Publié le 17 Dec 2017 - 04:08
JAMES C. VECHERY

(Chargé des opérations militaires Usafricom) ‘’On se rend compte que les menaces persistent’’

 

Le général de corps d’armée, James C. Vechery, voit le verre de la coopération militaire avec l’Afrique à moitié plein. Chargé des opérations militaires du Commandement des Usa pour l’Afrique (Usafricom), il juge les efforts et analyse l’actualité d’une décennie de coopération militaire entre sa structure et les différents pays africains, dans une interview accordée conjointement à plusieurs médias sénégalais.

 

Qu’est-ce qu’Africom ?

C’est une organisation qui fête une décennie d’existence. Ce dont nous sommes absolument ravis. En réalité, c’est en 2007 que nous avons initié la force de capacitation. Mais c’est le 1er octobre 2008 que nous avons vraiment été opérationnels de fait. Ce qu’on essaie de faire en Afrique s’appuie sur quatre choses fondamentalement : contrer les crises régionales, promouvoir la sécurité dans la sous-région, (bien sûr protéger les citoyens et les installations américains, et se déployer pour répondre aux crises où qu’elles puissent avoir lieu. Ce sont les quatre éléments basiques qui motivent notre travail de tous les jours. Ce partenariat inclut 53 pays africains qui sont nos premiers vis-à-vis. Il y a aussi beaucoup de partenaires européens dont l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. Ensuite, viennent les partenaires internationaux, les Nations Unies, l’Union européenne, l’Union africaine. Et puis, il y a notre propre gouvernement : le département d’Etat, l’Usaid dont l’apport en matière de développement est non négligeable. Les représentations diplomatiques travaillent tous à imaginer ce que nous pouvons faire ou fournir à nos partenaires pour leur apporter paix, sécurité et prospérité en Afrique.

Quels sont les objectifs finaux recherchés par ce commandement unifié ? 

Nous avons des objectifs spécifiques comme le plan de déroulement de campagne par exemple. Ce plan comprend ce qu’on appelle des ‘’lignes d’efforts’’. Nous en avons cinq présentement sur lesquels nous insistons. La première ligne est en Afrique de l’Est, la deuxième dans le nord de l’Afrique et dans le Sahel, la troisième se concentre sur le bassin du Lac Tchad, la quatrième dans le Golfe de Guinée et en Afrique centrale, et la cinquième est sur tout le continent avec une assistance humanitaire et des secours pour les désastres naturels et les opérations de maintien de la paix. C’est le plan de travail sur lequel nous travaillons tous les jours.

Maintenant, il est sûr que nous devons travailler sur l’existant en place et faire des analyses pour voir comment procéder à des ajustements pour ce plan de campagne. Après la crise d’Ebola, nous nous sommes rendus à l’évidence que nous devrions continuer à apprendre encore. Il y a eu une initiative créée juste après, appelée ‘’West Africa Disaster Preparedness Initiative’’ (Initiative pour la réaction aux désastres en Afrique de l’Ouest) qui s’est faite avec la Cedeao et nous a permis d’aider la sous-région à améliorer sa capacité à répondre aux menaces futures. Quand on parle de ligne d’effort 5 et de force de réaction, c’est l’exemple parfait. Un impact certain sur les populations venant de notre apprentissage de précédentes expériences et qu’on pourra traiter plus rapidement dans l’avenir. 

La réunion des chefs d’Etat du G5 Sahel est sur le point de passer à l’offensive contre les organisations extrémistes violentes. Qu’est-ce qu’envisage de faire Africom dans ce cadre ?

Africom va supporter les forces conjointes du G5 Sahel. Notre regard sur la question est que c’est plus qu’un regroupement de cinq pays africains, mais plutôt une aide apportée par la France, qui est d’un support important dans ce cadre. Il y aura aussi le soutien américain. Notre intention est de supporter cet effort bilatéralement. Notre pays s’est engagé à verser 60 millions de dollars, je crois, pour matérialiser cet effort. J’ai entendu le président Macron exhorter les présidents du G5 ainsi que d’autres à conserver cette dynamique en mouvement pour que ce qui doit être fait soit réalisé dans le cadre du financement de cette force. Nous nous sentons totalement impliqués dans cet effort bilatéral.

L’objectif est d’anéantir Boko Haram et Aqmi à l’Ouest et les Shebab à l’Est de l’Afrique. Peut-on dire que les terroristes sont affaiblis ou est-ce que la menace est toujours prégnante ?

Si on lit les journaux quotidiennement, on se rend compte que les menaces persistent. Mais laissez-moi vous parler d’un concept qui fait partie de notre stratégie d’ensemble : ‘‘A travers, avec et en coordination.’’ Vous pouvez bien vous demander ce que cela veut dire. Mais dans l’entendement d’Africom, cela signifie que ce sont les opérations de combat sur le terrain qui sont conduites par les forces armées africaines elles-mêmes, que ce soit les Nigérians contre Boko Haram ou l’armée somalienne contre les Shebab. On dit ‘‘avec’’, grâce à une coopération d’Africom pour les besoins opérationnels du pays hôte : formation, équipement, conseils.  ‘‘A travers’’ signifie qu’on achève la stratégie de notre but final de manière concertée. La ‘’coordination’’, c’est  la relation de coopération qui consiste à apporter notre stratégie de capacitation pour aider le partenaire à relever un défi qui lui est particulier. La finalité, ce n’est pas le commandement, mais paix, prospérité et sécurité en Afrique. Nous le faisons de plusieurs manières. 

