Publié le 20 Aug 2019 - 22:48
FORUM ECONOMIQUE

Les Allemands à l’assaut du marché sénégalais

 

La guerre économique aura bel et bien lieu. Après les Français, les Chinois et les Turcs, ce sont les entreprises allemandes qui lancent la grande offensive pour la conquête du marché ouest-africain à partir du Sénégal. Hier, lors d’un forum organisé par l’Apix et le Club des investisseurs sénégalais, les promoteurs allemands ont affiché leurs ambitions et écouté les opportunités qu’offre le Sénégal. 

 

En conquérants, dans un territoire jusque-là catalogué comme à forte domination française, les Allemands affichent leurs ambitions pour le Sénégal et l’Afrique de l’Ouest. Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans les années à venir, ces hommes d’affaires ne comptent pas jouer les derniers rôles. Au nombre de 14 compagnies dont Siemens AG, Forest Finest, TUM International, Kuka Bau GmbH, Nano Terra AG, MuP Group… elles ont rencontré, hier, le secteur privé national ainsi que différents démembrements de l’Etat, pour écouter les opportunités d’affaires que leur offre le Sénégal.

A leur niveau, les choses semblent bien claires.

En fait, les Allemands ont clairement signifié à leurs partenaires sénégalais les secteurs qui les intéressent en priorité. Il s’agit principalement de l’énergie, des infrastructures et de l’agriculture. Mais ce n’est pas tout. Pour investir au Sénégal, les entreprises allemandes ont principalement pour cibles les zones économiques spéciales (Zes). De véritables ‘’paradis’’ qui offrent aux investisseurs d’énormes avantages. Tant du point de vue des incitations fiscales, douanières, voire même de l’obtention des titres de propriété foncière.

L’agriculture, l’énergie et les infrastructures, priorités des Allemands

Avec l’administrateur délégué des Zones économiques spéciales Alioune Mara, il faudrait retenir que tout le Sénégal est potentiellement zone économique spéciale. Avant, seules des terres de Diass qui sont mitoyennes à l’aéroport international Blaise Diagne étaient régies par la loi. Ce qui veut dire que maintenant, le président de la République peut, à tout moment, prendre un décret pour ériger une partie du territoire en Zes et même exproprier des gens pour cause d’utilité publique.

Actuellement, le pays compte trois zones économiques spéciales qui sont en développement effectif. Il s’agit de Dias, de Diamniadio et de Sandiara. Dans ces zones, renseigne M. Mara, les entreprises bénéficient de plein de privilèges. Pour une durée de 25 ans renouvelable une fois, elles vont payer un impôt sur les sociétés de 15 % au lieu de 30 % sur l’ensemble de leurs bénéfices. En plus, pour ce qui est des taxes pour le transfert de propriété, elles ne paient que 5 % au lieu de 15 % avant 2012. En outre, ces entreprises ne paient ni droits de douane sur leurs importations de matières premières ni Tva pour les biens qu’elles achètent au Sénégal. Aussi, même pour ce qui est du droit du travail, il y a plus de flexibilité.

Un expert d’une grande Ong qui s’active dans le domaine de la justice fiscale de prévenir face aux risques d’évasion fiscale et de fraude. Interpellé sur les rapprochements entre paradis fiscal et zone économique spéciale, il déclare : ‘’En tout cas, dans les zones économiques spéciales, il existe toujours des risques d’évasion fiscale et de fraude.’’

Mais qu’à cela ne tienne, le directeur général de l’Apix, Mountaga Sy, défend avec véhémence les Zes. Pour lui, ces zones sont des moteurs pour tirer l’industrialisation du pays. Et cette industrialisation est nécessaire pour booster l’économie, l’emploi et le Pib.

‘’Le Sénégal, souligne-t-il, veut, en effet, se positionner comme le hub industriel et logistique en Afrique de l’Ouest avec le développement de nouveaux pôles de croissance qui vont avoir un effet d’entrainement sur la croissance’’.

A ceux qui accusent l’Etat du Sénégal d’accorder trop d’exonérations aux privés étrangers, le Dg de l’Apix rétorque : ‘’Les exonérations fiscales reposent sur le postulat que l’investisseur qui vient investir dans une zone spéciale doit garantir l’exportation de sa production jusqu’à un certain niveau. C’est aussi un moyen de bénéficier de la délocalisation d’entreprises, de créer des emplois chez nous et un transfert de technologie. D’autre part, il faut savoir que l’investisseur est prêt à payer des taxes si, en face, il a un service aux investisseurs de qualité.’’

Face aux investisseurs allemands, M. Sy est également revenu sur l’importance de la sécurisation des investissements. En général, explique-t-il, l’investisseur passe 80 % de son temps à sécuriser le foncier, qui est la base fondamentale de la sécurisation de l’investissement, sur presque 99 ans. Les Zes consacrent la volonté de l’Etat à mettre à la disposition de l’investisseur un foncier aménagé et sécurisé. D’où les réformes majeures mises en place par l’Etat pour les rendre attractives.

Dans le paradis des zones économiques spéciales

Au Sénégal, tout semble fait pour faciliter les affaires, surtout dans les Zes. Par exemple, la douane, la gendarmerie, l’inspection du travail, le service étranger pour le renouvellement de cartes de séjour, du permis de travail, le cadastre pour le permis de construire, tous ces services sont mobilisés pour permettre aux investisseurs d’accomplir toutes leurs formalités sur place.

