Les dernières confidences d’une mourante

Dorothée Olou Faye a lutté jusqu’à sa mort. Elle tenait à la vie, au respect de la vie humaine. Dans sa volonté de combattre l’injustice et la discrimination, elle a écrit un livre avec le soutien de ses camarades de la faculté des Sciences juridiques et politiques (FSJP) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), malgré la maladie qui la rongeait. L’objectif est d’éveiller la conscience des lecteurs. ‘’Covid-19 et Droits de l’homme, les dessus et dessous d'une crise’’. C’est le titre de cet ouvrage publié aux éditions Nuit et Jours. Ainsi, le thème général du livre est la pandémie de Covid-19 et ses impacts. Un thème associé à la santé, à l’économie, à la sociologie, à la politique et à la justice.
‘’Les morts ne sont pas morts’’. La disparition de Dorothée Olou Faye renseigne à suffisance sur la véracité de cette assertion de Birago Diop. Elle est partie à jamais, mais demeurera dans les cœurs et dans les esprits. Pour toujours. Et pour cause ! Elle a laissé derrière elle une œuvre incommensurable. Dans la salle Anne-Marie Javouhey de l’école St Joseph de Médina, l’émotion était palpable lors de la cérémonie de dédicace du livre de la défunte : ‘’Covid-19 et Droits de l’homme, les dessus et dessous d'une crise’’, publié aux éditions Nuit et Jours.
Cette production l'immortalise. Il y a une implication médico-socio-politique, mais aussi économique. Dorothée, comme l’appelaient ses proches, était malade et mourante. Mais elle avait envie de faire changer la vision qu'on a de nos sociétés, surtout du rapport entre le Nord et le Sud. Elle a porté en elle un combat qu’elle a su partager avec les autres pour avoir des voix plurielles.
En effet, alitée, elle a fait appel à ses camarades de classe Cheikh Mbacké Diaw et Sécou Bodian pour la production du livre. Ainsi, l’on découvre dans cet ouvrage des productions mixtes. L’initiatrice a dû faire recours à ses proches pour que son travail puisse continuer. A une certaine période, dit-on, elle ne pouvait pas le faire toute seule. Ses camarades ont su porter avec elle son combat.
Fatou Diop Siby, Professeure de français, a livré la perception qu'elle a de l’œuvre, de l’auteure (principale) et de l’apport de ses camarades. ‘’En lisant le livre, il y a un moment, je me suis dit : celle-là, elle prend beaucoup d’autorité à dire des choses. Mais c’est quand j’ai su qu’elle était condamnée, qu’elle n’allait plus être là, que je sentis un peu toute la virulence de son propos’’, a-t-elle indiqué. Non sans souligner que l’’œuvre est porteur de projet de développement pour l’Afrique, car Dorothée Faye a une vision panafricaniste.
‘’Il y a dans le livre des révélations importantes. Et une prise de position panafricaniste qui est très perceptible d’un auteur à un autre. Et chacun cherche à sa façon à apporter sa pierre à l’édifice. C’est une construction d’idées de développement d’un continent qui doit être debout face à ses problèmes. L’œuvre de Dorothée et Cie dénote un sentiment d’injustice qui habite les auteurs. Injustice qu'ils ont cherché à corriger’’, a relevé Mme Siby Fatou Diop. Les auteurs ont notamment fustigé une certaine stigmatisation liée à la grammaire de cette pandémie Covid-19.
‘’La stigmatisation est un nom un peu scientifique qui remplace l’idée de raciste. Elle est beaucoup plus pointue que le racisme. L’œuvre soulève beaucoup d’interrogations entre le Nord et le Sud surtout. Les auteurs en savent beaucoup sur la maladie, sur le programme politique. Ils ont voyagé. Ils ont peut-être subi le racisme et la stigmatisation’’, a poursuivi la professeure de français. D’ailleurs, ce qui fait de ce livre un ouvrage scientifique, c’est qu’il a une démonstration de connaissances. Les auteurs ont livré des données scientifiques au plan sanitaire, économique et des réflexions sociologiques fondées sur des paramètres.
En effet, Dorothée Olou Faye tenait beaucoup à son projet d'éveil des consciences à l’endroit du peuple avant qu’arrive son heure. Cette volonté lui a donné la force d’aller de l’avant, malgré le cancer qui la rongeait.
