Publié le 12 Dec 2020 - 07:54
DR CHEIKH IBRA FALL NDIAYE, ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE

‘’Sonko, de même que toute la classe politique de l’opposition ont intérêt à se réunir’’ 

 

Les récentes concertations entreprises par Ousmane Sonko avec certains leaders de l’opposition pourraient être en leur faveur, si l’initiative aboutit à une alliance. L’Enseignant-chercheur en science politique, Dr Cheikh Ibra Fall Ndiaye, est d’avis que l’opposition sénégalaise a intérêt à se retrouver, en vue de préparer les prochaines échéances, au regard de la reconfiguration de l’espace politique national.

 

Ousmane Sonko, le leader du Pastef, enchaine des entrevues avec certains membres de l’opposition, depuis le dernier remaniement ministériel. Quelle lecture en faites-vous ?

Cette démarche d’Ousmane Sonko, leader du Pastef, s’inscrit dans la logique de faire de grandes alliances, afin de pouvoir accroitre son électorat. L’autre raison est le fait qu’il a quitté l’alliance Jotna. De ce fait, étant aujourd’hui parmi les leaders charismatiques de l’opposition, il est de son devoir de procéder à des rencontres pour des alliances qui pourraient se justifier par les échéances électorales à venir, à savoir les Locales. Certaines régions comme celles de Dakar, Ziguinchor, peuvent être de son côté, si on se base sur le quota électoral qu’il avait obtenu, lors de l’élection présidentielle de 2019. Sur ce point, on peut dire qu’avec quelques alliés à Dakar et à Ziguinchor, il pourrait avoir une bonne position dans les Locales à venir.

Ces concertations sont-elles une réponse de l’opposition à la nouvelle composition de la majorité, avec l’entrée dans le gouvernement du Rewmi et d’ancien du PDS ?

Il y a un point important à signaler, c’est que le ralliement d’Idrissa Seck a bouleversé un peu les calculs de certains opposants. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la coalition d’Idrissa Seck étant 2e, lors de l’élection présidentielle et que ce dernier a rallié le président Macky Sall, actuellement, on se pose la question de savoir quels sont les tenants et les aboutissants de ce ralliement. Ce qui fait aujourd’hui que l’opposition, dans sa majorité, cherche des mécanismes d’alliance pour contrecarrer la grande coalition qui entoure le président de la République.

Pour ce faire, aujourd’hui, Sonko, de même que toute la classe politique de l’opposition ont intérêt à se réunir vraiment, pour pouvoir gagner certaines villes, lors des élections législatives et locales à venir. Cela constitue, en fait, ce que j’avais appelé la reconfiguration de l’espace politique, après le ralliement d’Idrissa Seck et les jours à venir nous donneront encore plus de précisions sur les alliances imprévues.

Peut-on s’attendre à la gestation d’un pôle autour du leader du Pastef ?

L’autre chose est que des entretiens ont été faits par certains lieutenants de Khalifa Sall dont Barthélémy Dias. Cela suppose également qu’il peut y avoir une probable alliance avec la coalition Taxawu Senegaal. C’est possible d’autant plus que si Khalifa Sall n’a pas bénéficié d’une loi d’amnistie d’ici la tenue des Locales, il ne pourra pas être candidat. De ce fait, il aura également besoin d’une alliance pour reconquérir Dakar, selon les propositions qui seront faites avec certains leaders qui pourront faciliter la reconquête de la capitale.

Voilà certains enjeux qui pourraient justifier la démarche de Sonko, c’est-à-dire nouer des alliances avec certains leaders de l’opposition. Les élections législatives à venir, également, s’inscrivent dans la même dynamique. Elles pourraient être un point d’analyse pour justifier les alliances que je viens de citer. Tout cela joue en faveur d’une constitution de pôle favorable à Sonko, sans oublier les frustrés de la mouvance présidentielle et certains leaders comme Thierno Alassane Sall, Cheikh Bamba Dièye et autres qui peuvent rejoindre ce probable pôle.

