Publié le 16 Mar 2019 - 03:28
DEFENSE DES DROITS DES CONSOMMATEURS

Les consuméristes sénégalais à cœur ouvert 

 

Considérées comme le refuge des sans-voix, la voix des sans-voix et le défenseur des faibles au tribunal, les associations de défense des droits des consommateurs au Sénégal sont pourtant confrontées à certaines difficultés dans leur combat au quotidien. Dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, le président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), Momar Ndao, et le chargé de la sécurité en approvisionnement en denrées alimentaires des marchés au sein de l’Union nationale des consommateurs du Sénégal (Uncs), Emile Sène, reviennent sur les défis de l’heure.

 

Le monde célèbre, aujourd’hui, la Journée internationale du droit des consommateurs. Une occasion saisie par ‘’EnQuête’’ pour mettre en exergue le combat des associations de consuméristes sénégalaises et les challenges auxquels ils font face. Tout a commencé en 1989, avec les ‘’3S’’. Il s’agit des trois sociétés nationales de service public que sont la Senelec, la Sones et la Sonatel. ‘’Toutes ces sociétés posaient beaucoup de problèmes aux Sénégalais, notamment avec un non-respect des clients, des tarifications floues, une mauvaise qualité des services, etc. Il y avait beaucoup d’iniquité, de violations des droits des consommateurs. En même temps, il y avait beaucoup de spéculations, les prix n’étaient pas maîtrisés. L’Etat était presque amorphe face à cette situation’’, explique le président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen).

Selon Momar Ndao, c’est ainsi que des Sénégalais se sont regroupés pour faire face à ces ‘’abus’’ qui étaient monnaie courante. D’où la création de l’Ascosen, le 4 novembre 1989. Aujourd’hui, le Sénégal est à environ 23 associations de consommateurs.

Tout début étant difficile, l’Ascosen faisait ainsi face à un manque de motivation des citoyens. ‘’Avant, les citoyens rapportaient tout à l’Etat et s’en remettaient à Dieu. Aujourd’hui, avec tout le combat que nous avons mené, les Sénégalais ont commencé à réclamer leurs droits. Certains n’hésitent même pas à porter plainte, s’ils sentent que leurs droits sont violés. Ce qui n’était pas le cas. Il faut que ces gens comprennent que, par exemple, le patient qui va l’hôpital a des droits, l’hôpital des devoirs envers lui, etc.’’, déclare le consumériste. D'après lui, maintenant, la prise de conscience des Sénégalais par rapport à leurs droits de consommateurs est ‘’tellement importante’’ qu’ils sont saisis par des habitants des villages les plus reculés pour des problèmes de consommation. Ces derniers leur signalent des soucis de réseaux mobiles, de coût d’électricité, etc. Ainsi, les consuméristes sont même interpellés par des gens qui n’ont pourtant pas un niveau d’éducation, de formation universitaire ou académique très élevé.

De fil en aiguille, l’Ascosen deviendra ‘’le refuge des sans-voix, la voix des sans-voix et le défenseur des faibles au tribunal’’. ‘’C’est ce qui fait qu’il y a beaucoup de pressions sur nous. Le travail que nous faisons est extrêmement difficile. Il arrive que les gens nous appellent très tard le soir, pour nous soumettre leurs préoccupations, tout en sachant qu’à cette heure, aucun service ne fonctionne. Mais parfois, c’est parce qu’ils sont complètement dépassés’’, confie Momar Ndao. Selon qui, aujourd’hui, si on a un problème de location, quand on va à la police, on demande aux plaignants d’aller voir d’abord l’Ascosen. C’est pareil, quand on va à la préfecture, au tribunal, etc. Et, au-delà des deux personnes que sont Momar Ndao et Momath Cissé, selon le premier nommé, l’Ascosen a des représentants partout à travers le pays, dans tous les départements. ‘’Mais on ne peut pas laisser n’importe qui parler au nom de l’Ascosen. Les conséquences peuvent être dramatiques’’, dit-il.

