Publié le 12 Feb 2019 - 04:36
PR. ABDOULAYE SECK (ECONOMISTE) SUR LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE

‘’Si on veut accéder à ces financements, il faudra aller compétir’’

 

L’accès aux ressources financières pour des recherches scientifiques reste un challenge pour la plupart des enseignants-chercheurs au Sénégal. Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, en marge de la cérémonie de dédicace de son livre intitulé ‘’Recherche appliquée en économie : méthodologie, communication scientifique et financement’’, samedi, le professeur d’économie à l’Ucad, Abdoulaye Seck, a donné la solution, notamment, en replaçant l’anglais au cœur de curriculums de formation.

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre sur la recherche appliquée en économie ?

La motivation est double. D’abord, c’est des éléments personnels, mais également un constat. Nous, lorsque nous étions personnellement amenés à produire nos premiers travaux de recherche, dans le cadre des mémoires de Master, nous étions totalement désarmés. Nous n’avions pas cet accompagnement qui aurait pu nous indiquer c’est quoi la recherche, quels sont les éléments constitutifs, comment s’y prendre. Là, on y allait avec un tâtonnement. Il n’y avait pas tellement de références. Il y avait vraiment cette carence. On s’est dit que c’est quelque chose qui doit changer. Passant d’étudiants à professeurs, on a cette obligation morale, professionnelle de pouvoir faire quelque chose par rapport à cela. Là, ça répond à une vision de progrès. Tel que je l’envisage, c’est que les étudiants d’aujourd’hui ne doivent pas avoir le même problème. L’autre aspect est qu’on se rend compte que les étudiants qu’on a actuellement font face aux mêmes problèmes qu’on avait avant, si on regarde la qualité limitée de leurs travaux. Cet ouvrage devrait être une contribution à l’enseignement et à la recherche.

Dans le chapitre 4 de votre livre, vous évoquez un problème clé dans la production de la recherche : il s’agit du financement. Quels sont les enjeux et les défis liés à cette question ?

Lorsqu’on parle de financement, on peut dire qu’on est à des seuils historiques et même records. Si on regarde les ressources disponibles pour accompagner la production de connaissances à travers la  recherche, ce sont des montants inégalés par le passé. Mais un des paradoxes qu’on a pu soulever, c’est que, d’une part, on a ces montants énormes et, d’autre part, des chercheurs relativement nombreux qui ont du mal à accéder à ces sources de financement. Là, on essaie de voir dans quelle mesure on pourrait contribuer à sensibiliser les chercheurs sur ces opportunités de financement. Pour les amener à pouvoir compétir ou bénéficier de cela, pour pouvoir faire cette recherche. On s’est dit que si on essaie de poser les bonnes questions sur la table, ça peut amener les gens à penser à cette problématique du financement de la recherche.

En effet, elle est plus importante dans nos pays que quand on n’a pas de soutiens financiers ou autres, on a du mal à conduire certains travaux de recherche. Pour lever ces limites, laisser libre cours à l’activité de création de connaissances et de la recherche, il faudrait que les moyens requis soient disponibles en termes financiers.

Et quels sont les principaux challenges ?

C’est d’abord l’accès à l’information par rapport à ces sources de financement, mais également la capacité d’aller compétir victorieusement pour pouvoir gagner ces fonds. Là, nous avons essayé de mettre dans cet ouvrage tout un ensemble d’éléments qui pourraient renseigner sur ces différents aspects de la problématique du financement de la recherche. Nous espérons que ce sont des éléments qui pourront être utiles aux jeunes chercheurs, pour savoir par où passer pour mobiliser des ressources et s’engager dans la recherche de façon active, mais aussi productive.

Est-ce qu’il y a un profil à avoir pour gagner la confiance des bailleurs ?

On ne donne plus le financement gratuitement. Ça n’a jamais été le cas. Ce sont des fonds qui sont relativement abondants, mais en même temps rares. Si on veut accéder à ces financements, il faudra aller compétir. Ce qui suppose qu’on soit dans cette logique de combat, qu’on vienne avec des armes suffisantes, convaincantes. Là, on peut dire aux bailleurs : ‘’Par rapport à la problématique que vous mettez sur la table, votre demande de connaissances, j’amène la meilleure offre.’’ Parce qu’il s’agit d’apporter la meilleure offre.

Eux aussi, ils ont des soucis d’allocation efficiente de ressources. Ils ne vont pas donner des ressources là où le résultat est maigre. Il y a un défi à notre niveau, maintenant, de développer nos capacités de production de façon à pouvoir venir solliciter ces fonds. Dans la compétition, il y a tout un ensemble d’individus qui arrivent. Ils viennent d’autres universités américaines, européennes, de pays relativement avancés. Ce qui veut dire que si nous voulons avoir notre part du gâteau, il faudrait qu’on aille dans le sens de renforcer nos capacités.

Pour améliorer la qualité de la recherche, vous avez donné dans votre livre certaines recommandations…

Lorsqu’on parle de l’environnement de recherche, il y a une certaine unanimité par rapport au constat qu’on n’est pas à un niveau de production, non seulement en termes de qualité que de quantité, qui pourrait susciter l’envie de beaucoup d’universités, à travers le monde. Ce qui veut dire qu’il y a beaucoup de choses qu’il faudrait changer. A travers des réflexions sur des éléments de diagnostic, on a proposé trois éléments. Le premier, c’est que nous avons des institutions qui sont là pour gérer, administrer la recherche.

