Publié le 17 Jul 2019 - 21:25
RECHERCHE AGRICOLE, SECURITE ALIMENTAIRE…

Résoudre l’équation des terres salées

 

L’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal a officiellement remis au chef de l’Etat un document de l’état des lieux et perspectives de restauration et de revalorisation des terres salées. Elle a, par ailleurs, invité le gouvernement à reconsidérer sa politique en matière agricole.

 

Au Sénégal, la salinisation des terres cultivables avance à grands pas. C’est fort de ce constat que le président de la République du Sénégal a, en 2016, demandé à l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal de se pencher sur la question. Suite à un travail de terrain et de recherche, l’Ansts a rendu public, hier, lors de sa séance annuelle, le document faisant l’état des lieux de la salinisation des sols au Sénégal.

‘’Au niveau national, la salinisation affecte un quart à un tiers des terres arables, soit 950 000 à 1 267 000 ha représentant près de 6 % de la superficie totale du pays. Elle prive près de 330 000 ménages ruraux de leur principal moyen d’existence’’, relate le directeur de la Section recherche agricole de l’Ansts, Moussa Bakayoko.

Ayant dirigé l’équipe de travail, il affirme que les régions du Sine-Saloum Kaolack, de Fatick, de Ziguinchor et du fleuve Sénégal sont les plus affectées par le phénomène et, par conséquent, les zones étudiées. La salinité est estimée à 9 % dans la zone des Niayes, 20 % dans le bassin arachidier, 20 et 36 % au Sénégal oriental, 36 et 53 % en Casamance, pour atteindre un maximum de 66 % au niveau du fleuve Sénégal. Une réalité qui concourt à l’essor de l’exode rural et de l’émigration clandestine, d’une part, et engendre, d’autre part, un manque de 292 000 t de mil sur le stock du potentiel national de sécurité alimentaire.

Pratiques agricoles aggravantes

Si la salinisation des terres arables est un phénomène naturel dû à la remontée de l’eau de mer, conséquence directe du changement climatique, il se trouve que l’activité humaine accélère son installation. Selon les chercheurs, certaines pratiques agricoles peu recommandables aggravent le phénomène.

Dans la région de Fatick, l’exploitation industrielle du sel, depuis quelques années, a accentué la dégradation des sols, où 50 % des terres cultivables sont gorgées de sel.

En effet, cette activité fait appel au pompage d’importantes quantités d’eau de mer vers les terres et renforce ainsi la contamination de la nappe phréatique et le transfert des sels vers les zones de culture.

Présentée à tous les acteurs touchés par la salinisation des sols en juin 2018 pour discussion, la revue a bénéficié de l’expertise des scientifiques de l’Institut des sciences de l’environnement, de l’institut sénégalais de recherche agricole, de l’Institut supérieur Far et de l’Institut national de pédologie. ‘’Cette démarche participative et inclusive s’explique par la volonté d’avoir un document de référence, une base consensuelle pour une exploitation judicieuse et concertée entre les parties prenantes, en vue de l’amélioration durable de la productivité agricole et le renforcement de la sécurité alimentaire et de la résilience’’, a déclaré M. Bakayoko.

Puis, s’adressant au chef au de l’Etat, il a poursuivi : ‘’Ce document montre que l’ampleur de la salinisation est bien préoccupante et les risques de son extension demeurent inquiétants. Il est donc plus que temps d’agir et d’agir plus vigoureusement et mieux que par le passé, pour arrêter et inverser le processus de salinisation.’’

Des recommandations de sortie de crise

La salinisation des sols participe à hauteur de 26 % dans la dégradation des sols. A cause de ce phénomène, on perd 3 ha de terres cultivables par minute, dans le monde. En outre, 13 % des terres fertiles de la planète sont affectés par la salinisation, soit 400 millions ha dont 40 millions en Afrique (10 % des terres salées). En somme, 2 % de la superficie de la planète est atteinte.

Le problème n’est donc pas propre au Sénégal, mais relève d’une préoccupation mondiale. L’enjeu, pour le Sénégal, est de limiter cette salinisation et de promouvoir des cultures adaptées aux sols salinisés. Observée le long des côtes, de Saint-Louis au Cap-Skirring au Sénégal, sa résolution nécessite, selon l’académie, une synergie d’actions.