L’équation des moyens financiers et matériels

Cependant, pour mener à bien leur mission, il est important, d’après le président de l’Ascosen, qu’ils aient davantage d’équipements tels que les camions laboratoires. De telle sorte que, si on leur dit qu’à Ourossogui il y a un problème sur la qualité de l’eau, qu’ils puissent y aller et faire des prélèvements, etc. ‘’On n’a pas tous les moyens de notre politique. Mais nous utilisons ceux qui existent pour atteindre nos objectifs. Il faudrait maintenant, par rapport à l’organisation de l’Etat, qu’on puisse, par exemple, mettre en place le haut conseil de consommation’’, plaide le consumériste.

En effet, le projet existe déjà. Il s’agit d’une structure qui va chapeauter le fonctionnement de l’économie, notamment tout ce qui concerne les produits qui sont administrés, les prix qu’on ne peut pas augmenter tous les jours. ‘’Parce qu’ils sont centrés dans le développement du pays, les denrées de première nécessité, la prise en compte des intérêts des consommateurs, les laboratoires qui vont analyser la qualité des produits qui sont donnés, la sécurité sanitaire des aliments, etc.’’, poursuit M. Ndao.

Sur ce, le chargé de la sécurité en approvisionnement en denrées alimentaires des marchés au sein de l’Union nationale des consommateurs du Sénégal (Uncs), Emile Sène, affirme que le nerf de la bataille reste les moyens financiers. ‘’Et ce qui est délicat dans la démarche consumériste, c’est que, si on prend les moyens de quelqu’un, on est tenu de le satisfaire. C’est pourquoi la difficulté reste essentielle. Pour laisser notre intégrité intacte, nous avons besoin de réfléchir et de trouver des moyens propres pour l’Uncs, afin de jouer le rôle sans aucune interférence’’, reconnait-il. D’ailleurs, c’est ce qu’ils sont en train de faire, en mettant en place une plateforme avec un accès payant. ‘’On pourrait mettre à la disposition de la presse un bulletin hebdomadaire qui sera sponsorisé avec des gens qui n’auront rien à voir avec le commerce ou certaines activités. Nous sommes en train d’innover et de changer de paradigme par rapport à cela’’, informe M. Sène.

Montée en puissance du numérique

Face à la montée en puissance du numérique, Emile Sène pense qu’il faut mettre en place un dispositif de veille ‘’assez performant’’, axé sur les technologies de l’information et de la communication. ‘’Le Sénégal étant un vaste pays, les problèmes de consommation ne sont pas partout les mêmes. Il faut ainsi qu’on sache, en temps réel, à chaque fois que de besoin, les préoccupations des consommateurs et les satisfaire. S’il y a risque d’insatisfaction, autant prendre les devants. Et pour jouer ce rôle, il faut un dispositif d’information assez efficace’’, soutient-il.

La démarche de l’Uncs par rapport aux enjeux du moment, est plus celle de veille, d’alerte et d’accompagnement. ‘’C’est vrai que quand l’Uncs réagit, elle ne le fait pas avec des supports comme la presse. Mais à chaque fois qu’un consommateur est confronté à une difficulté, nous faisons des démarches. On intervient sur la partie de l’offre financière. On ne peut pas régler les problèmes au cas par cas pour chaque consommateur. Tout ce qu’on peut faire, c’est à chaque fois qu’il y a de l’eau qui n’est pas potable dans un quartier, qu’on le sache en temps réel et qu’on le résout’’, fait-il savoir.

C’est pourquoi M. Sène est d’avis qu’ils ne peuvent pas se baser sur les instruments de l’Etat pour défendre les intérêts du consommateur. ‘’On cherche à mettre en place, nous-mêmes, un dispositif qui nous permettra, à chaque fois qu’un bien des consommateurs est menacé, d’intervenir. Qu’il s’agisse de l’eau, de l’électricité, d’Internet, du mobile, de l’éducation, de la santé, etc.’’, informe le consumériste. Sur ce, l’Uncs est en train de bâtir une plateforme autour des services sociaux de base. Et c’est avec la satisfaction par rapport à ces services que l’Uncs se positionnera et enclenchera une démarche vis-à-vis des partenaires, des décideurs et même des consommateurs. ‘’Parce que, quelquefois, il y a même des comportements de consommateurs qui sont à l’origine de certaines dérives, manquements, etc.’’, souligne M. Sène.  

