Publié le 9 Apr 2020 - 22:00
DR OUMAR B. KHATAB THIAM (PRÉSIDENT ALLIANCE NATIONALE POUR LA SÉCURITÉ DES PATIENTS)

“Le test massif pour la population n’est pas, à mon avis, réalisable’’

 

Anesthésiste-réanimateur à la retraite, Docteur Oumar Boun Khatab Thiam, ancien Chef du bloc opératoire du Service d’urologie de l’hôpital Le Dantec analyse, pour ‘’EnQuête’’, la situation nationale de la pandémie de Covid-19.

 

Jusque-là, le Sénégal a enregistré très peu de cas graves. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ?

Effectivement, il y a très peu de cas graves. Ce taux faible peut être lié à plusieurs facteurs. Il y a le nombre de malades, le profil des patients : notamment leur âge, les pathologies associées (diabète, pathologie respiratoire, cancer, etc.). Les traitements reçus sont également importants. Donc, pour mieux expliquer ce taux faible de cas graves, il faut avoir plus d'informations fournies par les dossiers des patients. Nous savons qu’en Europe, par exemple, il y a plus de personnes âgées qu’en Afrique. Cela peut être une des raisons pour lesquelles les cas graves y sont beaucoup plus nombreux. Mais encore une fois, il faut avoir accès aux dossiers pour pouvoir faire une lecture plus fine et avoir une idée plus nette sur cette question.

Ce qu’il faut également savoir, c’est que, jusqu’à présent, le taux de mortalité pour la Covid-19 est encore faible, environ 2 %.

Pour un seul cas grave, puisque l'autre a été évacué, on a quand même noté 2 morts. Ce qui signifie qu'un cas non grave a aussi perdu la vie. Quelle lecture en faites-vous ?

Non. Un cas, au départ, non grave doit évoluer, c’est-à-dire s’aggraver pour entrainer la mort. En d’autres termes, s’il n’y a pas une aggravation préalable, il n’y a, en principe, pas de mort. On suppose donc qu’il y a eu une aggravation préalable.

Ce qui a semé la confusion dans la tête de certains Sénégalais, c’est que les autorités n’avaient fait mention que de deux cas graves dont l’un a été évacué…

Je ne sais pas ce qui s’est réellement passé, n’ayant pas vu les dossiers. Peut-être au moment où les responsables faisaient le point, le matin, il n’y avait pas encore l’aggravation. C’est une hypothèse. Mais il faut savoir que si le patient meurt, c’est parce qu’il y a eu une situation d’aggravation de son cas. Maintenant, la mort peut être liée à la présence du virus, comme elle peut être causée par une pathologie qui existait déjà chez le malade. C’est d’ailleurs pourquoi le traitement doit prendre en compte la morbidité liée au virus, mais aussi les morbidités liées à d’autres affections.

Pour exemple, quand vous traitez un patient hypertendu qui a été victime de coronavirus, il faut, en même temps, assurer le traitement de l’hypertension. Sinon, il peut mourir de son hypertension et non du coronavirus.

Que faudrait-il faire, dans l'immédiat, pour éviter l'hécatombe prédite par nombre d'observateurs internationaux, au cas où il y aurait explosion des cas, surtout graves dans les jours à venir ?

Le maitre-mot, c’est la prévention. Il faut surtout renforcer les mesures prises par les autorités sanitaires et gouvernementales ; à savoir, entre autres : la fermeture des frontières (malgré la porosité des frontières terrestres), les dispositions relatives aux lieux de cultes et aux écoles, le couvre-feu…  Toutes ces mesures sont très importantes dans la lutte contre la propagation du virus. Associées à la promotion de l’hygiène en général et particulièrement l’hygiène des mains dans la communauté, cela a contribué, à mon avis, à limiter, jusque-là, les dégâts. Il ne faut surtout pas baisser les bras, car les choses sont loin de se terminer.

Mais ne pensez-vous pas que les structures de soins sont un peu un des maillons faibles de ce dispositif, si l’on sait qu’elles manquent presque de tout ?