‘’La principale recommandation que nous faisons est de créer et d’intégrer aux questions prioritaires du gouvernement un programme national multisectoriel multi institutionnel et transdisciplinaire de lutte contre la dégradation des terres. Ce sera une structure à plusieurs composantes pour intégrer tous les acteurs, dotée d’une unité mixte de recherche qui se chargera de formations spécifiques sur la dégradation des terres et la salinisation dans les différents instituts agricoles. Ce programme devra bénéficier d’un financement adéquat sur le budget national et d’un suivi-évaluation’’, ajoute le vice-président de l’Ansts Moussa Bakayoko.

Des travaux de l’équipe de travail, il ressort que les différents projets jusque-là mis en place ont été trop courts (4 à 5 ans), puisque le dessalement des terres est un processus long et lent qui s’étend sur plusieurs années.

Par ailleurs, les approches sectorielles différentes, l’absence d’un schéma d’ensemble cohérent, les délais à différentes échelles des acteurs qui ont travaillé sans grande synergie ont eu raison de leur efficacité. A ces travers, s’ajoutent le manque de pérennisation des bonnes pratiques, la mal gouvernance, la gestion des fonds et l’absence d’un suivi-évaluation.

Néanmoins, cette vingtaine de projets dans les régions concernées a réussi à restaurer et à valoriser 300 000 ha de terres en Casamance, 250 000 ha au Sine-Saloum, 200 000 dans la vallée et 6 000 ha au niveau du delta du fleuve. Des barrages et digues anti-sel, le reboisement et des méthodes traditionnelles ont été, entre autres, utilisés.

Macky Sall s’engage

Présidant la cérémonie, le chef de l’Etat s’est engagé à appliquer les recommandations de l’Ansts. ‘’J’ai pris bonne note de votre étude. Je suis pour la mise en œuvre de ce programme qui pourrait s’appuyer sur les acquis de vos réflexions.  J’engage mon gouvernement à examiner avec la plus grande attention et appliquer avec la plus grande célérité ces recommandations’’, a-t-il déclaré en invitant tous les acteurs à s’approprier les résultats de l’étude.

Scientifique de formation, Macky Sall s’est dit heureux de se retrouver dans son ‘’milieu naturel’’.

‘’Votre démarche, fondée sur la science et donnant la parole à toutes les catégories d’acteurs, confère à vos propositions d’action une rigueur sans pareil. Pour toutes ces raisons, l’Etat du Sénégal fait de l’académie un partenaire privilégié que nous sollicitions sur diverses problématiques.  Etant un natif de Fatick, je connais bien les méfaits des terres salées et, depuis des décennies, nos terres agricoles sont soumises à un processus de dégradation intense liée en grande partie à la salinisation des sols. Ce phénomène constitue une menace réelle pour la sécurité alimentaire, car il provoque la baisse des rendements de cultures, la péjoration de la biodiversité’’, poursuit-il.  

Selon le président Sall, ces problèmes agricoles sont au cœur des préoccupations de l’Etat qui a soutenu plusieurs projets dont la régénération de la mangrove, la naissance de semences adaptées à ces sols, l’édification de la grande muraille verte. C’était aussi l’occasion de féliciter l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal pour son engagement et la qualité de ses travaux.

Dans le même sillage, le président de l’Ansts, Doudou Bâ, s’est dit honoré par la confiance renouvelée de l’autorité suprême. L’académie a été élevée au rang de société savante par le chef de l’Etat et a fait plusieurs études dans le domaine de l’emploi des jeunes, le gaz des schistes, la gestion du foncier, la formation aux métiers de l’agriculture, le roaming téléphonique…

En sa qualité de conseiller des pouvoirs publics, l’académie s’est autosaisie suite au Programme national de gestion des déchets, pour apporter sa contribution. L’étude a porté sur les risques sanitaires face à la gestion inadéquate des déchets solides au niveau national.

En marge de la cérémonie, ce second document a été remis au président de la République.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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