Publié le 17 Jan 2021 - 04:27
EN PRIVE AVEC GENERAL VALSERO

‘’Vous avez un problème de 3e mandat ; au Cameroun, on se bat contre un 7e mandat’’

 

Il est un général sans arme à feu, ni troupe à commander. Mais il a un peuple derrière lui et le hip-hop comme arme. Général Valsero est un poids lourd du rap camerounais. Engagé, il ne se limite pas à écrire des textes pour dénoncer les exactions du régime de Paul Biya. Il est entré en politique aux côtés du principal leader de l’opposition camerounaise, Maurice Kamto. Cela lui a valu un séjour en prison en 2018. Une épreuve dont il est bien fier. A Dakar il y a quelques semaines pour prendre part à la 2e édition de l’Université populaire de l’engagement citoyen (Upec), il s’est entretenu avec Africulturelle et ‘’EnQuête’’. Une occasion de parler du syndrome du 3e mandat en Afrique de l’Ouest, des Régionales au Cameroun et de la frilosité des activistes des mouvements citoyens à entrer en politique. Entretien.

 

La session de l’Upec, cette année, s’est tenue dans un contexte politique particulier. En Afrique de l’Ouest, des présidents se battent ou se sont battus pour imposer un 3e mandat jugé ‘’illégal’’. Comment appréciez-vous cette situation ?

Je crois que les réélections d’Alassane Ouattara et d’Alpha Condé sont une insulte à la démocratie. Elles ont souillé ce qu’on pensait de l’évolution de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Je viens d’une partie de l’Afrique qui est l’Afrique centrale où on ne lutte pas contre les troisièmes mandats. On lutte contre les cinquième, sixième, septième mandat. Le président de mon pays, par exemple, Paul Biya, cela fait 40 ans qu’il est au pouvoir. Il en est à son septième. Je pense que la majorité des jeunes Africains avaient la référence ouest-africaine en matière de démocratie, d’alternance. La réélection de ces deux tristes personnages aujourd’hui est venue faire reculer de 50 ans la démocratie. La démocratie ouest-africaine commençait à être une référence dans le continent en matière de gouvernance.

Personnellement, je vis cela très mal. Ce qui était pour moi hier un exemple, le chemin vers où on voulait aller, là où on pointait notre doigt pour dire à nos dirigeants de l’Afrique faites comme eux, ne l’est plus. On ne peut plus faire tout cela. Paul Biya est bien content que Ouattara et Alpha Condé passent. Oh oui ! Plus on est nombreux, plus on rit. Je crois que c’est pour cela qu’il était important pour l’Upec de cette année de mettre une thématique sur le troisième mandat pour sauver cette démocratie africaine, pour ne pas laisser passer cette ignominie, cette forfaiture.

Le plus important, aujourd’hui, est que même si nous on subit les cinquième, sixième, septième mandat, on veut garder l’espoir, l’image qu’on a de l’Afrique de l’Ouest. C’est un modèle de démocratie légèrement plus évoluée qu’en Afrique centrale et on ne veut pas couper cette route. On veut pouvoir continuer de rêver, avoir une projection et nous dire que ce n’est pas dans tous les pays africains que les gens font 100 ans au pouvoir. Il faut que cela reste comme ça. Que cela continue et ne régresse pas, sinon nous, nous ne pourrons pas avancer.

Que cela soit en Afrique de l’Ouest ou en Afrique centrale, il y a des mouvements citoyens comme Y en a marre qui se battent. Mais jusque-là, ils le font hors de la scène politique. Ce qui n’est pas forcément votre cas. D’ailleurs, vous dites dans une interview que ‘’si on veut changer le système, il n’y a pas d’autres moyens que d’entrer en politique’’. Ce que ne pensent pas forcément les membres d’un mouvement comme Y en a marre. Que leur dites-vous pour les convaincre ?

Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis venu ici. C’est mon cheval de bataille depuis le début et même avant. Je veux qu’ils comprennent qu’ils peuvent avoir une puissance, mais si elle ne peut pas être transformée en décision politique, en influence sur les politiques publiques, elle ne peut pas changer une politique. Je pense que les mouvements citoyens sont des structures de contre-pouvoir. C’est aussi la plus grosse école de gestion de la société, là où est pris en compte l’intérêt commun. La plupart des activistes des mouvements citoyens sont à la plus grande école de la politique. Le plus dur est qu’ils ne veulent pas aller en classe supérieure, c’est-à-dire entrer en politique. Cela ne signifie pas tuer les mouvements citoyens. Ils sont des mécanismes de contre-pouvoir. Il y a plein de jeunes qui doivent les rejoindre pour travailler leur citoyenneté, pour s’éduquer, grandir, etc. Donc, on ne peut se permettre de risquer la disparition des mouvements citoyens. Il n’empêche, on doit pouvoir, pour moi, à un moment, évoluer.  C’est cela qu’on appelle le renouvellement, qui passe par l’école et après la mise en pratique.

