Publié le 12 Oct 2018 - 19:51
BELGIQUE - AFFAIRE DU "FOOTGATE"

Tous les mêmes ?

 

Le football belge a été victime d’un véritable tremblement de terre mercredi. Le parquet fédéral a annoncé une vaste opération policière débouchant sur une cinquantaine de perquisitions en Belgique et dans plusieurs pays européens. La conséquence d’un bordel sans nom, sur fond de blanchiment d’argent et pratiques de corruption. Explications.

 

Il n’y a pas besoin d’être un oracle pour deviner que Mogi Bayat ne passe actuellement pas la meilleure journée de sa vie. Auditionné ce jeudi matin par la justice belge dans le cadre de l’immense double enquête portant sur des matchs truqués (ainsi que sur de possibles fraudes financières et blanchiment d'argent), le super-agent du football belge vit donc une deuxième journée plus que mouvementée. Mercredi, à l’aube, l’ancien dirigeant du Sporting de Charleroi avait été interpellé chez lui par des policiers « cagoulés et armés, qui ont même pointé un flingue sur la tempe de son épouse devant ses enfants » selon son avocat Jean-Philippe Mayence pour La Dernière Heure. Si son arrestation digne de celle d’un baron de la drogue fait grand bruit de l’autre côté de la frontière, c’est aussi parce que Bayat serait un rouage à lui seul de l’engrenage qui entretient tout un système d’arrangements et de corruption qui est à l’origine de ce « Footgate » .

Présent dans une vingtaine des 193 transactions en Belgique cet été et acteur des transferts d’Anthony Limbombe à Nantes et de Samuel Kalu à Bordeaux, il aurait même d’ailleurs senti ce scandale arriver et pris certaines précautions. Bayat est l'unique gérant et propriétaire de la SPRL « Creative & Management Group » , basée à Lasne. Et il se trouve qu'en juin dernier, lors du dépôt de ses comptes, sa société disposait d'un plus de 7 millions d'euros de cash disponible, selon les informations de Sudinfo. Placé sur écoute et finalement déféré devant le juge d’instruction, Mogi Bayat risque gros et n'est pas le seul, dans ce qui s’apparente à l’affaire la plus grave qu’ait jamais connue le football belge.

Des magouilles financières aux matchs truqués

Mais il faut d’abord rembobiner à la fin de l’année 2017 pour bien comprendre la genèse de cette affaire, qui ne date donc pas d’hier. Tout a commencé avec un rapport de l’Unité des fraudes sportives de la police fédérale. « Elle mettait au jour des indications de transactions financières suspectes dans la division 1A de football, a précisé le parquet fédéral mercredi. Certains agents de joueurs, indépendamment les uns des autres, auraient mis en place des transactions. Elles dissimulaient, aux autorités belges et aux autres parties impliquées, des commissions qui portaient sur les transferts de joueurs, sur les salaires de joueurs et d’entraîneurs ainsi que d’autres paiements. » En gros, ça sentait à plein nez les magouilles organisées par plusieurs agents au Plat Pays. Mogi Bayat et ses compères de la profession sont notamment soupçonnés d’avoir manipulé leurs comptes et modifier des montants de transferts, afin de croquer plus d’argent que prévu. Suffisant, donc, pour lancer une enquête, histoire d’en savoir plus sur ces pratiques douteuses.

Et il faut dire qu’elle a plus que porté ses fruits. L’instruction sur des faits présumés d’organisation criminelle et de blanchiment d’argent a conduit les enquêteurs sur une nouvelle piste croustillante : celle des matchs truqués. Merci les écoutes téléphoniques ! Ces dernières ont en effet permis de capter plusieurs conversations douteuses autour de possibles tentatives de corruptions sur certaines rencontres de la Division 1A lors de la saison 2017-2018. De quoi donner une nouvelle ampleur à cette affaire, déjà prête à secouer le football belge. Un manque de prudence ou un excès de confiance de la part des agents de joueurs mis sur écoute ? Difficile à dire, mais les enquêteurs ont récolté de la matière. Outre le sulfureux Bayat, Dejan Veljković est dans le viseur. L’agent serbe de 48 ans, très bien implanté dans le club du KV Malines, aurait tenté d’influencer certaines personnes afin d’aider les Sang et Or à se maintenir. Et si le parquet fédéral n’a pas encore communiqué sur le nombre de rencontres susceptibles d’avoir été truquées, plusieurs matchs – qui avaient déjà éveillé quelques soupçons à l’époque – concernant la lutte pour le maintien sont dans l’œil du cyclone.

