Publié le 12 Oct 2015 - 11:12
LA CHRONIQUE D’ABDOU SALAM KANE

Mourir à Mina 

 

Il est entendu, chez tous les croyants musulmans, que perdre la vie en état de sacralisation, ‘’d’Ihram’’ selon le terme arabe consacré, est une vraie bénédiction. Parce qu’une place au Paradis vous serait, d’office, acquise ! Quelque enviable que puisse paraître un tel sort, il est loin d’être l’objectif premier des fidèles qui entreprennent un pèlerinage à La Mecque. Ils obéissent à une prescription religieuse certes mais c’est bien là tout : tout musulman se doit, s’il en a les moyens, d’aller au moins une fois dans sa vie faire un pèlerinage à La Mecque.

On ne va pas donc à la Mecque pour y mourir. Et même, bien au contraire ! Car le titre de Hadj ou de Hadja que l’on acquiert une fois que l’on en est revenu est un  marqueur social de toute première grandeur. Pour nous qui sommes situés à plusieurs milliers de kilomètres de l’Arabie, c’était comme une auréole de sainteté et plus encore peut-être, car celle-ci nous aurait été décernée de notre vivant même. Ce qui est gratifiant au possible. Le prestige ainsi acquis et gagné au prix fort par le pèlerin heureux rejaillit sur toute sa famille. Les innombrables sacrifices tant physiques que pécuniaires s’en trouvaient ainsi grandement récompensés.

Qu’est-ce cela, cependant, si on le rapporte à la certitude d’aller directement au Paradis et pour l’éternité des siècles si on me permet de le dire ? Cela ne concerne que le pèlerin et le pèlerin tout seul car, pour sa famille et les siens, au sens le plus large, les yeux seuls leur resteraient : des yeux pour pleurer leur Hadj défunt !

On touche là le cœur du problème : ces morts au pèlerinage, c’est, pour les croyants, Dieu qui les a rappelés à Lui pour les mener, directement, en son Paradis, c’est-à-dire pour leur plus grand bien en tant que musulmans ! Mais, ce rappel à Dieu aura été si subit et violent que les proches de ces défunts, tout croyants qu’ils fussent eux-mêmes, n’en ont pas encore fini de se désoler, de se lamenter et de pleurer toutes les larmes de leur pauvre corps. C’est là que la politique doit intervenir : Il ne s’agit pas, bien sûr, de prétendre vouloir empêcher Dieu de faire ce qu’Il veut, quand Il le veut et où Il le veut mais, de faire en sorte de n’avoir soi-même et au niveau où l’on est placé rien à se reprocher quant à ce qu’on devait faire. Ce n’est pas rien, ce n’est pas négligeable !

Dès lors en effet que les autorités, qu’elles soient saoudiennes ou sénégalaises, les administrations publiques, les opérateurs privés et les pèlerins eux-mêmes, ont fait en conscience tout ce qu’ils  devaient faire, le reste appartient à Dieu et à Lui Seul. Mais l’adage ne le dit-il pas, lui-même ?  ‘’Aide-toi et le Ciel t’aidera.’’ Dans cette tragédie, tout le monde a-t-il tout fait bien comme il faut ? On peut en douter.

Certains prétendent que les Saoudiens seraient à l’origine de tout pour avoir détourné le flux des pèlerins de la voie qui leur était réservée, afin de permettre à l’un de leurs princes d’accomplir, en toute quiétude et confort, le rituel de lapidation : ‘’Jamra’’. Mais Dieu Seul Sait ce qu’il en est vraiment. Par contre, pour le décompte des morts, on peut observer avec quelle fantaisie et quelles approximations il a été communiqué. Au jour d’aujourd’hui, on ne sait pas encore, avec exactitude, le nombre de pèlerins décédés ainsi que leur nationalité. L’on ne parle plus de quelques centaines comme aux premiers jours mais de 1700 à 2000 morts. Dans les mêmes proportions, en somme, que chez nous ici au Sénégal où l’on est passé de quelques unités à plusieurs dizaines maintenant.

Cela n’est pas admissible dans un Etat bien réglé. Car la bonne information avait été ou retenue (par les Saoudiens ?) ou indisponible. Si elle avait été mise ‘’sous embargo’’ par les autorités locales, on ne pouvait rien y faire sauf qu’une bonne organisation interne aurait pu informer les responsables à tout instant sur qui était présent et quel pèlerin manquait à l’appel. Ainsi aurait-on pu rapidement savoir où l’on en était vraiment.

Notre administration du pèlerinage n’est plus, et il faut bien le dire, ce qu’elle était. Mais notre pays aussi ! Ce n’est pas une raison, pourtant, pour éviter de se pencher dessus et d’essayer de voir comment l’on pourrait aujourd’hui améliorer le pèlerinage, le rendre plus performant. Au fil des ans, le commissariat au pèlerinage a perdu aussi bien de son lustre que de son prestige sinon de son pouvoir et de sa capacité de coordination. La quasi-privatisation du pèlerinage, si elle répondait à l’air du temps en matière de libéralisation économique, a conduit cependant à une dilution complète de ses responsabilités. Responsabilités qui remontaient pourtant aux temps des Gouverneurs généraux de l’AOF.

Chaque opérateur privé, aujourd’hui, dès lors qu’il a été agréé, ne regarde et donc ne voit plus midi que devant sa propre porte ! Au lieu ainsi que tout fût réglé comme du papier à musique, les opérateurs se débrouillaient chacun comme il pouvait, les uns bien et quelques autres moins bien mais, c’est la loi de la concurrence ! Les autorités se sont mises à suivre et comme à la remorque au lieu que de donner, en même temps que le ‘’la’’, les bonnes informations à propos du nombre de nos morts et des conditions exactes de leur trépas ainsi que la date de celui-ci. Afin que les familles éplorées puissent faire enfin leur deuil.

Si pour des questions de principe ou d’idéologie l’on ne peut plus revenir sur la privatisation du pèlerinage à La Mecque, la tragédie de Mina nous montre amplement cependant, qu’au plan de l’efficacité pure, la sienne (à la privatisation) est bien plus que sujette à question. Or, c’était pour rendre cette efficacité optimale que la privatisation avait été, non seulement prônée mais encore mise en œuvre de manière résolue. C’est pourquoi il y a lieu, peut-être, de remettre un peu plus d’Etat, c’est-à-dire une tutelle moins lâche que celle qui s’exerce aujourd’hui entre le commissariat et les opérateurs privés. Gagner de l’argent, c’est bien mais sauver des vies n’est pas mal non plus !  

 

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