Cheikh Mbacké Diao est revenu sur cette volonté de dénoncer qu’avait l’auteure principale. ‘’Je n’avais aucune idée du fait que ses jours étaient comptés. En parlant avec elle, on oubliait qu’elle souffrait de quelque chose. Quand on a échangé autour du projet, je me suis rendu compte qu’elle était plus dans la logique de dénoncer. Alors que moi, ce que le travail m’inspirait, c’était d’analyser ce qui se passait dans la rue ou les mesures que les gouvernants prenaient. Il s’agit d’avoir le regard d’un juriste face à ces événements (Covid-19)’’, a soutenu M. Diaw.
‘’Nous nous sommes demandé si le monde était en guerre contre la Covid ou contre les libertés fondamentales’’, dit-il. Dorothée et Cie soulignent que dans la constitution de l’OMS, le droit à la santé ou le droit de jouir d’un meilleur état de santé physique et mentale qu’il soit possible d’atteindre un élément fondamental des Droits de l’homme.
Pour sa part, le responsable des éditions Nuit et Jours, Waly Ba, soutient que Dorothée Olou Faye est une défenseuse de la justice et de l'humanité. ‘’Je n'ai pas connu celle que j'ai publiée, mais à la lecture de son propos, j'ai découvert bien des facettes admirables de sa personnalité. Elle était une dame au grand cœur, qui voulait un peu plus de justice et d'humanité sur cette planète qui a toutes les caractéristiques d'une jungle. Voilà donc qui fait de ce livre un brillant plaidoyer. Un plaidoyer auquel son statut d'œuvre post mortem donne une dimension sans commune mesure’’.
Teint noir, visage d'ange, yeux brillants. La photo de Dorothée Olou Faye, déposée contre un mur, sur une table ornée, entourée de bougies, rendait l’émotion plus forte le jour de la cérémonie de présentation du livre. Elle est partie comme une étoile filante. Sa disparition a mis ses proches devant une indicible douleur et une sidération totale. ‘’Elle occupe une place importante dans notre vie. Dorothée Olou Faye était une personne aimable, d’une sensibilité et d’une identité remarquable. Affable et plaisante, qui n’a-t-elle pas séduit par sa finesse d’esprit et son intelligence ?’’, s’est demandé son camarade à la faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Ucad, Sécou Bodian.
‘’Si l’argent pouvait guérir…’’
Dorothée aura marqué positivement la vie de ses proches. Son départ laisse un vide dans leur cœur. Selon les témoignages, sa détermination et son engagement étaient le fruit de l’amour qu’elle avait pour sa famille. Elle voulait se soigner et rendre à ses proches la monnaie de leur pièce. D’ailleurs, Sécou Bodian a relaté le premier jour où elle s’est fait remarquer en répondant à la question : ‘’Qui est votre référence ?’’ Selon lui, la quasi-totalité des étudiants avait répondu en citant des personnages de renommée internationale comme Gandhi, Mandela, Sankara, etc. ‘’D’une voix limpide et symphonique, elle a dit, pour sa part : ‘Ma mère est ma référence. Elle est ma source de motivation, ma force. Car j’ai vu les combats qu’elle a menés et qu’elle mène toujours. Je l’ai vu essuyer des larmes pour nous sourire et nous combler d’amour.’ Ses camarades l’ont tous applaudie ce jour-là’’, s’est-il remémoré.
C’était la seule fois où Dorothée Olou Faye a eu à verser des larmes devant ses camarades étudiants.
Au dernier jour où Dorothée Olou Faye était venue à la soutenance d’une de ses amis, avec un sourire rayonnant, chacun était heureux de la serrer dans ses bras et de prendre de ses nouvelles. Elle n’a jamais cessé d’émerveiller ses amis et sa famille. Ces derniers lui ont témoigné d’une foi intacte et infaillible. Elle ne voulait point qu’on ait pitié d’elle. Sa maladie était son fardeau, mais elle l’assumait avec foi. ‘’Un jour, elle m’avait dit : ‘Mon cher ami, je n’ai plus beaucoup de temps ; mes jours sont comptés. Si l’argent pouvait guérir, alors je serai déjà bien portante depuis longtemps, car mon père a remué ciel et terre pour me faire consulter par les meilleurs spécialistes. J’ai même était au Maroc et cela a coûté beaucoup de millions à mes parents. Mon père ne se décourage jamais. Il est toujours prêt pour me voir heureuse. Et pourtant, je suis la plus âgée du monde. L’amour de ma famille me suffit’, a confié Sécou Bodian.
‘’S’il y a une chose qui peut choisir un élan, c’est sans doute la mort. Elle vient à l’improviste et trouble nos mémoires. Elle choisit nos êtres les plus chers et nous plonge dans une douleur profonde où la seule issue reste la foi’’, a-t-il constaté.
BABACAR SY SEYE