Maintenant, nous appelons à une certaine amélioration de ces techniques de recherche par rapport à leur gestion et leur administration. L’universitaire, c’est quelqu’un qui est appelé à faire de la recherche et à contribuer dans la société. Quand on regarde l’harmonie autour de ces aspects, on se rend compte que la recherche est le parent pauvre. On est submergé par l’enseignement. On est souvent intéressé par le service à la collectivité, mais la recherche reste relativement très limitée. Donc, nous appelons à un certain rééquilibrage de nos charges pédagogiques, de manière à donner plus de poids à la recherche. Parce qu’elle conditionne le reste. La recherche peut nourrir l’enseignement, mais aussi notre contribution aux débats de société et les services que nous pouvons rendre à la société. Le dernier élément, c’est que nous appelons à une révolution de la recherche, en s’interrogeant sur le curriculum de formation des chercheurs. Le curriculum, c’est un peu notre technologie de production en termes d’enseignement.

Au finish, on voudrait que les produits qui sortiront de notre système soient des chercheurs capables de mener des travaux de recherche de qualité. Ce qui n’est pas le cas dans nos pays.

‘’Il faut réorienter les modules de formation vers la recherche. Les cours que l’on dispense en Master ou Doctorat ne doivent pas être du même format que ceux qu’on donne en première année’’

Que préconisez-vous dans ce sens ?

Nous avons suggéré quelques pistes dans le sens d’aller vers une recherche révolutionnaire. C’est-à-dire de façon plus pratique, la refonte des curriculums de formation de chercheur. D’abord, on ne peut pas former un chercheur sans lui donner un cours de méthodologie de recherche et de communication scientifique. C’est vraiment un élément fondamental.  L’autre chose, c’est de réorienter les modules de formation vers la recherche. Les cours que l’on dispense en Master ou Doctorat ne doivent pas être du même format que ceux qu’on donne en première année.

Autrement dit, il faut amener les étudiants, apprenants à s’approprier le processus d’apprentissage et d’accumulation de connaissances. Et ne pas le faire de manière relativement facile. Il est aussi primordial de réorganiser les formats des thèses. Il ne s’agit plus de faire des thèses comme avant. Un mémoire de Master doit être des articles scientifiques et la thèse un assortiment d’articles scientifiques. Ce qui veut dire que, dans le processus d’apprentissage, on les pousse vers la production de papiers, de connaissances. Donc, au finish, c’est un travail qu’ils vont continuer dans l’avenir.

Pour vous, la maitrise de l’anglais est aussi un facteur important dans la recherche. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

L’anglais est la langue de la science et de la recherche. Ceux qui ne maitrisent pas cette langue seront handicapés. Parce que la plupart du temps, ils ont du mal à exploiter les références existantes, à communiquer avec beaucoup de pairs qui sont généralement anglophones. Ce sont souvent des gens qui sont dans l’incapacité de saisir les opportunités de recherche de financement, de collaboration avec de grands chercheurs, des organisations, des universités. Si nous faisons des efforts pour replacer l’anglais au cœur de curriculums de formation, cela pourrait aider les étudiants. Ils pourraient embrasser le monde de la recherche dans sa diversité linguistique où l’anglais est dominant.

Vous plaidez, dans votre livre, pour la mise en place d’une plateforme collaborative des chercheurs. Qu’est-ce que cela peut apporter au développement de la recherche ?

On a un monde de recherche très segmenté, fragmenté. Si, par exemple, un chercheur à Dakar travaille sur une problématique donnée, un autre de l’université de Ziguinchor, Bambey ou Thiès peut faire la même chose, au même moment. Généralement, il n’y a pas de plateforme de communication pour qu’on puisse se retrouver et mettre ensemble nos contributions pour aborder cette problématique dans toute sa diversité. Cet éclatement du champ de la recherche ne favorise pas le produit final. On  a tout un ensemble qui va dans le sens de créer une synergie, un partenariat, des rencontres, etc. Au fait, il faut que les chercheurs se retrouvent. On fait le même travail, on a les mêmes défis devant nous, et c’est en se donnant la main qu’on pourrait les relever. Ce n’est pas dans l’éclatement, la désunion, l’émiettement où chacun prend un bout d’un aspect complexe donné. Ce n’est pas qu’avec cette approche qu’on pourrait aller de l’avant, dans le sens de révolutionner le champ de la recherche dans nos pays, mais aussi dans la sous-région. Il y a vraiment un effort de regroupement et de mise en commun des expertises qu’il faudrait faire à ce niveau.

La proposition d’une plateforme collaborative de chercheurs, faite par le Pr. Abdoulaye Seck dans son livre, est en fait en train d’être expérimentée par l’actuel directeur de la Recherche du ministère de l’Enseignement, de la Recherche professionnelle et de l’Innovation. L’annonce a été faite par le directeur de l’Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion (Edjpeg), lors de la cérémonie.

‘’Le constat est qu’il y a trop de laboratoires utilisés par peu de professionnels. Donc, ils sont en train de mettre en place une politique où nous aurons des laboratoires mixtes de recherche, avec des équipes qui vont être de plusieurs universités, un minimum de professeurs, d’enseignants, de jeunes chercheurs. Ce qui va être la condition pour se faire financer. L’arrêté est déjà là. Nous sommes plutôt en présence d’équipes de recherche. Si toutes les thèses de l’Ucad devraient aboutir à une publication, je pense que son classement allait changer. Cette perspective demande de mettre en place toute une stratégie’’,  a dit le Pr. François Joseph Cabral.

MARIAMA DIÉMÉ

 

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