Cette bataille de la prévention dans les structures de soins est fondamentale. Le risque de propagation de la maladie y est très élevé. Pour le contrer, il faut, d’une part, des mesures administratives consistant à organiser le tri des patients, afin de détecter les cas suspects pour les prendre en charge rapidement. D’autre part, il y a les mesures environnementales et l’application des précautions standards et des précautions complémentaires. C’était d’ailleurs l’objet du Pronalin (Programme de lutte contre les infections nosocomiales). Cette crise nous aura montré l’intérêt de ce programme qu’il urge de renforcer pour le bien de nos structures de santé. Il faut particulièrement veiller sur l’hygiène des mains au niveau des personnels et des usagers ainsi qu’à la disponibilité des solutions hydro-alcooliques. D’ailleurs, à ce niveau, j’ai entendu l’autre jour le ministre parler d’un programme de financement d’universitaires à hauteur de 100 millions de F CFA. Je pense que ce n’est pas la peine. D’autant plus qu’il existe déjà des unités de fabrication dans certains hôpitaux. On a qu’à les réparer et leur donner des moyens…  

Il y a aujourd’hui l’équation des cas communautaires. Comment les gérer de manière efficace pour enrayer la propagation ?

La part des cas communautaires, même minime, doit être prise très au sérieux. Le risque d’éclosion de la maladie est réel et imprévisible. Aujourd’hui plus que jamais, il faut sensibiliser les populations, les encourager à aller très tôt dans les structures de soins et éviter l’automédication. Dans nos contextes africains, les malades ont cette habitude de se rendre à l’hôpital tardivement. Certains préférant passer d’abord chez le guérisseur, dont la télévision assure la promotion. Ce sont autant de freins qu’il faut prendre en charge pour faire face à cette propagation communautaire de la maladie. Encore une fois, la prévention, la sensibilisation sont fondamentales. L’implication des chefs religieux constitue un soutien très important pour la lutte.

Certains prônent un test massif des populations. Mais cela ne semble pas être l'option des autorités. Quels sont les obstacles ?

Le test massif pour la population n’est pas, à mon avis, réalisable, du fait du déficit en ressources humaines et de moyens logistiques. Pour le moment, l’Institut Pasteur (de Dakar) et peut être le centre de recherche du Pr. Mboup sont les seuls laboratoires habilités à effectuer des tests. Aussi, les résultats négatifs pourraient être interprétés par le bénéficiaire comme quelqu’un qui ne sera pas atteint par la maladie. C’est pourquoi il faut faire très attention à tout ça. Et les autorités semblent en être conscientes.

Il y a eu un débat acharné sur l’usage de la chloroquine. Certains, comme le professeur Daouda Ndiaye, avaient brûlé les conclusions du Français Dr Raoult avant de revoir leur copie. Que vous a inspiré tout ce tollé ?

Le débat sur la chloroquine se pose encore en France. Des scientifiques et chercheurs occidentaux critiquent toujours le protocole de Didier Raoult. Il faut reconnaitre au professeur Daouda Ndiaye le droit d’avoir des réserves. Sans complexe. Maintenant, je comprends les arguments de ceux qui soutiennent l’utilisation de la chloroquine. Comme le dit Pr. Seydi, face à l’urgence, il a préféré brûler les étapes que les normes de la recherche lui dictent. Un comité d’éthique et de recherche permettra de valider des protocoles pour confirmer les thèses du Pr.  Raoult.

On vante souvent la qualité de nos ressources humaines. Est-ce que ce n'est pas une réputation surfaite ? Parce que nous en sommes encore là à copier les autres. On ne voit aucune proposition qui part de nos États. Cela s'explique-t-il, à votre avis ?

Nous avons effectivement des ressources humaines de qualité, mais elles sont insuffisantes et la motivation fait également défaut. En outre, il y a le problème des infrastructures et des équipements vétustes. S’y ajoutent les conditions de travail difficiles. C’est ce qui rend faible notre système de santé. Je pense que ce sera l’un des défis les plus importants de nos pouvoirs politiques, au sortir de cette crise.

Pour certains, on devrait, en ce moment même, être dans le confinement et non dans un couvre-feu. Le fait de ne pas l'avoir décrété ne traduit-il pas une certaine impuissance ?

Le confinement doit être, à mon avis, la dernière solution. D’abord, c’est une mesure qui a un coût que l’Etat ne pourrait pas supporter. Déjà, il y a eu un sacrifice énorme avec le couvre-feu. Il faut que les choses se fassent étape par étape. Pour le moment, souhaitons que l’épidémie s’éteigne rapidement, sinon le pire est à craindre.

Quels doivent être les chantiers à la fin de cette pandémie ?

Au sortir de cette crise, il faut davantage renforcer notre système de santé qui repose sur deux entités : le système public et le système privé. Pour le secteur public, il faut une bonne politique des ressources humaines, des infrastructures et des équipements qui répond aux normes. Pour le secteur privé, il faut le soutenir par un allègement fiscal et de facilitations d’accès aux crédits garantis par l’Etat.

Par Mor Amar

 

Section: