Publié le 11 Aug 2015 - 05:08
LA CHRONIQUE D’ABDOU SALAM KANE

La République, notre mère à tous !

 

Des vertus domestiques et particulières aux vices généraux et inexpiables ... Qui mènent aux pires calamités publiques. C’est tout un monde, croit-on, un univers entier et ce n’est jamais, pourtant, que l’épaisseur qui sépare les deux pages de couverture d’un simple bouquin ! La générosité par exemple est une vertu éminente mais qui peut très facilement, tourner en défaut et devenir de la prodigalité si ce n’est un vrai crime lorsqu’elle s’exerce, en dehors de toutes règles, et à partir de fonds publics. Ainsi reconnaît-on à Abdoulaye Wade, même si l’on n’est pas de son bord ou même qu’on le déteste, une générosité sans bornes et sans égal, vraiment.

Il ne savait pas dire ‘’non’’ et quant il disait ‘’oui’’ c’était par millions et millions qu’il fallait, à chaque fois compter. C’est là, une qualité éminente mais, dans des limites, quand même, raisonnables et dans le privé seulement ! Car si cela devenait déraisonnable et même dans cette sphère purement privée, la faillite personnelle ne pouvait guère manquer d’être fatale au rendez-vous de tant de profusion ! Pour ne pas parler de la sphère publique où la faillite de l’Etat ou le délabrement de ses finances serait la cause d’un bouleversement général et la misère assurée pour des millions et des millions de personnes innocentes, de paisibles citoyens et d’entreprises industrieuses et performantes.

Ce n’était pas pour rien et vous pouvez nous en croire, que l’ancien Président annonçait, à qui voulait l’entendre, que les salaires ne seraient plus payés, au bout de quelques mois, s’il nous venait à l’idée de ne pas le réélire en 2012. On ne l’a pas réélu, les fonctionnaires sont toujours payés mais… Mais il y a des mouvements partout et chaque jour, dans la fonction publique. Les corps, les segments, les corporations revendiquent et tous à qui mieux -mieux et, dans la plupart des cas, je l’ai dit, à très juste titre. Car, la prodigalité de Wade qui est à l’œuvre là, si elle fut réelle, n’en était pas moins sélective, arbitraire et brouillonne !

 A diplôme égal, salaire égal fut une des revendications-phares des années d’après-guerre face au pouvoir colonial en AOF. Par quelle aberration peut-on en débattre soixante-cinq ans après ou seulement l’évoquer aujourd’hui ! Par le passage d’Abdoulaye Wade à la tête de notre Etat.

Une autre vertu domestique malmenée par l’usage qu’en a fait notre ancien Président est l’amour paternel. Chacun aime ses enfants et ce n’est même pas louable tant c’est inné, naturel et tellement nécessaire à la survie des espèces, que l’animal le moins évolué de la création en est, comme nous, doté. Cela va si bien sans dire que chacun, pour sa propre progéniture, ne veut que le meilleur qui soit : protéger ses petits et assurer leur avenir et le plus brillamment possible, tel est le rôle et le destin de tout parent en ce bas-monde.

Mais voici que même cette vertu particulière si utile à tous et si nécessaire et sublime, parfois comme lorsque le pélican ‘’lassé d’un long voyage’’ et revenu de sa pêche bredouille dut s’ouvrir le poitrail afin de donner, pour becquée à sa couvée son propre cœur ensanglanté ! Voici donc que cette sublime vertu Wade va la transformer en vice inexpiable et rédhibitoire. Il aime son fils ; l’amènerait-il même qu’il n’aurait pas le droit de vouloir, coûte que coûte, nous l’imposer comme son successeur, je ne dis même pas possible, mais immédiat et de son vivant s’il vous plaît ! Et de s’être entêtés tous les deux, il leur en a déjà beaucoup cuit mais, peut-être, n’est-ce pas encore fini !

Si cependant Abdoulaye Wade a tant insisté dans son projet dynastique, ce n’était certainement pas et alors pas du tout parce qu’il manquait d’intelligence ou de perspicacité. Car, en ces domaines, comme en certains autres aussi, Dieu l’avait très abondamment pourvu ! Non il avait simplement oublié ceci que le pire peut toujours arriver et c’est ce qui advint. Il comptait sur le nombre vraiment incalculable d’obligés, d’amis, de clients que sa proverbiale prodigalité lui avait constitués. Mais au jour et à l’heure où ils étaient attendus, ceux-ci s’étaient inscrits aux abonnés absents. Parmi les premiers, ils avaient vu le vent tourner or ils n’étaient, eux-mêmes, que de simples girouettes.

Là où je veux en venir, c’est qu’il ne s’agit pas de refaire l’Histoire mais de la faire, là, maintenant ! La fidélité en amitié, la reconnaissance, la gratitude pour services rendus, tout ça est bel et bon !

Tout cela est, non seulement louable mais, encore, fortement recommandé à tout homme de bien et à tout homme d’honneur. Pourvu seulement que jamais cela n’en vienne à polluer la sphère publique, la ‘’Res publica ! La chose publique. Ce sont des vertus domestiques en effet et elles y sont éminentes et sacrées qu’elles y restent donc et y demeurent à jamais. Parce que le fait que des gens aient aidé tel ou tel autre à devenir Président ou à être sacré roi n’implique pas que quelque allégeance que ce soit puisse leur être due. Ce que les gens oublient ou feignent d’oublier, c’est le fait bien simple : c’est que c’est à la nation que l’allégeance est due et que c’est le peuple dans son ensemble et à travers sa représentation qui l’incarne.

Et ce ne sont pas de simples mots là. Car un groupe de députés, si important puisse-t-il être, ne sera jamais l’Assemblée nationale qui est, elle, la réunion formelle et dûment convoquée, de tous les députés. De la même manière, aucun parti, fût-il ultra-majoritaire, ne peut et ne doit avoir la prétention de dire ou de seulement croire que l’Etat, c’est lui et qu’il lui appartient car rien ne serait plus faux et plus dangereux pour la République, notre mère à tous !

Et nous voici là au cœur du problème au cœur même du grand drame de Décembre 1962 !  Il y avait quelque problème politique entre Senghor et Dia certes mais beaucoup plus, à la base, entre leurs écuries respectives. Mais le vrai problème était lui culturel parce que lisant les mêmes textes, ils en avaient des lectures et des compréhensions différentes. Ainsi quand Senghor exhibait la lettre du texte constitutionnel, Dia lui convoquait un esprit, une pratique qui existaient ou avaient pu exister mais sans autre fondement que sa propre parole.

Tous les députés étaient UPS, sauf un : Me Boubacar Guèye. Une majorité d’entre eux a signé et déposé une motion de censure dans les conditions prévues par la loi. Le Président Dia, contre qui cette procédure était dirigée, a jugé que le parti, auquel tous appartenaient, devait être interrogé avant le vote prévu sous 48 heures francs. Le parti n’ayant pu se prononcer avant l’ouverture de la séance de l’Assemblée à l’heure prévue, le Président Dia a envoyé la troupe pour chasser les députés non sans en interpeller 4 ou 5 qui avaient fait mine de résister. Les autres parlementaires se sont alors transportés au domicile de leur Président, Boulevard de la République et ont renversé le gouvernement puis fait une loi confiant le pouvoir exécutif au Président Senghor ; en attendant l’élaboration d’une nouvelle constitution.

Nous n’en sommes heureusement pas là mais revisiter le passé et avoir la même compréhension des mêmes textes, des mêmes contextes et des mêmes valeurs est souvent nécessaire pour mieux assurer le présent afin de nous construire un avenir toujours meilleur ! 

 

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