Selon Mountaga Sy, l’Etat a consenti des efforts importants dans l’attractivité, aussi bien du point de vue des réformes que des infrastructures. Il ajoute : ‘’Nous avons 128 projets dans le cadre du Pse ouverts au privé national et étranger. Parce que ces projets demandent des investissements lourds et des spécificités, en termes de technologie et de savoir-faire. L’Etat veut les réaliser avec son secteur privé, avec l’aide des investisseurs étrangers. C’est l’objet de ce forum. C’est pourquoi nous avons imaginé organiser ces échanges entre l’offre financière, l’offre technologique et d’ingénierie des étrangers et l’aptitude du secteur privé sénégalais pour que les projets puissent être mis en œuvre.’’

A en croire le directeur de cabinet du ministre en charge de l’Economie et de la Coopération, ce forum vient à son heure. Interpellé sur la prédominance supposée des entreprises françaises du marché national, il déclare : ‘’Ça, c’est un faux débat. L’essentiel est que nous sommes une économie ouverte. Nous sommes ouverts à tous les investisseurs étrangers qui viennent mettre leurs billes dans notre pays. Nous avons aussi une préoccupation forte de développement du secteur privé local. C’est un des objectifs de ce forum. Fondamentalement, ce qui est important est d’arriver à organiser le privé local et étranger dans le cadre de joint-ventures qui soient profitables à notre économie, en termes  de création de valeur ajoutée, d’emplois et de croissance’’.

Aliou Ndiaye de rappeler à l’intention des Allemands les trois agropoles créées notamment au Nord et au Sud. Selon lui, ‘’le Sénégal est devenu une vitrine qui attire au-delà même de l’Allemagne. Il y avait déjà la Chine et tant d’autres, et cela montre que nous ne sommes pas un pays fermé’’.

Dans l’après-midi d’hier, des B to B devaient être organisés. Les schémas de joint-ventures devaient être mis en place et présentés à la tutelle.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

L’atout charme des secteurs privés nationaux

Le Conseil des investisseurs sénégalais et le Conseil national du patronat, représentés au forum, ont décliné les attentes du secteur privé national.

A ce forum, le Conseil des investisseurs sénégalais (Cis) et le Conseil national du patronat (Cnp) étaient bien représentés. Docteur Abdourahmane Diouf a livré le message du président du Cis Babacar Ngom. Il déclare : ‘’Le savoir-faire allemand et européen est pour nous une opportunité. L’industrie balbutiante sénégalaise est pour vous (les Allemands) une opportunité. En nous associant à vous, nous vous offrons des opportunités réelles de co-investissement, la garantie d’un monitoring aligné aux standards internationaux et la durabilité de vos projets portés par des locaux.’’

Selon lui, le forum est l’expression parfaite d’un partenariat publique-privé qui a vocation à tirer le Sénégal vers le développement. ‘’Le secteur privé national a entrepris de travailler avec des hommes d’affaires allemands et européens. Le Cis et les autres organisations patronales sont dans d’excellentes dispositions pour nouer des partenariats et s’assurer que les bénéfices des transactions seront en grande partie réinvestis au Sénégal’’, précise M. Diouf.

A en croire le représentant de Babacar Ngom, c’est en parfaite compréhension de ces enjeux que sa structure a été créée en juin 2018. ‘’Le Cis travaille pour l’éclosion d’entreprises nationales performantes. Il s’érige, d’une part, en partenaire de l’Etat pour une bonne prise en charge de nos intérêts nationaux vitaux. D’autre part, en porte d’entrée au Sénégal des investisseurs étrangers que vous êtes et qui œuvrent pour le développement de l’économie locale’’, rapporte l’ancien porte-parole de Rewmi.

Pour lui, les privés nationaux sont prêts à accueillir et à travailler avec les Allemands et les européens. Il ajoute : ‘’Le secteur privé sénégalais est en pleine mutation. Il est ouvert à l’extérieur. Il a conscience des nécessaires synergies avec les secteurs privés internationaux. Dans les situations où nos entreprises n’ont pas les capacités de mettre en œuvre certains projets, nous sommes ouverts à l’expertise internationale comme la vôtre. Cette expertise, nous la souhaitons articulée autour de la mise à niveau du secteur privé national assortie d’un transfert effectif de technologie. Nous souhaitons la porter par nous-mêmes à moyen, long et court terme.’’

Pour Mamadou Guèye, Vice-Président du Cnp, le secteur privé est prêt à collaborer avec les investisseurs européens et allemands pour booster leurs performances. ‘’Nous allons travailler en co-investissement dans les infrastructures, l’agriculture… Nous allons essayer, avec eux, de saisir les opportunités qu’offre le Sénégal à travers les zones économiques spéciales. Nous avons un secteur privé assez fort pour travailler avec n’importe qui’’.

Est-ce une volonté de se démarquer des partenaires traditionnels comme la France ? Il rétorque : ‘’Il n’y a pas une volonté de se démarquer de qui que ce soit. Nous sommes un pays ouvert, attractif. Tout le monde veut venir au Sénégal et nous sommes là pour les accueillir. Que ça soit des Allemands, des Français ou des Australiens. Nous sommes tout à fait à l’aise.’’

MOR AMAR

 

Section: