Publié le 12 Apr 2012 - 05:47
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La République des banquiers

 

La ''nouvelle République'' du président Macky Sall aurait-elle déçu l’attente du peuple ? Difficile à dire car l’homme conserve encore sa confiance en dépit des remous intéressés suscités par des alliés déçus. Il reste que la configuration du premier gouvernement issu de la deuxième alternance intrigue quant aux options sociales fondamentales que le nouveau régime devrait prendre. C’est la République des banquiers avec l’un au poste de Premier ministre et l’autre à celui de ministre de l’Économie et des Finances.

 

Ce couplé est le schéma inversé du président Abdou Diouf sur la pente descendante de son régime quand, confronté à la menace de dévaluation du franc Cfa, le sort de notre économie nationale fut confié au banquier Sakho et au haut fonctionnaire du ministère des Finances Mamadou Lamine Loum. Le doigté du duo Sakho-Loum transforma les affrontements en perspective de la crise économique et sociale en un consensus pour la surmonter, et le président Abdou Diouf trouva en Mamadou Lamine Loum le Premier ministre qui redressa l’économie au point que l’alternance fut une aubaine pour ses tombeurs quand la caverne d’Ali Baba leur fut ouverte.

 

La question reste de savoir si Abdoul Mbaye est aussi bien outillé que son devancier de la période dioufienne, pour surmonter les défis de la seconde alternance. Et cette question n’est ni morale ni manichéenne. Elle tranche un rapport politique entre les capacités de l’un, issu de la moyenne bourgeoisie rurale, qui est plus juriste et financier qu’économiste, qui a quand même appris à compter dès son jeune âge dans un rapport de production et d’échange. Et de l’autre qui a été lui aussi très tôt au service du grand capital dans un contexte de subtile domination étrangère où notre Banque centrale, nous rappelle l’économiste Amadou Aly Dieng, n’en est pas vraiment une.

 

Sous le rapport de notre développement promis, ''Yoonu Yokkute'', l’interrogation du choix des hommes et des femmes chargés de le mettre en œuvre n’est ni un acharnement ni un dénigrement. Quels intérêts nationaux et étrangers représentent donc nos deux banquiers ? Sommes-nous fondés de nous demander. La responsabilité du nouveau Premier ministre dans certaines affaires d’expropriation judiciaire est supputée au grand dam de ses amis et de ceux chez qui il suscite espoir et admiration, lesquels nous apprennent qu’il refusa longtemps les portefeuilles ministériels qui lui furent proposés. Les pauvres rêves d’un dieu riche, disait déjà Hegel.

 

Ce qui nous édifie opportunément qu’Amadou Kane est certainement le premier banquier à accepter d’être un ministre de la République. Juste parce que sous le Sénégal d’avant la première alternance, les ministres ne se pesaient pas en francs lourds et comme ils étaient pour la plupart des fonctionnaires ou à tout le moins des salariés, les banquiers étaient bien placés pour savoir que leur situation n’était pas vraiment prospère. Mais encore, que viendrait faire dans cette galère deux éminents banquiers ? Si le jeu en vaut la chandelle, c’est que la situation ministérielle est devenue aussi prospère sinon plus prospère que celle d’un banquier.

 

Devrons-nous juger le nouveau régime sur ce que fait son chef plutôt que sur ce qu’il dit ? Le constat d’un certain décalage s’imposerait. Non point seulement par rapport à ses engagements de respecter les conclusions des Assises nationales : le peuple se soucie peu en réalité qu’il soit en même temps chef de parti et chef de l'État. Le régime constitutionnel aussi ne les préoccupe pas. Par contre, les motivations qui sont derrière son refus de dissoudre le Sénat n’échappent pas à leur bon sens. Ainsi que cette idée insolite de donner des portefeuilles ministériels stratégiques à des banquiers qui, malgré leur longue pratique du métier, n’ont pas su ou n’ont pas voulu s’établir à leur compte, pose problème.

 

Car le développement d’un pays repose sur l’existence d’un secteur privé dynamique et autonome plutôt que sur la douteuse option d’insérer le potentiel patronat privé dans l’administration politique et administrative du pays. La bonne gouvernance souffrirait du comportement parasitaire de leurs collègues qui a coulé toutes les banques nationales du Sénégal. Et si précisément nos deux nouveaux gouvernants ont échappé au naufrage, c’est parce que les intérêts étrangers qui employaient leur service veillaient. Étant du camp des puissants, ils ont porté atteinte aux opérateurs autonomes dont il est relaté que leurs biens immobiliers, garants des crédits octroyés, ont été expropriés par voie judiciaire de manière controversée.

 

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