Les lutteurs divisés

Le Mma (arts martiaux mixtes, en anglais) a fait ses premiers pas au Sénégal. Mais il n’est pas accueilli à bras ouverts par tous les lutteurs, contrairement à ce que pensent de nombreux Sénégalais. Si les ‘’poids lourds’’ se disent prêts à pratiquer ce sport de combat, les plus jeunes ne le considèrent pas encore comme une alternative.
Dans une salle de musculation située aux Parcelles-Assainies, de jeunes lutteurs renforcent leur musculature déjà impressionnante, en cette matinée fraîche, mais ensoleillée. Dans l’après-midi, ils iront, pour une séance d’entrainement technique, dans un lieu sablonneux. ‘’On s’entraîne trois fois par semaine’’, explique le jeune lutteur Mbacké Faye, le visage couvert de sueur. Ce rythme d’entraînement est suivi par de nombreux lutteurs sénégalais. Ce qui fait dire à certains spécialistes que ‘’les lutteurs sénégalais sont capables de pratiquer n’importe quelle compétition sportive’’. Et voilà ! Le Mma fait ses premiers pas au Sénégal.
Ares Fighting Championship, la Ligue professionnelle de ce sport de combat basée à Dakar, a été créée en 2019 par Vivendi Sports, organisateur de compétitions sportives, notamment sur le continent africain. ‘’C’est bien de voir des Sénégalais participer à des combats d’arts martiaux mixtes (Mma). Mais il ne faut pas en abuser. Car nous n’avons que la lutte. Depuis des années, c’est le Sénégal qui rafle les drapeaux, lors des compétitions internationales de lutte. Donc, c’est notre culture que nous conservons, en favorisant la lutte sénégalaise’’, martèle M. Faye qui ne se plaint pas des années blanches qu’il considère comme ‘’normales’’.
D’ailleurs, pour lui, les combats ne manquent pas. ‘’Dans l’organisation d’un combat de lutte, plusieurs paramètres entrent en jeu. Si les responsables d’un lutteur trouvent que leur protégé n’est pas prêt, ils ne vont pas le laisser signer un contrat’’, estime-t-il. Et d’ajouter : ‘’Au sein de notre écurie, cinquante personnes peuvent signer un contrat de combat de lutte dans une même saison. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a des lutteurs qui préfèrent la lutte sans frappe’’. En ce qui le concerne, il a effectué 7 combats dans la lutte professionnelle sénégalaise, après de nombreux combats de ‘’mbapaat’’ (lutte traditionnelle).
Serpent de l’écurie Parcelles Mbolo est du même avis que Mbacké Faye sur la question. Lui aussi ne sait pas sur quel pied danser, avec ce nouveau sport qui arrive. Il fait montre du même conservatisme que son compère. ‘’La lutte sénégalaise n’a plus l’ampleur qu’elle avait auparavant, alors que le Mma est plus accessible aux gros gaillards qui se sont déjà frayés un chemin. Maintenant, il faut qu’on nous laisse monter et qu’on arrête de nous forcer ce sport. Les gens commencent en à faire trop de communication. Il ne faut pas que la lutte signe son arrêt de mort. S’il y a deux lutteurs qui font ce genre de combat, cent autres préfèrent se concentrer sur notre sport national’’, dit-il.
Par contre, chez le lutteur de l’écurie Rock Energie, Diégane, c’est un autre son de cloche. Lui voit d’un bon œil l’arrivée de cette discipline qui étend ses tentacules sur toute la planète. Même s’il en est à ses balbutiements au Sénégal, il déclare que ‘’le Mma devrait être le bienvenu’’. Il s’en explique : ‘’Il n’y a plus d’argent dans la lutte sénégalaise ; les sponsors ont plié bagages. Les lutteurs s’entraînent matin et soir sans avoir de combat. C’est inconcevable. Donc, c’est une alternative pour le manque de combats de lutte’’, avance-t-il.
Clément Zo de l’écurie Grand Médine Mbolo lui emboîte le pas. Trouvé chez lui à l’Unité 16 des Parcelles-Assainies, ce lutteur, qui prépare son combat contre Ronaldinho de Teunguedj, est enfermé dans sa chambre, à l’abri de tout regard. Vêtu d’une tenue traditionnelle fétiche et assis tranquillement devant la télé, Clément Zo se repose. ‘’Entraînement plus repos égale bénéfice‘’, disent les sportifs. Il prépare son combat avec beaucoup de rigueur. ‘’Nous sommes des soutiens de famille. Il est tout à fait normal que ceux qui n’ont pas de combat s’accrochent au Mma. Je conseille à mes pairs de s’entraîner pour ce sport de combat et de chercher une licence’’.
Il faut dire que le Mma est diversement apprécié par les lutteurs. Si certains pensent que c’est une alternative pour le manque de combats de lutte, d’autres estiment que cela peut conduire à la dévalorisation de la lutte sénégalaise.
BABACAR SY SEYE