Aujourd’hui, les mouvements citoyens sont condamnés à être enfermés ici pour contester. S’ils étaient entrés en politique, ils seraient descendus dans les rues, les quartiers, les villages, en train de redessiner l’Afrique dont ils parlent. Il faut qu’ils s’en rendent compte. Un mouvement citoyen finit dans un séminaire et la phase 2, c’est de sortir des salles et d’aller développer le pays, le colorer comme ils le veulent, donner ce sang neuf politique et laisser leur place à d’autres jeunes qui vont venir se former aussi et apprendre à établir un rapport de force avec les gouvernants. Le contre-pouvoir est la garantie de la démocratie. Mon rêve, c’est de voir des acteurs des mouvements citoyens avoir en charge la gestion de leurs pays et mettre en place des budgets pour financer les mouvements citoyens.

Ainsi, on ne demandera plus de l’argent à l’Union européenne. Ce n’est pas à elle de garantir le contre-pouvoir. Il est un mécanisme de souveraineté qui devrait appartenir au budget de souveraineté pour garantir une démocratie fondamentale. Pour moi, c’est extrêmement important et je ne m’arrêterai pas. Il y a quelques avancées notées dans ce sens-là. Il y a d’anciens membres du Balai citoyen qui ont mis en place un parti politique. Le Balai citoyen existe encore, malgré cela. Seuls quelques-uns ont migré pour créer l’alternance politique nécessaire. On ne peut rester dans la contestation. A un moment, il faut aller vers la proposition.

Vous semblez dire que le mouvement citoyen est le temps de la théorie et la politique celui de l’action…

On pourrait dire ça ainsi. Pour moi, le mouvement citoyen, c’est le temps de la formation, de l’éducation, de l’implication. La politique, c’est l’action, la mise en pratique de tout ce qu’on a appris. Aujourd’hui, les procédures autocratiques continuent au Cameroun, parce que ces mouvements citoyens dont les leaders sont des personnes aimées, travaillent pour des personnes détestées. Tant que ce sont les personnes détestées, détestables qui seront dans la politique, la politique elle-même restera une action détestée et détestable. Il est donc important qu’à un moment donné, les mouvements citoyens essaient d’être plus grands qu’ils ne sont déjà.

Le confort des mouvements citoyens, l’embourgeoisement qui peut gagner certains acteurs des mouvements citoyens, ils ne le voient pas venir. Ils sont structurés pour embourgeoiser, nous faire perdre le feu. Aujourd’hui, les gens n’arrivent plus à dire ce qu’ils pensent comme ils veulent. Ils se demandent toujours si ce qu’ils disent est politiquement correct. Ils n’arrivent plus à être spontanés parce que quand on fait dix ans de mouvement citoyen, il devient une source de financement. On commence à avoir des problèmes, à moins gueuler, à diluer son pastis, parce que vous risquez plus que la survie du pays, mais également  le loyer à payer. La vie d’activiste de mouvement citoyen qui devait être le parallèle de votre vie normale est devenue toute votre vie. Et là, vous devenez vulnérable. Comme on dit, celui qui paie la facture commande.

Mais cet engagement politique n’est pas totalement partagé. Au Cameroun, vos collègues rappeurs comme Izmo Le Rappologue ou Krotal ont dit, dans des interviews, après votre arrestation, que vous avez eu tort de soutenir activement un des candidats à la Présidentielle. Que pensez-vous de cela ?

J’ai vu cela quand j’étais en prison et cela m’a fait mal de lire Krotal ou Izmo donner leur point de vue. Ce n’est pas parce que cela me fait mal que cela ne doit pas être accepté comme étant leur point de vue. Mais ce n’est pas non plus parce que c’est leur point de vue que c’est vrai. Je crois qu’ils se sont beaucoup avancés sur cette question sans avoir toutes les cartes, parce que tout dépend du champ dans lequel l’on travaille. Je fais du rap politique, je travaille dans un contexte politique. Il est important que ça évolue. J’ai bien lu ce qu’ils ont dit et c’est le genre de choses qu’on fait croire à la population. Il y a des gens aptes à faire de la politique et d’autres pas.

