Publié le 4 Sep 2020 - 22:25
Niamatoss UNE CHRONIQUE MÉDIA

La seconde mort des victimes de faits divers violents

 

Le titre à la Une de ‘’Sud Quotidien’’ du samedi 29 août, consacré aux impacts de la Covid-19 sur les PME, est un appel à la Une... sans appel. "Presse coupable", y lit-on comme titre d'un dossier sur l'"exposition sans retenue de la vie privée dans les comptes rendus de faits dramatiques".

Exercice d'auto-flagellation ou simple couteau dans une plaie béante de la presse sénégalaise ? Le dossier de ‘’Sud Quotidien’’ pose une vraie question de société relativement à des pratiques journalistiques ayant cours à ‘’Ndoumbelane’’. Très souvent, en relatant des faits divers, la presse renonce à toute retenue, livrant des détails sordides dont on aurait pu se passer, tout en violant, au passage la vie, privée des victimes. Dans ce naufrage journalistique, la présomption d’innocence, le respect de la dignité des victimes et des normes déontologiques les plus élémentaires sont relégués au second plan ou tout simplement ignorés.

SORDIDES ILLUSTRATIONS - Tenez ! Dans ce domaine, les rois ès-‘’kawteef’ (gaffes), sont les sites
d'informations en ligne, sans doute pas tous, mais la plupart d'entre eux qui se fichent éperdument des normes professionnelles ! Ainsi, tel site, croyant devoir parler d'une affaire de viol, pensera être en devoir d'illustrer son article avec l'image d'une femme cernée par un homme, presque étranglée et dans une posture à la limite de l'indécence... Pour parler d'un mort, on ira chercher l'image d'un cadavre recouvert d'un linceul blanc. Quand il s'agit de meurtre, le journal "Direct News" en donne une certaine idée dans son édition du mardi 1er septembre. Entre un surtitre, "L'insécurité a changé de camp", et un titre, "La famille sénégalaise, épicentre de violences et des crimes passionnels", le journal montre une main sanguinolente, tenant un couteau avec des gouttes de sang qui en suintent...

Si cette image (qui apparaît souvent sur les sites Internet notamment) n'a pas été prise à l'occasion d'une fête de Tabaski, il y a lieu de penser que l'auteur du crime qu'elle est censée représenter, a été particulièrement perfectionniste dans la préméditation pour en arriver à permettre une photo zoomée avec autant de précisions.

S'il n'est pas certain que la société sénégalaise est devenue

plus criminogène que par le passé, il est, par contre, établi que les faits divers, ceux exposant le sang et le sexe, sont devenus les chouchous d'une certaine presse qui aime bien s'en délecter. La quête d'audience et d'audimat pouvant mener très loin parfois...

Pour la journaliste de ‘’Sud Quotidien’’ qui part de la tragique affaire des Mamelles qui a vu un homme abréger la vie de sa fille dans des conditions restant à élucider, la presse avait-elle besoin d'en dire autant sur cette affaire ? "Informer juste et vrai est le rôle du journaliste. Au-delà de cette mission, parfois, à travers un ou des comptes-rendus, se lit une absence d'empathie du professionnel, de celui qui exerce le métier de journaliste, même si son travail consiste à rendre compte des faits", relève Fatou Ndiaye, l'auteure du dossier.

MOURIR SANS FIN - Pour le moins, les affaires de viol sont les plus illustratives de ces dérives constatées dans la presse. Le compte-rendu de telles affaires (si on peut les appeler ainsi) s’apparente parfois à un article pornographique dans lequel l’identité de la victime est révélée jusqu'aux nom et prénom (s) quelquefois, le tout agrémenté de détails salaces. Bref, c'est à croire que les auteurs de certains articles ne connaissent pas la portée de leur art ou n'en maîtrisent pas tous les aspects.

Les us et coutumes, en matière de protection de la vie privée ou du droit à l'image, sont autant de notions aujourd’hui largement orphelines dans la presse sénégalaise. Que cherche le journaliste en donnant les détails les plus précis sur l'identité de la victime de viol ? Peut-être à crédibiliser son information aux yeux de tous ceux qui pourraient en douter. Mais oublie-t-il qu'en procédant ainsi, il la déshumanise du coup. En sus de l'acte répugnant dont elles subiront à vie le traumatisme, les victimes devront ajouter les méfaits de la publicité faite autour de leur affaire, tout aussi dommageables. Bref, une seconde mort, si ce n'est une deuxième qui donnera lieu ensuite à une troisième et une autre, à chaque fois que les échos dans la presse se remueront.  

PROBLEMATIQUE DE LA QUALIFICATION - Moins que de la bête méchanceté, il y a lieu de penser que dans l’attitude de beaucoup de ‘’journalistes’’ relatant des faits divers, on a affaire, le plus souvent, simplement à de l’ignorance de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas. Une presse coupable, sans doute oui ! A condition, également, de reconnaître que tout le monde ne s'y adonne pas de la même façon. Une presse à former, oui également pour tous ceux qui ne savent pas et mériteraient de savoir pour
pouvoir mieux faire. Pour tous les autres, ceux-là qui choisissent délibérément de se passer des règles d'éthique et de déontologie dans l'exercice de leur métier, c'est aux organes à qui il revient de jouer le rôle de "gendarmes" du métier d'exercer simplement leur devoir.

PEPESSOU

 

Section: