‘’Nos entreprises privées butent sur des contraintes réglementaires, administratives’’

Secrétaire permanent et membre fondateur de l’Institut sénégalais des administrateurs (ISA), Mamour Fall souhaite que le secteur privé national soit ‘’davantage’’ impliqué dans la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (PSE). Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, en marge d’une rencontre tenue à Dakar sur ‘’Gouvernance d’entreprise : un vecteur de croissance au Sénégal’’, l’expert-comptable dissèque les maux dudit secteur, ‘’l’insuffisance’’ de communication entre le privé national, les acteurs sectoriels et les autorités.
Vous venez de terminer une rencontre sur la gouvernance des entreprises. Quel est, selon vous, l’intérêt d’une telle initiative ?
L’intérêt majeur, c’est continuer toujours à promouvoir les bonnes pratiques en matière de gouvernance d’entreprise. Il y a quelques années, le Sénégal a adopté un Code de gouvernance dans ce secteur. C’est un recueil de bonnes pratiques observées ailleurs pour faire en sorte que le Sénégal puisse les transposer ici pour le développement de nos entreprises. Pour nous, il s’agit de continuer à faire des manifestations, toujours sur les mêmes thématiques de la promotion par rapport à la bonne gouvernance. C’est une œuvre utile, notamment pour un pays qui cherche à aller vers l’émergence. Parce que, sans les bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise, les sociétés seront fragilisées. C’est donc un risque pour l’économie de notre pays.
Qu’entendez-vous par bonnes pratiques ?
Les bonnes pratiques consistent à voir comment faire en sorte que l’exercice du pouvoir au sein de l’entreprise soit correctement assuré, que toutes les parties prenantes dans l’exercice du pouvoir ou détentrices de ce dernier au sein de l’entreprise puissent l’exercer pleinement et entièrement sans interférence des autres parties prenantes. Autrement dit, elle désigne la meilleure gestion du pouvoir au sein de l’entreprise dans une recherche d’efficacité.
Vous avez fait état du Code qui a été adopté au Sénégal dans le cadre de la gouvernance d’entreprise. Que dit ce dernier ?
Le Code essaye d’aider les administrateurs des sociétés à respecter la loi en se référant aux meilleures pratiques en cours ailleurs. Aussi, il vise une bonne et correcte application de la loi au sein de l’entreprise. Ce n’est pas un Code au sens de Code civil ou autres. La loi ne dit pas toujours comment faire pour la respecter et l’appliquer convenablement. A cet égard, le but du Code de gouvernance ambitionne d’aider à mieux respecter la loi dans le but d’avoir une bonne efficacité dans la pratique de gestion des entreprises.
Le Code est-il contraignant ?
Non. Parce qu’il n’a pas un caractère légal. Le gouvernement du Sénégal a décidé de l’appliquer sur tout le secteur parapublic. Ce qui est une bonne chose. En ce qui concerne le secteur privé, on a dit qu’il s’agit d’appliquer ou de s’expliquer. C'est-à-dire : celui qui applique le Code, c’est quelqu’un qui peut dire qu’il est en train d’appliquer les bonnes pratiques. Par contre, la personne qui refuse de le faire devra s’expliquer sur quoi il connaît les bonnes pratiques recueillies dans le Code qu’il refuse de mettre en œuvre.
Comment, selon vous, se porte le secteur privé sénégalais ?
Vous savez, cette question est très large. Globalement, je pense qu’il se porte relativement bien. C’est difficile d’en dire plus parce que c’est quelque chose de très nuancé. Il y a beaucoup de différences entre les différents acteurs du secteur privé ; des gens sont à des niveaux très avancés, élevés. C'est-à-dire dans des secteurs porteurs de croissance, de développement. D’autres entreprises sont dans des secteurs moins dotés ou un peu sinistrés, parfois dans de grandes difficultés. C’est le constat global que je peux donner sans pouvoir entrer dans les détails. Parce qu’il s’agit parfois de problématiques sectorielles.
Sentez-vous l’implication du secteur privé sénégalais dans la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (Pse) ?
Oui, le secteur privé a une très grande volonté de s’impliquer dans la mise en œuvre du Pse. Maintenant, il faut que cela aille beaucoup plus loin, que ça soit quelque chose de concerté avec l’Etat. On ne doit pas avoir honte de dire qu’on veut promouvoir le privé national. Les autres pays le font. Quand des chefs d’Etat de certains grands pays viennent au Sénégal et que leurs avions sont remplis d’hommes d’affaires de leurs pays, c’est pour venir prendre des contrats dans notre pays. Donc, pour quelle raison notre chef d’Etat ne prendrait pas l’initiative ou son gouvernement etc., d’accompagner le secteur privé sénégalais dans la recherche de nouveaux marchés en dehors du Sénégal, mais d’abord dans l’option de plus de marchés ici même, dans notre pays. Il faut d’abord être prophète dans son pays, avant d’aller ailleurs.
L’Etat n’est-il pas dans cette dynamique ?
Il l’est. Mais il peut aller plus loin.
Les ressources humaines sont aussi importantes pour faire décoller une entreprise…
Absolument ! C’est la richesse fondamentale de l’entreprise, c'est-à-dire l’intelligence, le savoir-faire, l’expérience acquise etc. C’est tout cela. A cet égard, je dis que la ressource humaine est quelque chose de difficile même à valoriser au niveau d’une entreprise, parce qu’elle est importante.