Dans ce sens, Momar Ndao plaide pour la mise en place de structures ‘’idoines’’ pour permette une meilleure protection des consommateurs. ‘’Il y a aussi des décisions qui sont prises par le gouvernement, mais il n’y a pas de suivi. On a baissé le prix du loyer. Cependant, le ministère qui est chargé de sa mise en œuvre n’a jamais travaillé là-dessus. Il s’agit de celui des Finances. Il n’y a que le ministère du Commerce qui a un peu travaillé là-dessus et a arrêté par la suite. Aujourd’hui, il n’y a que nous Ascosen qui traitons tout ce qui a trait au loyer. On va jusqu’au tribunal encadrer les locataires’’, regrette-t-il. Or, pour Momar Ndao, le suivi devait être assuré par le ministère des Finances.

Les ménages à la merci des boutiques de quartier

En dehors de cet aspect, l’autre challenge concerne les ménages. Au fait, le président de l’Ascosen estime que les ménagères sont souvent ‘’victimes’’ des boutiquiers de quartier. Elles sont à ‘’leur merci’’. ‘’Par exemple, la bonbonne de gaz de 6 kg coûte à Dakar 2 885 F Cfa. Mais elle est vendue à 3 000 F Cfa. Les femmes savent parfois que ce n’est pas normal, pourtant, elles ne vont jamais le dénoncer, par peur de ne pas bénéficier de crédit de la part du boutiquier, en cas de besoin’’, fait-il savoir. Et celles qui ont le courage de le faire le font sous couvert de l’anonymat. Alors que, pour lui, le comportement du consommateur devrait aller dans le sens de réclamer ce qui lui revient.

 ‘’Il faut que l’Etat comprenne que le consommateur est au centre du développement. On ne peut pas dire qu’on veut aller vers l’émergence sans que les consommateurs ne soient respectés par les entreprises. Il faut aller dans ce sens, en protégeant la santé des consommateurs, avec la mise en place d’une structure de sécurité sanitaire des aliments, davantage encadrer les consommateurs par rapport à l’utilisation d’Internet, des objets connectés’’, dit-il. Mais aussi protéger le consommateur par rapport à ses droits, de telle sorte qu’il puisse être assuré que ses droits seraient respectés, quand il doit aller devant les systèmes d’arbitrage, que ce soit la justice, celle de proximité, la police, la gendarmerie, etc. ‘’Malheureusement, quand le consommateur est devant ces instances, il a souvent peur, en se demandant si ses droits seront respectés. Il faut qu’on arrive à le rassurer sur ces points-là pour aller de l’avant’’, recommande M. Ndao.

Sur la qualité de l’eau consommée dans la capitale sénégalaise et décriée par la plupart des consommateurs, le président de l’Ascosen soutient qu’elle est aujourd’hui ‘’la denrée la plus contrôlée au Sénégal’’. ‘’Il y a près de 8 000 prélèvements qui sont faits chaque année dans différents points, pour voir si l’eau respecte la norme. En réalité, elle respecte les normes de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Toutefois, il y a des zones où on a de l’eau trouble, à cause de la boue, du fer, etc. Et ça, nous ne l’acceptons pas. Une eau peut avoir une apparence bizarre et être potable. Nous avons dépassé la potabilité de l’eau et sommes à l’acceptabilité. Nous voulons qu’elle soit à la fois potable et belle à voir. Nous l’avons dit à la Sones et à la Sde’’, dit-il.

Actuellement, M. Ndao annonce qu’il y a une usine de déferrisation qui est en train d’être achevée pour améliorer la qualité de l’eau, notamment sa coloration rouge. ‘’On ne dénonce pas seulement dans l’air, on donne des arguments. L’importance, c’est qu’à la fin, l’Etat prenne en charge les doléances transférées et les règle’’, indique le consumériste.

Il faut noter qu’au Sénégal, même si les associations de consuméristes se battent depuis presque trois décennies pour la défense des consommateurs, il n’existe pas encore de réglementation pour leur protection. D’ailleurs, le projet de loi sur la question sera présenté aujourd’hui aux acteurs, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale. 

MARIAMA DIEME

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