Publié le 3 Oct 2013 - 20:20
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La Rentrée en anomie

 

 

Ces dernières journées torrides et sans eau ont révélé que l’option démocratique n’est pas irréversible dans notre pays quand des secteurs, à juste raison mécontents, ont crié des slogans exigeant le départ de Macky Sall hic et nunc. Un peu plus d’un an aura suffi pour constater que le Sénégal est mal reparti des excès de l’alternance. La fin du régime de Maître Wade avait été ponctuée de débats sur les institutions et sur la Constitution. La sincérité de cette controverse pouvait être mise en doute à cause de l’obsession de pouvoir aussi bien des gouvernants que de l’opposition et des mouvements dits de société civile. L’école sénégalaise va connaître une rentrée scolaire sans transition entre la période studieuse et celle du repos, le secteur du travail enchaîne une année d’instabilité à une autre d’incertitude, et le pouvoir d’Etat manque l’occasion de reprendre en main le pays et l’initiative de la conduite des affaires publiques. 

Nous vivons en effet une situation exceptionnelle par rapport aux normes internationales de gouvernance qui conçoivent la contestation du pouvoir politique dans une période limitée dans le temps et dans l’espace. Cette contestation peut être sociale et nécessitant donc le maintien de l’ordre par le recours aux forces de sécurité et sa résolution par le dialogue entre partenaires sociaux avec l’implication du Conseil économique, social et environnemental. Elle peut être politique et du ressort des partis du pouvoir et de l’opposition dûment représentés dans les instances exécutives et délibératives du gouvernement, de l’assemblée nationale, et des institutions annexes. Or le Sénégal vit depuis plusieurs mandatures une crise des institutions plus profonde que celle dénoncée dans la période du président Abdou Diouf par le Professeur Kader Boye. La constitution d’une commission de réforme des institutions est en soi un aveu de cette situation mais est elle réellement la solution ?

Il n’y a d’institution que d’homme et les institutions seront ce qu’en feront les hommes. Mon diagnostic, je l’emprunte à un éminent mais discret sociologue, le Professeur Boubacar Ly, dans ses leçons qu’il nous dispensa dans les circonstances difficiles où la sociologie en tant que matière était persécutée par un autre éminent grammairien qui disposait d’un pouvoir suprême d’Etat : l’anomie donc. Mais ma responsabilité seule est engagée dans cette analyse, n’étant pas sociologue, d’un concept qui pour moi, résume désormais la situation de désorganisation, de déstructuration d’une société consécutive à la disparition totale ou partielle des normes et des valeurs communes à ses membres qui ressemble fort à celle que nous vivons. Les secteurs précisément en crise sont les mêmes qui devraient apporter les solutions de cette crise et la classe dirigeante qui devrait prêcher d’exemple est aussi bien compromise par ses propres actes.

L’alliance gouvernementale est traversée par une sourde lutte pour le pouvoir au sein des partis hégémoniques et entre ces mêmes partis. La répartition des portefeuilles ministériels ne semble pas obéir à un engagement commun dans les tâches de construction nationale mais plutôt à la rationalisation du partage des moyens de l’Etat entre partis alliés pour le renforcement de leur implantation au sein de l’électorat. Mais le plus grave est que cette implantation au prétexte d’un débat politique jugé nécessaire à la démocratie, nécessite que les alliés du régime de Macky Sall se dissocient des décisions de gouvernement dès qu’elles sont mal accueillies par l’opinion. Ainsi, les leaders de partis qui ont envoyé des représentants au gouvernement estiment-ils pouvoir se démarquer de l’action gouvernementale sans coup férir et poser pour demain les jalons d’un argumentaire contradictoire au très probable adversaire Macky Sall.

Qui est alors le dupe dans ce marché dont tous les termes ne sont pas connus de l’électorat même s’il repose sur une interprétation de son vote lors du dernier scrutin présidentiel ? La récente colère du président de la République sur un manque de solidarité ministérielle pendant la crise de l’eau montre que ce serait lui et les foucades de certains secteurs de son parti le confirment. Et en effet, la supériorité dans la conception théorique de dinosaures politiques comme ses alliés Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse est plus qu’une probabilité. Dès lors, l’attelage gouvernemental ne devrait tenir que par la confiance que ses deux principaux alliés lui inspireraient. Or l’histoire personnelle de ses deux comparses devrait lui enseigner que la confiance est le ressort politique le plus fragile de cette alliance comme de toutes les autres qui ont jalonné l’histoire politique sénégalaise. L’antienne de Farba Ngom selon laquelle Macky Sall ne trahira pas ses alliés ne lui offre d’autre perspective que d’être trahi par eux.

Sauf à ouvrir plus tôt que tard un nouveau cours de l’alliance gouvernemental où certaines règles et normes seront posées comme principes directeurs. Le minimum en la matière est qu’aucune alliance gouvernementale ne saurait tenir sans un programme qui engage toutes ses composantes. Le Yoonu Yokkute du parti présidentiel, brandi comme la panacée de nos maux par ses concepteurs, est comme une botte secrète du bilan du premier mandat dont ses alliés alors rivaux vont lui opposer des variantes qui seront d’ailleurs autant de réfutations de leurs actions communes passées dans le gouvernement. Entre-temps, personne ne s’aperçoit de la plus grave des impostures de cette première année de gestion commune de la victoire des vaincus du premier tour : ce n’est pas seulement Moustapha Niasse qui est lié par la parole donnée. Toute la représentation parlementaire des divers partis alliés se refusent de se constituer en groupes parlementaires autonomes pour exercer leur vrai rôle de contrôle de l’action gouvernementale et donc de la critiquer en lieu et place de leurs leaders indélicats.  

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