Est-ce que les différentes idéologies ne risquent pas de faire obstacle à ces futures alliances ?

Dans la classe politique, depuis l’alternance, on peut noter la crise des idéologies, dans la mesure où, au sein des régimes qui se succèdent, à commencer par Abdoulaye Wade, on avait des socialistes, des partis de gauche qui avaient comme idéologie le marxisme, qui étaient avec Abdoulaye Wade, mais également Macky Sall. Ce qui fait que la crise de l’idéologie partisane ne date pas d’aujourd’hui et se justifie également par la transhumance au profit du camp présidentiel. Aujourd’hui, on peut constater une crise d’idéologie partisane au sein des partis politiques. Au regard de la configuration de l’appareil gouvernemental, mais également des alliances avec le président Abdoulaye Wade, mais aussi avec Macky Sall.

Ce qui fait qu’à la question de savoir si ces idéologies ne risquent pas de faire obstacle, je réponds par la négation. Il y a la présence des partis politiques au sein de l’appareil gouvernemental avec leurs idéologies différentes. Je peux parler du PS avec le camp d’Aminata Mbengue Ndiaye qui a remplacé Ousmane Tanor Dieng. Je peux parler de l’AFP. Ils sont tous des produits du PS. On peut voir également certains libéraux qui étaient avec Wade. Tout cela justifie aujourd’hui que les différentes idéologies ne peuvent pas faire obstacle, dans le cadre de l’opposition, si vraiment les leaders qui la composent ont comme souci l’intérêt national et si cet intérêt les préoccupe. On peut faire entrave aux idéologies et travailler pour le Sénégal. Les coalitions qui ont permis aux présidents Wade et Macky Sall de gagner les élections peuvent également justifier que rien ne peut faire obstacle au profil d’Ousmane Sonko, si vraiment il y a des accords et des compromis qui ont sous-tendu ces probables alliances.

Vous avez parlé des frustrés de la mouvance présidentielle. Peut-on s’attendre à ce qu’Aminata Touré et les autres rejoignent cette éventuelle alliance ?

Sur cette question, je vais répondre avec beaucoup de réserves. Je vais évoquer pour cette raison deux hypothèses possibles. La première : si Macky Sall n'est pas candidat en 2024 et que le candidat qui sera choisi par sa mouvance ne fait pas l’unanimité, les frustrés de l’APR, victimes de limogeage, peuvent trouver des facilités à rejoindre le camp de l’opposition. La deuxième hypothèse : c’est si Macky Sall décide de se présenter en 2024 ou veut soutenir un candidat à sa succession, ces frustrés peuvent avoir des difficultés, si le président fouille leur gestion.

Et souvenez-vous que les leaders qui ont été limogés, comme Aminata Touré, ont occupé de hautes fonctions, à savoir Premier ministre, ministre de la Justice, le Conseil économique, social et environnemental. De ce fait, souvenez-vous de la déclaration des milliards obtenus par la traque des biens mal acquis qui avait soulevé une controverse au sein de la mouvance présidentielle. De ce fait, on peut toujours revenir sur cette question, de même qu’on pourrait également fouiller sa gestion dans les différentes instances qu’elle a pu occuper. Il en est de même pour certains qui ont été victimes de ce limogeage. Si on utilise la justice pour contrecarrer leur éventuelle candidature, cela pourrait être réussi, au regard de ce qui s’est passé avec Khalifa Sall et autres. Sur cette question, tout dépendra du climat politique qui régnera d’ici 2024.

Je suis sûr qu’aujourd’hui, le fait de travailler avec Macky Sall, en occupant beaucoup de postes stratégiques et vouloir coûte que coûte s’opposer à lui, pourrait être vraiment fatal pour certains frustrés qui ont pu occuper certaines fonctions. De ce fait, tout dépendra, comme je l’ai dit, du climat qui régnera d’ici 2024, mais également des échéances électorales à venir.

HABIBATOU TRAORE

 

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