Publié le 14 Aug 2020 - 18:29
HAUSSE DES CAS COMMUNAUTAIRES, DES CAS GRAVES, MANQUEMENT DANS LA COMMUNICATION DU MSAS

La Cosas alerte sur la possibilité d’atteindre des milliers de morts 

 

Le scénario tant redouté d’un débordement des structures sanitaires se dessine de plus en plus, avec l’explosion notée, ces derniers jours, des malades testés positifs au coronavirus. Pour la Coalition pour la santé et l’action sociale (Cosas), si la courbe n’est pas inversée, de sérieuses menaces planent sur le Sénégal.

 

La continuité des services sanitaires durant la pandémie, le renforcement de l’engagement communautaire, les défis pour une communication dynamique de changement social, les risques encourus par le personnel de santé et leurs moyens de prévention. Ces quatre points ont été discutés, le 10 juillet dernier, par la Coalition pour la santé et l’action sociale (Cosas), qui a tenu un webinaire afin d’apporter son expertise pour contrer l’explosion notée du nombre de cas de Covid-19 et la hausse graduelle du taux de mortalité.

Avec l’appui de socio-anthropologues, de diplômés en santé communautaire et de plusieurs organisations de la société civile, dont le Réseau des organisations communautaires en santé, les unions de mutuelles, la Cosas appellent les autorités sénégalaises à revoir la stratégie de riposte adoptée jusqu’ici, puisque celle-ci, ‘’est à bout de souffle’’.

Plusieurs raisons expliquent les difficultés actuelles encourues par le Sénégal pour contenir le rythme de nouvelles contaminations. Et pour ces spécialistes, l’erreur principale commise par les techniciens du ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) a été de gérer ce problème de santé, considéré comme une urgence sanitaire, sous un angle exclusivement médical, en s’inspirant de l’historique de la fièvre à virus Ébola.

Pourtant, estiment-ils, ‘’80 % des déterminants de cette pandémie viennent d’autres secteurs (multisectorialité)’’. Résultat, ajoutent-ils : ‘’On assiste à une circulation active du virus dans notre pays, contrastant avec la gestion léthargique et routinière des autorités, qui rejettent la responsabilité de la situation actuelle sur les populations qui seraient réticentes à appliquer les gestes barrières et à se conformer aux directives gouvernementales.’’

Les erreurs de communication ont aussi concernés une absence de visibilité de la stratégie globale, puisque la Cosas a décelé un caractère parcellaire évident des renseignements fournis sur l’évolution de la pandémie, lors de points de presse quotidiens du ministère de la Santé.

A trop se focaliser sur la pandémie de coronavirus, le comité de riposte a provoqué ce que ces experts qualifient ‘’d’une apparition concomitante d’une seconde pandémie : l’explosion des autres pathologies impactant sur la continuité des services de santé’’. Car, renseignent-ils, la psychose des patients face à la pandémie, les pathologies non-Covid reléguées en seconde zone, de même que l’exposition des prestataires de soins font que le service effectif dans les structures de soins n’est plus ce qu’il était avant mars 2020.

La conséquence de tout cela est un relâchement dans le dépistage et le suivi des pathologies chroniques. En même temps, l’occupation, par les patients Covid, des services de réanimation et de chirurgie cardiaque (Cuomo), auparavant dévolus à la chirurgie cardiaque et aux services d’orthopédie/traumatologie, ‘’se traduit par une surmortalité des patients souffrant de cardiopathies et des difficultés de prise en charge des pathologies traumatiques, surtout depuis la reprise de la circulation interurbaine et son lot habituel d’accidents’’.

De sérieuses menacent planent sur le Sénégal, dont la probité de plusieurs milliers de morts de la Covid-19

Ajouter à ces manquements notés un déficit de transparence du processus, dans le cadre de la mise en place du comité de suivi, de l’octroi de subventions aux secteurs économiques en difficulté, des modalités de l’appui aux ménages, le scandale sur la passation des marchés de denrées alimentaires et sur l’achat d’équipements et de consommables médicaux confiés à des proches présumés de la sphère gouvernementale, pour créer un climat de suspicion qui n’aide en rien la lutte contre la pandémie.

En effet, la Cosas note que malgré les efforts fournis, surtout en matière de prise en charge médicale, ‘’l’on a remarqué l’apparition de phénomènes tels que la stigmatisation, le déni, l’impression que le gouvernement est dépassé. Cela a fini par entraîner une baisse de la confiance des populations vis-à-vis des directives provenant des autorités et l’abandon progressif des mesures barrières’’.

Face au déni de la pandémie et/ou à la démobilisation qui gagne un nombre croissant de citoyens dans l’application des gestes barrières, préviennent-ils, de sérieuses menaces planent sur notre pays, surtout si on prend en considération les faibles capacités de prise en charge des cas graves dans nos structures hospitalières.

Si ces experts se permettent une telle perspective, alors que le pays comptait hier 244 décès officiels à plus de 5 mois de présence de la pandémie, c’est que ‘’des projections, sur la base de modèles mathématiques, prévoient un débordement du système sanitaire, avec saturation des capacités hospitalières entraînant plusieurs milliers de décès. Pour parer à cette hypothèse funeste, mais plausible, l’application rigoureuse des mesures barrières est la voie royale. Mais elle devra nécessairement être complétée par le dépistage massif pour identifier, isoler et prendre en charge les cas positifs’’.

Une augmentation du nombre de tests réclamée

Ils s’inscrivent ainsi contre la stratégie des tests réduits pratiqués par le ministère de la Santé, puisqu’elle ne reflète pas ‘’la réalité, avec une augmentation du nombre des cas positifs étroitement liée au nombre de tests effectués’’. De ce fait, ajoutent les spécialistes, la gravité des cas n’est pas appréhendée dans toute sa mesure, puisque de très nombreux décès dans la communauté ne sont pas comptabilisés comme étant consécutifs à la Covid-19. Et pour cette raison, ‘’la Cosas réitère, plus que jamais, ses recommandations pour l’augmentation du nombre de tests, par une décentralisation dans les laboratoires régionaux, en s’entourant de toutes les garanties de sécurité pour les techniciens de laboratoires. On pourrait aussi tirer profit des tests sérologiques et des tests de diagnostic rapide’’.

L’identification précoce des personnes positives à la Covid-19 permettra de mieux protéger le personnel médical, pour qui la Cosas a toujours préconisé une approche holistique avec préservation de tous les travailleurs et volontaires impliqués dans la gestion de la pandémie, y compris dans les zones transfrontalières oubliées depuis le début de la pandémie.

Comment reprendre la main alors ? La Cosas plaide pour la mise en œuvre effective de l’engagement communautaire. Si plusieurs occasions ont été manquées par un processus inachevé, non coordonné, manquant de jouer son rôle de facilitation, les experts conseillent d’éviter les pièges en rapport avec les interférences politiciennes et électoralistes, et compter davantage sur des groupes de riposte communautaire. ‘’Ces groupes devraient être composés de personnes-ressources volontaires et engagées, des champions communautaires jouissant de la confiance de leurs communautés. Ils devront sensibiliser sur les gestes barrières, protéger les couches vulnérables, particulièrement les personnes âgées. Ils pourront aussi aider au confinement domiciliaire/communautaire des porteurs sains et cas contacts encore négatifs’’, expliquent-ils.

Les discussions lors du webinaire ont permis de dégager un large consensus entre acteurs de la santé, sociologues, organisations de la société civile ou même politiques, pour appeler les autorités à revoir fondamentalement leur mode actuel de gestion de la pandémie, pour renouer avec les bonnes pratiques d’engagement communautaire, de dépistage massif, de traçage et de prise en charge des cas.

Les leçons à retenir de la pandémie de Covid-19

La Coalition pour la santé et l’action sociale (Cosas) qui a tenu un webinaire lundi dernier sur l’évolution inquiétante de la pandémie de Covid-19 au Sénégal, a appelé les autorités publiques à tirer des leçons de ce que vit actuellement le pays.

L’une des plus importantes, à ses yeux, est de réorienter prioritairement les ressources budgétaires vers les secteurs de la santé et de l’éducation. Car la santé s’est révélée être ‘’un grand enjeu d’investissement, une sorte de préalable à toute vie économique viable’’. Elle invite aussi le gouvernement à rompre radicalement avec l’approche médicalisée, centralisée et verticale, la Cosas étant favorable à l’aspect ‘’d’interministérialité’’ visant à faire de la santé un objectif pour tous les ministères.

Elle appelle ainsi le gouvernement à définir une véritable politique sanitaire, consistant à aller plus en avant dans la régionalisation ou la territorialisation du système sanitaire et à redynamiser le renforcement de l’implication communautaire en promouvant la mise à l’échelle d’expériences pilotes réussies.  

Les spécialistes ont aussi noté que ‘’malgré l’existence d’une Cellule de la carte sanitaire et sociale, de la santé digitale et de l’observatoire de la santé (CSSDOS), le ministère de la santé n’a pas vraiment pris le virage de la digitalisation. Là aussi, on s’est surtout arrêté aux aspects symboliques face aux immenses opportunités offertes par le traçage des contacts, le téléenseignement, le télétravail, la télémédecine, etc.’’.

Pour la Cosas, le Sénégal devra, à l’avenir, faire preuve d’anticipation, grâce à un système de veille et d’alerte, face à la quasi-inéluctabilité de l’apparition de nouvelles maladies émergentes (planification, exercices de simulation). Il faudra aussi renforcer, aux plans institutionnel, organisationnel et financier, la prise en charge de la gestion des urgences sanitaires, à travers le Centre des opérations d’urgence sanitaire (Cous).

Enfin, la nécessité de veiller au fonctionnement pérenne du Comité national de gestion des épidémies plus inclusives, auquel on devra associer diverses parties prenantes (épidémiologistes, experts en santé publique, spécialistes de la communication, sociétés savantes, diplômés de santé communautaire, etc.) a aussi été mise en exergue.  

Lamine Diouf

 

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