Publié le 12 Aug 2024 - 11:44
DJIBRIL DIAW (INITIATEUR D’IMAGE DU FLEUVE, À BOGHÉ, RÉALISATEUR DES FILMS ‘’1989’’ ET ‘’SANS FRONTIÈRES’’

‘’J’ai relancé le festival dans l’espoir de faire revivre la ville’’

 

Le cinéma est une arme puissante pour  Djibril Diaw, natif de Boghé, une ville cosmopolite, culturelle, située en Mauritanie, près de la frontière sénégalaise. Initiateur et directeur du festival Images du fleuve, un ambitieux événement qui en était à sa quatrième édition,  il est aussi un réalisateur engagé.  Après son film sur les événements troublants de 1989 entre les deux pays voisins, il a réalisé ‘’Sans frontière’’ pour évoquer le  problème des rapatriés.  Aujourd'hui, malgré  le manque de soutien du gouvernement mauritanien, son festival est une vitrine culturelle pour sa ville (voisine de Demette), mais aussi pour son pays.

 

Vous êtes diplômé en réseaux informatiques et en gestion au Sénégal, après avoir obtenu votre Bac en Mauritanie. Aujourd'hui, vous êtes devenu un grand cinéaste. Qu'est-ce qui vous a conduit dans ce domaine ?

Ma passion pour l'image  et un besoin d'expression m'ont conduit à choisir le septième art. Le cinéma est pour moi un pont d'échange culturel avant tout, mais aussi un moyen de passer un message.

Votre premier film parle des événements de 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal. Ce film, primé lors du festival de la Senaf 2009 (Semaine nationale du film) est censuré en Mauritanie. Que voulez-vous montrer à travers ce documentaire ?

Le film ‘’1989’’ est  un travail de mémoire, mais aussi une thérapie pour les Mauritaniens.  J'ai voulu revenir sur ces moments douloureux de 1989 pour passer aussi un message  afin d'éviter et de prévenir les conflits.

Votre deuxième documentaire aussi, ‘’Retour sans cimetière", semble déranger les autorités. Parlez-nous de ce film.

C’est un peu la suite de "1989". Parce que c’est un film qui parle du problème des rapatriés avec la convention bipartite entre le Sénégal et la Mauritanie. Il était convenu que tous les rapatriés reprennent leurs terres et leurs concessions.

Après 20 ans d'exil, quand ils sont rentrés au village, premièrement, ils n’ont pas pu récupérer leurs terres ; deuxièmement, leur cimetière a été accaparé. Aujourd'hui, il est accaparé par un agrobusinessman qui en a fait un vaste champ agricole. Du coup, le cimetière s’est retrouvé à l'intérieur de son périmètre. Les habitants de ce village n'ont plus d’espace pour enterrer leurs morts.

Comment font-ils alors ?

Après tout le rituel funéraire, le corps est mis dans une pirogue. On traverse le fleuve de l’autre côté du Sénégal pour l'enterrer. Donc, ils ont pu trouver un cimetière de l’autre côté du Sénégal qu’ils ont appelé ‘’Donay’’, du même nom que le village Donay mauritanien. Ils n’ont plus droit d’enterrer leurs morts en Mauritanie. J’ai fait ce film pour dénoncer un peu ces accords. Et ils sont revenus dans l’espoir de retrouver une pseudo-tranquillité. Il y a aussi cette nostalgie du pays. Malheureusement, avec le projet agricole, le village n’a pas un espace vital. Même pour les animaux… parce que le village est encerclé. La seule ouverture est le fleuve. De tous les côtés, il y a un projet agricole qui appartient à des agrobusinessmen maures ou arabes qui, de plus en plus, enclavent ce village. Celui-ci qui n’a plus d'issue et ne se retrouve pas vers le Sénégal.

Est-ce qu’il y a des familles qui n'ont pas voulu retourner ?

Oui, il y a des familles qui n’ont pas voulu revenir. Il y avait une tentative de retour. C’était en 90-91. On les appelait en pulaar ‘’Moytou arto’’ (tu te caches et tu reviens chez toi). Mais ils ont compris que les conditions n'étaient pas réunies. Ils ont quand même passé plus de 20 ans au Sénégal.

Donc, forcément, ils ont pu fonder une famille, développer quelques commerces. Ils étaient relativement bien. Ils ne sont revenus que pour récupérer leurs terres, donc leurs papiers. Mais en réalité, ils sont repartis. D’autres n’ont pas voulu revenir. Ils n’ont pas confiance.

Ce film a été censuré dans votre pays. Pourquoi ?

Il est censuré parce que tout simplement, c’était une question très épineuse : question de spoliation des terres. La même année, c’était en 2012, la Mauritanie a sorti le décret présidentiel pour demander à tous ceux qui ne cultivent pas leurs terres de les céder. Mais en réalité, ce n’est pas l’État qui les a récupérées, mais plutôt les agrobusinessmen. Ce film dénonçait aussi cet aspect de l'exploitation des terres à outrance. Que les populations  qui sont revenues dans l’espoir de retrouver un certain  équilibre social puissent retrouver leurs terres. Elles se retrouvent aujourd’hui à louer des terres qui leur appartenaient. Alors, pendant deux ans, on n'avait pas eu le droit de le projeter en Mauritanie. C’est seulement en 2017-2018, avec l’aide et l'appui de la Maison des cinéastes, qu'on a pu le projeter.