Notre commandement de combat s’occupe de la chose militaire. Mais nous savons tous que l’instrument martial n’est qu’un instrument de pouvoir parmi tant d’autres et donc nous travaillons avec le département d’Etat, l’Usaid pour promouvoir l’approche 3 D : défense, diplomatie et développement. Nous voulons être sûrs d’utiliser à bon escient les outils à notre disposition pour promouvoir le développement en Afrique, c’est notre objectif. J’en veux pour exemple votre pays le Sénégal. J’ai été le chef de la logistique, précédemment, de 2014 à 2016. Je suis arrivé alors que l’épidémie d’Ebola sévissait dans la sous-région ouest-africaine. J’étais débordé comme vous pouvez l’imaginer, car j’avais beaucoup de matériels à faire acheminer sur le contient. Le Sénégal, un de nos partenaires, a été utilisé comme base pour acheminer des provisions et réserves pour le pays qui en avait besoin. C’est justement ces relations solides qui nous permettent d’arriver et de pouvoir juguler un problème dès qu’une crise éclate. Pour le cadre juridique, nous obéissons à la loi sur les conflits.

Quels sont les effectifs dont vous disposez pour mener ces actions à bien ?

Nous avons cinq à sept mille Américains privés, civils et militaires. Et nous sommes très heureux d’avoir toutes les composantes navales (Navaf), terrestres (Usaraf), aériennes (Afaf) et les Marines (Maraf) pour le commandement unifié de l’Afrique. Trois de ces composantes sont partagées avec le commandement pour l’Europe. Chacune de nos composantes a des types d’exercices pour le continent, car plusieurs forces de plusieurs pays partenaires sont invitées. Nous avons aussi un commandement subordonné pour les opérations spéciales. Depuis que je suis là, nous avons fait des progrès avec nos partenaires africains, les choses sont dans une dynamique positive.

Pourquoi le choix de Stuttgart pour abriter le commandement unifié d’Africom ?

C’est une question qui revient tout le temps. Si l’on considère l’histoire de notre naissance (Africom), nous faisions partie de l’Eucom, le commandement pour l’Europe. C’est le président Bush qui a décidé, en 2007, que nous devrions créer un pour l’Afrique. Ce qui était assez fondé, pour pouvoir  rester proche. La majorité des commandements américains ont leur siège aux Usa. On est à l’avant en Europe, car le décalage horaire n’est pas tellement conséquent entre les deux continents et comme je l’ai dit, les deux commandements partagent plusieurs composantes.

Il est également question d’une solution non martiale dans votre approche : la réintégration sociale. Pourquoi avoir envisagé cette option ?

On touche vraiment au cœur du problème. Nous voulons sortir les gens du terrorisme et les rendre à la société. C’est un programme désarmement, démobilisation et réintégration (Ddr). Mais, l’idée derrière, c’est de créer un environnement pour les combattants comme quoi, il n’y a aucun espoir dans  le sentier sur lequel ils se sont engagés et qu’il y a plein d’espoir s’ils décident de revenir dans la société. Il y a un leader des Shebab en Somalie surnommé ‘’Moktar le Robot’’, qui  a décidé de changer de camp. Il s’est rendu au gouvernement fédéral somalien. Le 14 octobre, il y a eu une explosion qui a tué 500 personnes et le lendemain, il a été photographié en train de donner de son sang pour secourir les blessés. Ce qui ne serait jamais arrivé s’il avait continué de combattre le gouvernement. Ça, c’est un exemple de comment sortir les gens des champs de bataille et d’en faire des agents utiles à la société.

Avec quel budget arrivez-vous à mener toutes ces actions ?

Le budget n’est probablement pas élevé. Nous faisons avec ce que nous avons. Avec Africom, nous sommes très créatifs. Comme vous pouvez l’imaginer, nous devons couvrir le globe avec des ressources limitées. Donc nous devons être capables de faire le maximum avec le budget qu’on nous donne. Quant aux perspectives, je préfère voir le verre à moitié plein. Les choses sont sur la bonne voie, dans une dynamique positive. J’ai vu la photo, dans une rencontre que je dirigeais, d’un enfant souriant qui tenait un livre les yeux tournés vers le futur. C’est tout le sens de notre action en Afrique. Apporter paix, sécurité et prospérité.

Il était question d’un ‘‘Downsiding’’ en 2008, d’une diminution des installations sur le continent. Qu’en est-il actuellement, en 2017 ?

Je ne sais pour 2008, mais je sais ce qui existe en 2017 et ce qui est prévu pour l’an prochain : une réduction. Notre zone de responsabilité sur le continent, nous avons deux camps opérationnels dont le Camp Lemonnier à Djibouti. On a d’autres installations appelées Csl, comme à Dakar. On en avait douze dans le continent, mais ils sont présentement réduits à dix. Nous avons des emplacements de contingence réduits de 32 l’an dernier à 20  cette année. Si on en revient au partenariat, c’est très intéressant d’avoir des camps avancés comme ce fut le cas au Sénégal avec Ebola. Si nous devons nous déplacer et opérer dans un pays qui n’en dispose pas, nous en construisons. C’est pourquoi ça change tout, de temps en temps, chaque année.   

OUSMANE  LAYE DIOP (STUTTGART)

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