Publié le 15 Mar 2020 - 19:20
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UGB)

‘’Je ne vois pas l’intérêt de maintenir le dialogue’’

 

Le dialogue politique stagne. Les acteurs peinent à s’accorder autour des questions majeures et l’opposition ne s’y retrouve plus. Pour l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, il n’a plus de raison d’être prolongé.

 

Les acteurs du dialogue politique peinent à s’entendre sur des questions comme la décrispation de l’espace politique (qui doit prendre en charge l’affaire Khalifa Sall et Karim Wade), le cumul des fonctions de chef de parti et président de la République, l’organisation des élections par une personnalité neutre. Comment analysez-vous ces désaccords ?

C’est parce qu’il y a un problème de sincérité de la part des initiateurs de ce dialogue. Ils ne veulent pas qu’il y ait un changement, parce qu’il y a un enjeu important par rapport à ces questions, notamment le cumul de fonctions, l’organisation d’élections par une personnalité neutre. C’est une question de contrôle du processus électoral qui est fondamental dans l’organisation d’élections.

De façon générale, ce sont des questions de fond qui méritent d’être discutées, qui n’ont pas trouvé de consensus. La majorité ne veut pas céder sur ces questions et l’opposition aussi en fait un sujet important pour l’ancrage de la démocratie et l’organisation d’élections transparentes et libres. À mon avis, s’il n’y a pas de consensus à ce niveau-là, je ne vois pas quel est l’intérêt de maintenir le dialogue politique, si personne, parmi ces acteurs, ne veut céder sur ces questions fondamentales qui permettent d’avancer dans le processus démocratique, notamment l’organisation d’élections transparentes. Le président Wade avait cédé sur cette question-là et a perdu les élections. À mon avis, c’est cela qui les a fait réfléchir. Sur les sujets de fond, on a du mal à rapprocher les points de vue des uns et des autres pour aboutir à des consensus. Le président avait dit que s’il y a des résultats consensuels au terme du dialogue national, il va les appliquer. Il a même ajouté, récemment, ce qui fait d’ailleurs douter, le ‘’consensus dynamique’’. Je ne sais pas ce qu’il entend par ce terme.

L’opposition demande le constat d’un désaccord, ce qui serait synonyme de rupture pour le général Niang…

Oui, pour des questions comme celle liée au cumul de fonctions, s’il n’y a pas d’entente, cela ne fera qu’envenimer la situation et renforcer un climat de tension. Le président de la République ne peut pas être juge et partie. Dans les grandes démocraties comme la France, qui est notre référence, le président, quand il est élu, il cède son parti à quelqu’un d’autre. Le chef de l’État ne veut pas céder, parce que sa formation politique n’est ni structurée ni organisée. Cela se traduit par des problèmes internes qu’il n’arrive pas à régler. C’est pourquoi il s’accroche à cette fonction-là, qui lui permet d’avoir un droit de regard, parce qu’il n’a pas de n°2. C’est problématique et c’est un frein au renforcement de la démocratie sénégalaise.

Est-ce que le dialogue a des chances d’aboutir ?

À mon avis, il n’aboutira à rien de concret. Les questions importantes ne sont pas abordées de manière à ce que chacun accède à des concessions et qu’on puisse trouver des compromis sur lesquels ils seront d’accord pour l’ancrage de la démocratie, afin d’apaiser et instaurer un climat de confiance entre les partis. Malheureusement, tel n’est pas le cas. On va droit vers un blocage. On s’achemine vers l’arrêt de ce dialogue qui n’a pas de sens et qui ne peut pas régler ces problèmes de fond.

Ces désaccords ne sont-ils pas prévisibles, quand on sait que ces questions débattues ont toujours posé problème dans le Landerneau politique sénégalais ?

C’est le président de la République qui a pris l’initiative et on pensait qu’il allait céder sur ces questions-là. On ne s’imaginait pas que cela buterait sur ces questions d’autorité autonome pour organiser des élections, que la majorité n’allait pas faire des concessions là-dessus. Si on veut un dialogue politique consensuel, il faut des consensus de part et d’autre. Une discussion franche et une sincérité dans le débat. Aborder ces questions et trouver une entente permettraient d’apaiser le climat social et politique au Sénégal.

Quel souffle, le dialogue était censé apporter à l’espace politique, après les élections ?

Normalement, ce dialogue aurait pu régler pas mal de questions, comme celle relative au parrainage, pour qu’on trouve un système plus souple, moins compliqué. Regardez les grandes démocraties comme en France, on n’exige que 500 signatures d’élus, de sénateurs, de conseils municipaux et de parlementaires. La complication des choses ne rend pas transparents les mécanismes de gestion, de la gouvernance politique. Il faut assainir le système politique sénégalais. Pour le faire, il faut que les leaders soient animés de bonne volonté. C’est cela qui manque, la disponibilité à évoluer de manière à ce que la dimension essentielle de la démocratie puisse être préservée et instaurer un climat de confiance et une transparence dans la gestion des élections. On est en Afrique, mais dans les grandes démocraties, on n’a pas besoin de personnalité neutre, parce que les règles du jeu sont claires. On ne modifie pas les calendriers et le dépouillement se fait dans de bonnes conditions. Dans notre continent, il y a la manipulation des résultats, une absence de séparation des pouvoirs. C’est ce qui fait planer le doute dans l’esprit des gens et la manière de gérer les élections qui représente un aspect important dans la démocratie.

Pourquoi les positions sont restées figées depuis 2012 ? Les acteurs politiques peinent à s’accorder autour d’un consensus…

Ils n’arrivent pas à se retrouver parce que, d’abord, il faut qu’ils soient des acteurs responsables qui ne pensent pas à rester au pouvoir, mais s’en servent plutôt pour satisfaire les populations, en écoutant les besoins et sollicitations. Quand vous regardez leurs comportements, c’est la politique politicienne qui prend le dessus. Il n’y a pas cette prise de conscience, de la responsabilité dans les fonctions politiques, dans la gouvernance des ressources nationales. Les biens publics ne sont pas gérés de façon rationnelle et ne prennent pas en compte l’intérêt général. Il y a énormément des dérives dans la gestion des ressources publiques. On a un problème avec les leaders ; leur niveau ne correspond pas du tout à ce que l’on attend de cette démocratie sénégalaise qui est une référence en Afrique. Il faudrait que les acteurs soient à un niveau où le système puisse fonctionner de façon convenable et s’adapter aux réalités et aux attentes des populations. Il y a un écart important entre le comportement des leaders et les demandes sociales des citoyens.

Il faudra un rattrapage qui ne pourrait être fait que par des leaders conscients, qui ont un sens élevé de l’État et qui puissent réfléchir sur un système politique qui corresponde aux attentes des populations. On a un système avec des acteurs qui sont là depuis très longtemps, et le renouvellement de l’élite pose problème. Ils ne sont motivés que par des positions de pouvoir ; ils s’accrochent à ce moyen d’accumulation de ressources. C’est une mauvaise conception de la politique qui n’est pas dans le sens noble de cette activité. Il y a une introspection à faire au niveau politique, au niveau des leaders, de manière à ce qu’on organise l’espace politique sénégalais, le rendre dynamique et associer l’ensemble des acteurs au bon fonctionnement du système. Tout dépend de leur trajectoire, de leurs formations, de leur prise de conscience de l’intérêt général et d’être au service des citoyens. On ne l’a pas encore, malheureusement, au Sénégal.

HABIBATOU TRAORE

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