Publié le 8 Apr 2020 - 02:26
IMPACT DE LA COVID-19 SUR LA ZONE UEMOA

Le diagnostic de l’agence Bloomfield Investment Corporation

 

L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) n’échappe pas à la crise économique mondiale, conséquence des effets de la pandémie du coronavirus. Une situation qui tient en alerte les investisseurs face aux risques encourus et qui menacent des équilibres économiques déjà très fragiles.

 

Le monde vit un tournant, face aux défis imposés par la pandémie de la Covid-19. Et l’Afrique, en particulier les pays de la zone UEMOA, n’y fait pas exception. Les différents canaux de transmission des conséquences de la crise sanitaire actuelle rappellent les nombreuses failles des économies locales dont les activités ne fonctionnent que sur des fortes concentrations des produits d’exportation sur les matières premières à faible valeur ajoutée. Celles-ci combinées à une étroitesse de la capacité financière des Etats et à une faiblesse des infrastructures, entre autres limites.

A mesure que progresse l’épidémie, les perspectives de croissance économique sont revues à la baisse. Une situation qui intrigue les investisseurs et a amené l’agence de notation ivoirienne Bloomfield Investment Corporation, qui officie dans la production d’informations nécessaires à la prise de décision d’investissement, à mener une étude avec ‘’l’objectif de mettre en évidence les éléments constitutifs du risque d’investissement lié à la pandémie de la Covid-19 dans la zone UEMOA’’.

D’après certaines prévisions de ce rapport, les investissements des entreprises du secteur privé vont être stoppés afin d’avoir une meilleure visibilité sur l’évolution de la situation. Par conséquent, le risque de faillite sera relativement important, à cause de l’arrêt brutal de l’activité dans certains secteurs, en particulier pour les PME/PMI qui ne sauront pas ajuster leur fonctionnement dans cette situation. Et pour les entreprises ayant des factures avec l’Etat, l’accumulation des arriérés constituera une épée de Damoclès.

Si le continent est pour le moment moins touché en termes de cas confirmés et de décès, il suscite le plus d’inquiétudes sur le plan socio-économique. Essentiellement exportateur de produits issus notamment de l’agriculture, de la forêt, des mines et du pétrole, l’Afrique voit les mesures prises par les gouvernements occidentaux perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales et causer la baisse des prix des matières premières. Les bonnes performances et l’amélioration des prix à l’international observés ces dernières années, laissent place à une baisse des commandes d’or qui expose des pays comme le Burkina Faso et le Mali, avec ‘’des exportations d’or représentant, respectivement 68 % et 69,7 % des exportations totales de biens en 2018’’.

Toujours selon le rapport de Bloomfield Investment Corporation, ‘’cette situation pourrait perdurer et avoir une incidence sur les exportations de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao. […] Les cours du pétrole connaissent des baisses assez importantes. Ils ont perdu plus de 60 % de leur valeur sur le premier trimestre. La Côte d’Ivoire, le Niger et le Sénégal (les investissements dans le secteur pétrolier devraient être au point mort) sont les principaux pays de la zone dont les exportations seraient exposées. […] Les cours du coton à l’international étant fortement impactés par la chute brutale de la demande entrainée par la fermeture des magasins de vêtement et de textile, ainsi que des industries intervenant dans ce secteur, le Bénin est le pays le plus exposé de la zone UEMOA, avec ce secteur représentant 56,9 % des exportations totales de biens en 2018. Dans une moindre mesure, le Mali, le Burkina Faso et le Togo sont également exposés’’.

D’ailleurs, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) anticipe une croissance de 1,8 % contre 3,2 % prévue en 2020.

Le Sénégal vulnérable à la baisse des transferts internationaux d’argent et du taux de fréquentation touristique

Au Sénégal, le président de la République a déjà revu à la baisse les prévisions de croissance, estimant un nouvel objectif d’un taux inférieur à 3 %. Une incertitude plane aussi sur le pays dont 10 % du PIB (produit intérieur brut) sont assurés par les envois des migrants. Entre 2007 et 2017, le Sénégal a reçu, selon la BCEAO, la plus grande part du total des transferts de fonds des migrants en direction de l’UEMOA, soit 47,6 %. Ces ressources qui contribuent, pour de nombreux ménages, à assurer des dépenses courantes et, dans une moindre mesure, d’investissement seront fortement réduites par les effets de la Covid-19 sur les travailleurs émigrés.

D’autres secteurs dans l’union sont d’ores et déjà touchés, à la vue des restrictions de distanciation requises, de la fermeture d’établissements récréatifs et des frontières. Cela concerne les activités d’hôtellerie, de restauration, du divertissement et les transports. Ces secteurs sont principalement concentrés dans le secteur tertiaire qui est le principal moteur de la croissance dans la plupart des pays de la zone. En lien avec ce qui précède, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont les plus exposés, dans la mesure où la contribution de ces secteurs est relativement importante : les activités de tourisme et de voyage de chacun des pays représentent autour de 10 % de leur PIB respectif en 2018.

Au-delà des secteurs qui devront enregistrer une contraction de l’activité, les autres secteurs de l’économie devraient montrer des signes de ralentissement, notamment le BTP porté principalement par les investissements publics en infrastructures socioéconomiques.

Les facilités fiscales ne sont pas des mesures à l’efficacité durable

En zone UEMOA, pour l’heure, seuls les États du Sénégal (Force Covid-19) et de la Côte d’Ivoire ont révélé un plan de soutien à leur économie, en plus des dispositions prises par la Banque centrale. Le président Macky Sall a annoncé, dans son message à la nation du 3 avril, que des ‘’remises et suspensions d’impôts seront accordées aux entreprises qui s’engageront à maintenir leurs travailleurs en activité durant la crise ou à payer plus de 70 % du salaire des employés mis en chômage technique durant cette période’’.

Seulement, l’efficacité sur la durée, les différentes mesures prises, bien que louables, pourraient être remises en cause, d’après les analyses de l’agence de notation.

En effet, ‘’le contexte actuel, précise le document, est marqué par un ralentissement/arrêt de l’activité des entreprises. Par conséquent, le report du paiement de taxes et impôts ne pourrait être une solution durable et soutenable pour le secteur privé. Pour preuve, à échéance (trois mois en ce qui concerne la Côte d’Ivoire), les entreprises, déjà en difficulté, devront faire face à un cumul de différentes charges dues et qui avaient été reportées’’.

Au-delà du système sanitaire, il est clair que la pandémie de la Covid-19 vient rappeler les nombreux déficits en infrastructures socio-économiques de base en Afrique de l’Ouest. Cette crise sanitaire pourrait fragiliser davantage un environnement social relativement précaire, exacerbant les besoins des populations et la précarité de certains ménages avec une hausse du chômage en perspective.

C’est alors l’occasion donnée aux États africains de repenser leur modèle de développement. La nature des futurs investissements pourrait changer, au moment où les pays développés réfléchissent à une relocalisation de certaines industries, afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

De ce fait, conclut l’étude, la ‘’capacité des États africains à formuler les politiques économiques pour booster les économies sera très importante pour assurer la croissance et améliorer le quotidien des populations’’. Mais le premier pas consistera à faire preuve de transparence, de bonne gouvernance et de fermeté dans la gestion de la crise, et particulièrement des fonds alloués à cette fin, afin, ‘’premièrement, de rassurer la population et, deuxièmement, de maintenir leur confiance en l’action gouvernementale’’.

LAMINE DIOUF

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