Le meilleur exemple reste probablement celui de l’ultime journée de la saison régulière de Division 1A, le 11 mars dernier. Dans un duel à distance, Malines et Eupen jouent leur survie dans l’élite. Les deux équipes ont le même nombre de points, une différence de but quasiment similaire (-21 pour Eupen, -20 pour Malines) et affrontent deux formations qui n’ont plus rien à jouer. Victoire obligatoire pour les deux candidats à la descente, en soignant le goal average de préférence. Avant la rencontre, Veljković aurait eu des contacts suspects avec des membres des conseils d’administration de Malines et de Waasland-Beveren, son adversaire du jour.

Résultat : les Malinois s’imposent tranquillement (2-0). Sauf que dans l’autre match, opposant Eupen à Mouscron, les locaux s’imposent... 4-0, au terme d’un scénario plutôt étrange. En effet, il aura fallu seulement 16 minutes à Eupen pour planter les quatre pions (le score étant toujours de 0-0 à la 70e) avec un triplé et une passe décisive du Japonais Yuta Toyokawa, jamais décisif avec son nouveau club avant cet exploit. Conclusion ? Les deux équipes terminent la saison à égalité de points (27), mais c’est Malines qui est relégué à l’échelon inférieur à la différence de buts (-17 pour Eupen contre -18 pour Malines). Pas besoin d’être complotiste pour comprendre qu’il y avait anguille sous roche.

Au-delà des frontières

L’arbitre de cette rencontre, Sébastien Delferière, est justement un des premiers noms à être sorti du chapeau dans cette affaire du « Footgate » . Celui qui aurait dû arbitrer le match Géorgie-Andorre en Ligue des nations ce samedi est soupçonné, comme son confrère Bart Vertenten, d’avoir entretenu des rapports étroits avec Dejan Veljković. Régulièrement en contact avec les deux arbitres selon les enquêteurs, le Serbe n’hésitait pas à entretenir leurs bonnes relations dès qu’il le pouvait. Le propriétaire d'un garage Volkswagen à Alost a même affirmé à TV Oost que Veljković « était venu acheter une voiture ici avec Delferière » . Troublante coïncidence. Mais ce qui frappe le plus parmi les 25 interpellations, c’est la diversité des membres qui les composent. Ivan Leko, l’entraîneur du FC Bruges qui dispute la Ligue des champions, a passé la nuit en cellule, contrairement à l’ancien manager général d’Anderlecht Herman van Holsbeeck, resté quinze ans au club, qui a lui aussi été entendu. Davy Roef et Olivier Myny, deux joueurs de Waasland-Beveren, font également partie du lot, tout comme deux journalistes travaillant pour le Nieuwsblad et le Laatste Nieuws.

Une catastrophe à tous les étages que Pierre Cornez, porte-parole de l'Union belge de football (URBSFA), ne minimise pas : « L'image du football belge subit des dommages considérables (...) que l'enquête du parquet fédéral pour fraude, blanchiment et matchs truqués aboutisse à quelque chose d'important ou non, les dégâts en matière d'image pour le football belge sont énormes. » Un dossier qui ne s’arrête d’ailleurs pas seulement aux frontières du Royaume.

Ce sont au total près de 13 perquisitions qui ont également été menées à l’étranger en France, au Luxembourg, à Chypre, et dans les Balkans, au Monténégro, en Serbie et en Macédoine. Près de 800 000 euros issus du blanchiment d’argent ont été confisqués lors de six perquisitions à Belgrade et dans le sud du pays, des fonds qui proviendraient « de transferts douteux en Belgique » selon la chaîne serbe N1. En attendant que « que le parquet fédéral fasse son travail et que la présomption d’innocence soit de mise, rappelle Pierre Cornez, le football belge continue de s’enfoncer dans la crise. » En attendant surtout de savoir quand il va toucher le fond.

SOFOOT.COM

 

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