Vous faisiez partie des porteurs de projet sélectionnés lors d’une résidence sur l’érosion côtière, en 2010. Que représente ce type d’activité pour vous ?

Heureusement qu’il y a eu cette résidence, sinon c’est le désert. Bien qu’il y ait une passion et une forte envie de faire, il n’y a pas d’accompagnement. On a essayé à plusieurs reprises de faire des résidences ici, mais l'État est très réticent. Il n'y a pas d'accompagnement pour les activités cinématographiques. Ici, il y a un État policier. Pour eux, l'ennemi, c'est la caméra, les cinéastes, les réalisateurs. Heureusement, ces résidences existent au Sénégal et dans d'autres pays, où nous avons la chance de pouvoir nous déplacer, de voir comment cela se passe et de développer des projets pour ma génération et celles à venir.

Quel est l’apport de cet événement au plan culturel ?

Boghé est une ville très riche culturellement. On a ici un quartier appelé Liberté. Les habitants de ce quartier sont des familles qui ont fui le Mali pour se réfugier à Boghé. On leur a laissé un espace qui est devenu leur quartier. À l’époque des colons, c’était l’endroit où l’on regroupait ceux qui étaient libérés. Cela a engendré un brassage culturel, car des Soninkés et des Bambaras se sont installés là et sont finalement devenus, en quelque sorte, des Peulhs. Ils parlent le pulaar couramment, ils partagent presque la même culture, mais ils restent tout de même attachés à leurs traditions. Boghé, c’est vraiment une ville cosmopolite. C’est une ville où l’on peut retrouver toutes les composantes de la Mauritanie. C’est une ville culturelle, il y a toujours eu des événements qui font que la ville bouillonne culturellement, alors qu’il y a quelques années, c’était vraiment le calme.

Il y a aussi l'exode rural. Tout le monde est pratiquement parti. Les jeunes ne s’adonnent plus vraiment à la découverte de la culture. Mais Boghé reste une ville de symboles qui fait office de frontière avec le Sénégal. Démette est presqu'une ville jumelle. On retrouve les mêmes familles de l’autre côté. Finalement, on ne voit plus ce fleuve comme une frontière, mais un pont culturel. Ce festival se tient au milieu des deux. Il reste encore beaucoup de choses à améliorer. Mais du point de vue culturel, j’ai une belle photo de la Mauritanie. Mais pas que. Celle de la sous-région aussi. Il y a ici une troupe, si elle prestait au Sénégal sans qu’on donne son origine, personne ne penserait qu’elle n’est pas sénégalaise. C’est vraiment un brassage culturel qui fait de cette ville une vitrine culturelle de la Mauritanie.

C’est un festival de cinéma et on y retrouve toutes les formes d’art (musique, humour, danse, théâtre)…

Le thème de cette année c’est ‘’Culture et développement’’. On a vu du folklore, mais ça fait partie du cinéma. Au-delà du cinéma, on a aussi besoin de voir autre chose. Il s’agit de mettre en valeur cette communauté où les  jeunes n’ont pas toujours la chance de s’exprimer. Si ce n’était pas ce festival, d’après les artistes, ils peuvent restés six ou sept mois sans prester. Il n’y a pas vraiment d’activité. Ils ont profité de ce festival pour montrer leur talent.

Donc, ce festival n’est pas que pour venir montrer des films. C’est aussi leur festival à eux. On leur donne cette fenêtre d’expression pour leur talent. On a tout un ensemble qui permet d’équiper, d’éveiller, de conscientiser. Vous avez vu Monsieur le Maire parler du sujet de la drogue. Les artistes peuvent s’adresser à la jeunesse…

Vous avez tantôt parlé de brassage culturel, de pont ; Image du fleuve, c’est aussi  pour renforcer la cohésion sociale. N’est-ce pas ?

Oui, effectivement. Il y a aussi l’OMVS. Le festival  Image du fleuve reflète un parcours parce que le fleuve est très long. C'est une histoire, un esprit, un symbole et une source de vie.

Après la deuxième édition, le festival est resté environ huit ans sans se tenir avant de revenir en 2024 pour sa troisième édition. Quelles ont été les causes ?

Je suis reparti en 2012 et je ne suis revenu qu’en 2019-2020 pour voir un peu comment ce pays avance. Parce que nous traversions des moments très difficiles politiquement, socialement et culturellement. Après que le film ‘’1989’’ a été censuré, "Sans cimetière" est passé par le même chemin. J’avais envie de m’éloigner, de partir, d’aller voir autre chose, peut-être revenir autrement.   Ce n’est qu’après avoir pris du temps, après avoir beaucoup réfléchi, que je me suis dit que c’était le moment d’y retourner. Parce que je faisais des allers-retours pour voir la situation…

J’ai relancé le festival dans l’espoir de faire revivre la ville, mais également de partager ma passion.

Quelles sont les perspectives ?

C'est un festival qui renaît. Donc, il y a des choses imparfaites. Il faut qu’on essaie, d’abord, d’impliquer davantage les jeunes pour qu’ils comprennent le fonctionnement d’un festival de cinéma, parce qu’ils comprennent juste comment organiser un concert de musique.  

BABACAR SY SEYE

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