Quel est le rôle que les entreprises sénégalaises peuvent jouer pour participer à l’effort de croissance dont on parle au Sénégal ?
Vous savez, le cœur de la croissance, son moteur…, c’est l’entreprise privée. Il y a beaucoup de possibilités pour relancer une croissance dans une économie, notamment à travers l’investissement public. Mais cela a ses limites. Parfois, l’investissement public doit être relayé par celui du privé pour créer le cercle vertueux de croissance, de développement, d’accumulation de richesses, de création de richesses dans notre pays. Il s’y ajoute que le capital permet aux entrepreneurs sénégalais de se doter de patrimoine plus important. Ceci pour aller non seulement vers la croissance et le développement, mais également toucher les marchés extérieurs.
Souvent, des entrepreneurs nationaux disent qu’ils ne sont pas impliqués dans le PSE. Ne sont-ils pas, selon vous, associés dans programme ?
Je pense qu’ils sont associés. Mais il faut aller vers plus de concertation. D’ailleurs, le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan l’avait accepté parce que nous l’avons rencontré. Il a reconnu la nécessité d’une plus forte implication du secteur privé. Mieux, dans ce cadre précis, il avait même proposé des rencontres sectorielles entre le ministère de l’Economie, les autorités chargées du suivi du PSE avec le secteur privé. Tout cela dans les secteurs d’activités. Par exemple, dans le domaine des routes, on a de très grandes entreprises qui s’y connaissent. Elles en ont fait beaucoup au Sénégal, au Mali, en Guinée…, un peu partout en Afrique. Donc, je ne sais pas pourquoi elles ne peuvent pas faire la même chose chez nous. A mon avis, cette concertation sectorielle pourra nous permettre de voir là où nous avons des potentiels, et comment nous pouvons aider les entrepreneurs à aller encore plus loin. C’est à ce moment-là que le secteur privé, l’économie sénégalaise, pourra tirer encore plus de profit du PSE.
Les entreprises sénégalaises sont-elles dynamiques ?
Oui, elles sont dynamiques. Souvent, on a de gros complexes. Parfois, on me dit que les étrangers sont les meilleurs, les Sénégalais ne sont pas rigoureux encore moins organisés. Ce n’est pas vrai. Lorsque certains pays comme la France, le Maroc… ont commencé leur développement, leurs secteurs privés n’étaient pas au niveau où nous sommes. On avait de petites entreprises qui ont réussi à s’adapter, à faire l’effort de se développer… pour être des leaders en Afrique ou en Europe. Sous ce rapport, je dis que les Sénégalais sont capables de faire la même chose.
Selon vous, pourquoi ça tarde ?
Ça tarde à cause d’une communication insuffisante entre le secteur privé, les acteurs sectoriels et les autorités. Il faut que le gouvernement engage des échanges avec les différents secteurs d’activités pour voir comment articuler les politiques de développement avec les aspirations du secteur privé.
A votre avis, comment se porte l’économie sénégalaise ?
Globalement, elle se porte bien. Il y a des économies qui sont en situation beaucoup plus difficiles. (…) C’est bon d’avancer. Maintenant, quand on peut aller encore plus loin, il faut le faire.
Avez-vous, dans le cadre de vos activités, identifié des contraintes qui plombent le développement du secteur privé sénégalais ?
C’est une question très difficile parce qu’il faut faire un inventaire pour répondre à votre interrogation. Elle est complexe à aborder.
Donc, des contraintes existent…
Oui, forcément.
Elles sont de quelle nature ?
Il y a des contraintes réglementaires, administratives. D’autres sont liées à l’accès aux marchés, aux financements. Il y a toute une série de difficultés sur lesquelles l’entreprise bute. Il y en a qui n’ont pas trop de moyens d’accéder à la commande publique parce que leur niveau d’organisation ne le leur permet pas. Mais il faut les trouver pour soutenir les entreprises, faire en sorte qu’elles puissent accéder à la commande publique. Parce qu’on ne naît pas gros. Et on se développe avec le temps.
Le Sénégal a-t-il les moyens de sortir de ses frontières pour conquérir les marchés du continent africain ?
Je suis persuadé que oui. Si on se bat pour avoir des champions dans quelques secteurs d’activités, le Sénégal peut aller très vite à la conquête de l’Afrique. Actuellement, ce que le Maroc fait vers l’Afrique, notre pays est en mesure de le faire.
Prochainement, vous allez tenir une rencontre sur les entreprises familiales. Pourquoi avez-vous senti le besoin de se pencher sur ce thème ?
Il s’agit, pour nous, de voir comment faire pour aider les entreprises familiales à s’ancrer définitivement dans leur contexte, leur environnement. L’autre volet consiste à assurer leur transmission dans des conditions correctes. Celui qui a créé l’entreprise doit penser à la transmission aux nouvelles générations, à ses enfants, neveux, etc. Parce que nous sommes des êtres humains. C’est donc un gros enjeu de développement économique de réfléchir et de proposer des solutions en nous fondant sur les expériences tirées ici, au Sénégal. Les entreprises familiales constituent notre tissu économique.
PAPE NOUHA SOUANE