On n’a pas besoin de dire qu’il était acteur de cinéma ou autre et est devenu homme politique. On n’a pas besoin de sortir ce genre d’exemple ridicule. On a besoin d’être riche pour avoir un mandat électif. Il faut aimer le peuple. Je pense que la musique, c’est l’amour pour le peuple. Il ne faut pas résumer la musique à la détente et au divertissement, comme si c’était le seul besoin des jeunes Africains. On a des classes politiques vieillissantes. Je viens d’un pays où les artistes n’ont même pas de statut. Ils ne cotisent rien. Il n’y a pas de sécurité sociale, rien. Je crois que ces rappeurs n’avaient pas compris. Cela leur prendra un peu de temps, mais ils y arriveront.

On vient de boucler les premières élections régions au Cameroun. Comment appréciez-vous leur organisation ?

Je pense que les trois élections qui ont eu lieu au Cameroun, que ce soit la Présidentielle de 2018, les Législatives de 2019 et dernièrement les Régionales, étaient des façades de renforcement de l’autocratie. La politique du boycott est aujourd’hui pour moi celle imposée en Afrique, parce que les systèmes doivent être brisés. Aujourd’hui, le système est construit de telle manière que l’alternance est totalement impossible. Je vous promets que même si Jésus descendait du ciel pour venir faire une compétition contre Paul Biya, il ne gagnerait pas. Même Jésus ne pourrait pas gagner une élection, avec le Code électoral que nous avons au Cameroun. Les premières pierres de la démocratie, c’est le jeu électoral. Tant que ce dernier est biaisé, on devrait boycotter.

Mais est-ce que le boycott est payant ?

C’est une manière de dire. Est-ce qu’y aller est payant ? A quoi ça sert de légitimer une Assemblée nationale qui a été braquée ? Quand vous voyez le parti au pouvoir distribuer lui-même les sièges, pourquoi y aller ! C’est le RDCP qui décide quel gentil opposant va avoir 4 ou 5 sièges. Et eux prennent 120 députés. Tout ce qu’ils ont réussi, c’est d’avoir des complices. Je préfère boycotter que d’être complice. Dire que la politique du boycott ne compte pas est un dogme. En Afrique, le boycott est une arme fondamentale. La particularité des autocrates est de faire croire aux gens qu’il ne sert à rien.

L’opposition a décidé de boycotter. Ce qui n’a pas empêché l’Etat de faire monter la garde devant la maison du principal opposant Maurice Kamto, par ailleurs votre leader. De quoi a finalement peur le gouvernement camerounais ?

Le régime de Paul Biya est comme tous les régimes autocrates. La seule chose dont ils ont peur, est le soulèvement populaire. C’est pour cela que les répressions se multiplient. C’est pour cela que la moindre prétention de manifestation est réprimée et on vous envoie en prison. Ces gens n’ont pas peur de perdre une élection, parce qu’ils ne peuvent pas perdre. C’est pourquoi il faut boycotter.

Vous avez été arrêté suite à une manifestation. Vous êtes resté en prison pendant presque un an. Comment étaient ces moments ?

On va dire que c’est la prison. J’essaie de ne pas raconter mon séjour carcéral, parce qu’il y a beaucoup de gens qui y sont. J’étais bien en prison. La raison pour laquelle j’y suis allé me rendait très fort. J’y étais à ma place. Dans un système de répression, de dictature, la place de l’homme libre, intègre et grand est en prison. Cela n’a posé de problème ni à Maurice Kamto ni à moi. Il est prêt à y retourner.

Il y a quelques années, vous avez fait un texte en hommage aux victimes de Ngarbuh. Le procès des présumés auteurs de ce massacre s’est ouvert le 17 décembre dernier. N’est-ce pas une avancée pour ceux qui réclamaient justice comme vous ?

Il n’y a pas d’avancée dans une dictature. Il y a trop de cosmétique. La dictature se cache derrière le cosmétique. Elle crée toujours une fausse couche, mais la puanteur reste en bas. Déjà, ils ont dit que ce n’était pas les militaires, mais les séparatistes qui ont fait cela. Ce qui était faux et ils ne se sont pas excusés. Il a fallu que des adeptes du boycott et de la contestation comme nous autres, menions des enquêtes et ramenions des informations, pour démontrer que ce n’était pas les séparatistes. Ce n’est pas l’enquête du gouvernement qui a démontré que les militaires étaient responsables. Encore que ces militaires reçoivent des ordres. Il n’y a aucun gradé qui a été arrêté. On a arrêté trois pelés et deux tondus. Ce sont des arrestations de façade et peut-être même que ces gens ne sont pas en prison. Ils ont fait un job qu’on leur a demandé de faire.

Depuis 2018, le Cameroun est ingouvernable, parce qu’il y a une crise de légitimité au sommet de l’Etat.

PAR BIGUÉ BOB
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