérite d’être racontée par la jeune génération soucieuse de conserver un tel patrimoine culturel commun entre les deux pays. C’est d’ailleurs la conviction de la fondatrice de  Jëndalma Art et Design, Astou Sall,  qui a rendu un vibrant hommage à  ce grand homme à travers l’exposition ‘’La beauté sénégambienne de Dakar à Banjul, on chante l’élégance’’, présentée dans le cadre du Off de la Biennale de Dakar 2022, à la galerie  d’art Kaay Séenu. Car les photos de cet artiste sont historiques. Ils immortalisent un patrimoine, une période faste, joyeuse et pleine  d’espoir d’une génération sous le soleil des indécences.

 Il faut souligner que  Daouda Guèye a un parcours exceptionnel. Il fait partie d’une ‘’grande’’ famille et sa lignée seule aurait pu lui assurer la vie d’un grand notable. Mais il a renoncé à un devenir de Jarraf, malgré tous les attributs liés à son rang, pour continuer à mener une vie de labeur. Remarquable !

En effet, il est né en 1927 à Dakar, la capitale sénégalaise, à Ouakam. Il fait partie de l’une des plus grandes familles fondatrices du village. Donc, Jarraf de naissance (chef suprême de la communauté léboue, qui a le rôle d’un président de la République), il fait ses études à l’école française à 19 ans, en 1946-1947. Plus tard, il décide de s’installer en Gambie en tant que traitant (commerçant). C’est dans ce pays que lui vient l’amour pour la photographie. Curieux et passionné, il se procure des revues spécialisées (‘’How to teach yourself photography’’) et devient ainsi autodidacte. De passage à Dakar, il achète son premier appareil et du matériel pour créer son studio.  À cette époque, le photographe vivait très bien de son art, selon Daouda Guèye.

Ainsi, conscient que la photographie est son nouveau gagne-pain, il se professionnalise davantage. En effet, de retour en Gambie, il fait une brève formation chez un photographe du nom d’Abdoulaye Diallo pour se perfectionner. Puis, il ouvre l’un des premiers studios -  Étoile Studio - dans la capitale Banjul à l’adresse exacte de DG 80, Lancaster Street et devient très vite le photographe attitré de la petite bourgeoisie des femmes  et des hommes parés et élégants vivant en Gambie comme de sa famille et de ses amis de Dakar de passage dans la capitale gambienne. Recruté comme photographe par l’Administration pour les documents administratifs tels que les cartes d’identité, il parcourait aussi toute la province gambienne : plus de 50 km à vélo pour réaliser des photographies dans des villages reculés.  Daouda Guèye a aussi immortalisé tous les grands événements marquants de la Gambie fraîchement indépendante ; fête nationale, religieuse et événement politique. Il ne manquait jamais une occasion d’immortaliser l’histoire par son objectif : il a photographié tous les grands hommes de la Gambie, religieux et politiques, par exemple Daouda Diawara, le premier président de la Gambie indépendante en 1965.

Recruté par l’Administration militaire en Gambie, puis au Sénégal

Après 26 années à Banjul, alité et pensant que c’était très grave, il décide de rentrer à Dakar auprès de sa famille pour se soigner. Deux à trois mois plus tard, il se rétablit et fait le choix de rester au Sénégal. Comme commerçant, il poursuit ses activités, mais rattrapé par sa passion, il ouvre chez lui à Ouakam son studio nommé Flash Studio. Ses débuts furent un peu difficiles, car à Dakar, existaient déjà des photographes de renoms tels que Mame Casset ou Jacques à Ouakam qui avaient déjà une clientèle fidèle. Les premiers à fréquenter son studio sont donc les Ngorois, village lébou voisin de Ouakam. Du fait de son professionnalisme, de bouche à oreille, son studio commence à être fréquenté par les Ouakamois également. Très vite, son talent et son sérieux font merveille. Il devient le photographe incontournable du village et de ses environs.

Ouakam étant un village-carrefour, avec ses camps militaires, il continue aussi à faire des photos d’identité pour les militaires et les jeunes fonctionnaires, étudiants et élèves, et des personnalités. Comme en Gambie, il sera aussi recruté par l’Administration militaire pour réaliser des photos d’identité et administratives. Plus tard, des personnes sont revenues le remercier pour sa générosité, car il offrait souvent les photos, surtout aux jeunes militaires de diverses nationalités qui n’avaient pas les moyens. Beaucoup de générations sont passées sous son objectif et son studio est devenu incontournable jusqu’à la fin des années 1990.

Parmi les personnalités politiques, il a pu suivre toute la compagne de Mamadou Diop, jeune politique battant campagne et devenu maire de Dakar en 1984. Il a aussi fixé sur sa pellicule des événements coutumiers et traditionnels, religieux. Il  a formé plusieurs personnes, dont ses enfants. Ces derniers ont tenu le studio jusqu’en 2015. ‘’Mis à part une seule personne, tous mes enfants sont devenus photographes’’, a dit Daouda Guèye. Jusqu’à ses 92 ans passés, toujours actif, il s’est donné à son autre passion : l’agriculture sur ses terres héritées de ses ancêtres à Ouakam. Malheureusement, du fait de l’urbanisation, Ouakam devenue une grande ville, les champs environnants ont tous disparu au profit d’immeubles bétonnés. Ce qui est regrettable.

À noter que le public a l’occasion de découvrir, jusqu’au 26 juin,  les œuvres de  Daouda Guèye à travers l’exposition ‘’La beauté sénégambienne de Dakar à Banjul, on chante l’élégance’’. Basée sur le portrait, l’installation associe une sélection inédite de 20 photographies en noir et blanc de femmes et d’hommes sénégalais et gambiens, réalisées entre le Sénégal et la Gambie de 1950 à 1980, une reproduction de son studio photo Flash Studio à Ouakam et des objets de collection de la même époque liés à la photographie accompagnés d’une vidéo de présentation de l’exceptionnel artiste qui s’approche de la centaine aujourd’hui. Chaque cliché choisi parmi sa collection personnelle reconstruit une partie d’un passé, un patrimoine tout en donnant une ouverture sur l’avenir avec ses installations numériques associées. Ces personnages très chers aux yeux du photographe, d’une élégance et d’une émotion particulière, fiers de poser devant l’objectif,  racontent aussi l’histoire de deux pays ‘’frères’’. Le Sénégal et la Gambie sont frère et sœur de par leur position géographique, leur culture et leur passé récent hérité de la colonisation française et britannique.

BABACAR SY SEYE

Section: