Publié le 28 Apr 2012 - 11:18
NOTES DE LECTURE - LA MALÉDICTION DE RAABI DE MOUMAR GUÈYE

Ode féminine aux parfums âcres

 

Les violences et les maltraitances que la société fait subir à la femme sont les multiples thèmes de ce premier roman, préfacé par Aminata Sow Fall, du Colonel Moumar Guèye, ingénieur des Eaux et Forêts et déjà auteur de recueil de poèmes et de livres didactiques. À travers les péripéties de la vie de Raabi, l’auteur dénonce plusieurs travers de l’humanité. Au final, ce roman captivant de 200 pages happe le lecteur et l’entraîne dans la vie tortueuse de l’héroïne sur qui le sort s’acharne, pour ne le lâcher qu’à la fin.

 

Tout avait si bien commencé. Un mariage, celui de la mère de l’héroïne, Nogaye, jeune fille sérère originaire de Niodor. Ses noces avec Serigne Yamar, ''grand dignitaire religieux, féru de sciences coraniques, de la voyance et de la médecine traditionnelle'', sont célébrées au début du récit. Nogaye, issue elle-même d’un ménage polygame, devient la seconde épouse de ce notable beaucoup plus âgé qu’elle. Accompagnée de sa tante, Arame, et de Mame Téning, la saltigué de Niodor, elle rejoint son mari à Saint-Louis. Elle fait aussi la connaissance de la première épouse de Serigne Yamar, Dior Seck, qui n’a pas eu d’enfants avec son époux, mais qui élève ses deux nièces, Soda et Ndella. Plus tard, c’est auprès de celles-ci que Raabi, la fille de Nogaye, sera confrontée à la jalousie cruelle qui servira de déclic au déferlement de haine de cette Tante Dior à qui elle sera confiée par sa mère, pour répondre aux dernières volontés de son défunt père. Dès lors, la malédiction s’abat sans répit sur Raabi, avec le talent d’un narrateur qui multiplie les épisodes tragiques subis par la jeune fille.

 

 

Foisonnement de thèmes

 

Des réalités bien sénégalaises comme certaines pratiques mystiques et ante-islamiques sont présentes dans le roman avec les offrandes au génie tutélaire de la ville pour assurer la protection de ses habitants. D’ailleurs, la malédiction de Raabi est tributaire de ce fait car sa mère, à cause des circonstances de son accouchement et de l’opposition de son mari à ces pratiques, n’a pu faire bénéficier à sa fille du rituel que Mame Téning devait lui faire subir au troisième jour de sa naissance. Dès lors, la prophétie s’est réalisée. Implacable.

 

La polygamie constitue également l’un des thèmes principaux du livre. A travers la conversation entretenue par Nogaye avec son mari, Serigne Yamar, le narrateur livre son point de vue sur ce régime matrimonial qu’il défend à coup d’arguments puisés dans la science et la religion. Lorsque la science affirme que tous les mammifères sont par nature polygames, il ne faut point s’étonner que les hommes le soient aussi, soutient-il. De même, l’Islam l’a cautionnée en réglementant cette pratique vieille comme le monde, ajoute le récit.

 

Cependant, l'auteur livre aussi les règles à suivre pour un homme adepte de cette pratique afin d’éviter les drames dont celle-ci est trop souvent responsable. Le roman est aussi un hommage à la ville natale de l’auteur, Saint-Louis. L’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (AOF) et ville tricentenaire est dépeinte de manière presque poétique par le narrateur qui en fait, avec Niodor, le cadre de son roman. Le mariage forcé, l’excision, la maltraitance de la belle-fille par la coépouse participent également de la trame romanesque.

 

 

Narration plurielle

 

Le roman épouse plusieurs voix narratives en passant par celle de Nogaye, la mère de l’héroïne, de Raabi, pour revenir au narrateur et retourner à des personnages secondaires, comme Ndiaye Prof. Lesquels livrent leurs points de vue sur des thèmes comme l’émigration clandestine, l’exode rural, l’absence de politique agricole visant à obtenir l’autosuffisance alimentaire... Mais, paradoxalement, le roman pèche dans ce qui fait sa force, à savoir la multiplicité des thèmes abordés qui, sur plusieurs pages, fait perdre au lecteur le lien que le narrateur réussit à lui faire établir avec l’héroïne et la trame du récit. L’auteur, cependant, fait montre d’une certaine maîtrise de l'énonciation qui prend parfois des accents de contes et de légendes. Moumar Guèye use d’une langue imagée, ponctuée d’expressions ou de proverbes écrits en wolof, puis traduits dans le texte, surtout au début du roman. A la fin, malgré les épreuves de l’héroïne, Raabi, c’est une formidable ode à la femme, mère, épouse, sœur, fille qui doit être chérie et choyée, qui ressort de ce premier roman de Moumar Guèye.

 

La malédiction de Raabi de Moumar Guèye, Nouvelles éditions ivoiriennes/Ceda, 200 pages

 

Karo DIAGNE-NDAW

 

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