Publié le 27 Feb 2021 - 21:52
LEVEE DE L’IMMUNITE PARLEMENTAIRE DE LEADER DE PASTEF

Ousmane Sonko livré au juge d’instruction 

 

Le dernier obstacle à l’audition, ou plus, d’Ousmane Sonko a été franchi, hier, grâce à l’Assemblée nationale. Le député ne jouit plus d’une immunité parlementaire. Une décision dont les députés de l’opposition et des non-alignés ont boycotté le vote.

 

« C’est ainsi qu’au regard du caractère sérieux de la saisine, des documents soumis et des accusations graves contre le député Ousmane SONKO, la Commission ad-hoc a adopté, à une très large majorité, la décision de recommander à la séance plénière de l’Assemblée nationale, de lever l’immunité parlementaire du député Ousmane SONKO, pour permettre à la justice de poser les actes, de conduire les procédures et d’appliquer les dispositions de la loi pour aboutir à la manifestation de la vérité sur cette affaire ». Comme une lettre à la Poste, les députés de la majorité ont suivi ces recommandations contenues dans le rapport de la commission ad hoc mise en place, la semaine dernière, pour statuer sur la levée de l’immunité parlementaire du leader de PASTEF-Les patriotes.

En séance plénière, par 98 voix contre une (Mansour Sy Djamil) et deux abstentions (Marème Soda Ndiaye et Théodore Chérif Monteil), ils ont adopté la levée du dernier obstacle à la convocation du député accusé de viol et de menaces de mort par la masseuse Adji Sarr. Les autres députés et des non-inscrits ont boycotté le vote de la plénière.

Foire d’empoigne

Cette dernière, tenue à huis clos, restera dans les annales de l’Assemblée nationale. Si les alentours de l’hémicycle ont été quadrillés par les forces de l’ordre, à l’intérieur de l’institution parlementaire, le président de l’Assemblée a eu toutes les peines du monde à maintenir une cordialité entre les députés des différents groupes parlementaires. A chacun, son interprétation du règlement intérieur. Soit pour fustiger la procédure menant à la plénière, soit pour la dédouaner.

Membre démissionnaire de la commission ad hoc, Moustapha Guirassy est dans le premier camp. Lors de son passage au sein de ladite commission, rappelle le député du groupe parlementaire Liberté et démocratie, « l’on nous a demandé d’examiner la levée de l’immunité parlementaire d’un collègue député. Un privilège confié par le peuple pour faire respecter la démocratie. Notre mission, contrairement à ce que beaucoup de députés n’ont pas compris, est une mission d’investigation, de compréhension, d’examen et d’instruction pour statuer s’il faut lever l’immunité parlementaire d’un collègue. Il y a eu obstruction du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, lorsqu’on vise les articles 37, 39, 40, 44, 45, 52 ».

Moustapha Guirassy : ‘’L’Assemblé s’est couchée’’ 

A titre d’exemple, l’ancien maire de Kédougou invoque l’article 37 qui, selon lui, fait obligation de mettre à disposition des membres de la commission les documents nécessaires à leur prise de décision. L’article 40, dit-il, précise qu’en cas de vacance, il faut obligatoirement faire remplacer les députés démissionnaires. Ou encore, l’article 44 qui soutient que la commission peut entendre n’importe quelle personne, lorsqu’elle la juge nécessaire. « On nous a refusé d’entendre quelqu’un d’autre que Ousmane Sonko, pour mieux comprendre ce qui s’est passé autour de ce dossier. D’autres personnes ont été citées dans le PV, nous voulions les entendre pour ne pas exécuter mécaniquement tout ce que l’on nous demandait. Nous  avions une occasion extraordinaire de donner de la fierté à ce parlement. On l’a raté et l’Assemblée s’est couchée ».  

En fin de compte, la commission ad hoc n’a entendu personne. Le principal concerné a refusé de recevoir la lettre d’invitation pour audition n°001/2021 du 19 février 2021 de la commission, envoyée par le biais d’un gendarme de l’escadron motocycliste de la gendarmerie en service à l’Assemblée nationale. Celui-ci a rapporté, d’après le rapport de la commission ad hoc, être « arrivé au domicile de Monsieur le Député Ousmane SONKO sis à la cité keur Gorgui à 17h 20 minutes. J’ai été reçu par ce dernier dans son salon. Je lui ai remis le colis qu’il a refusé de prendre, après avoir vérifié le contenu du registre de décharge. »

C’est fort de cela que le président de la commission ad hoc, Pape Biram Touré, s’est dit surpris d’apprendre, dans la presse, que des députés ont soutenu « que pendant que nous étions en commission, nous avons envoyé une convocation à Ousmane Sonko. Ce qui est faux, le gendarme n’est parti que 2 heures après la commission ».

Pape Biram Touré : « Le gendarme est parti chez Sonko, 2 heures après la commission » 

Sur les procédures, la capacité de la commission à entendre d’autres individus que le député visé, Pape Biram Touré a lui aussi invoqué le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, soutenant que « c’est l’article 13 qui parle des commissions ». Ce qui n’est pas exact. Après vérification, l’article du règlement intérieur de l’Assemblée nationale parle plutôt de la composition du bureau de l’Assemblée nationale.

D’après le rapport de la commission ad hoc, lors de sa réunion du vendredi 19 février 2021, le Président a annoncé que les membres qui souhaitent prendre connaissance des documents composant le dossier d’accusation pouvaient le faire sur place, dans son bureau. Ceci pour garantir la confidentialité requise et respecter les exigences à préserver le secret des travaux de la Commission ad-hoc. C’est pourquoi, il a fait la proposition de permettre aux membres de la Commission qui le souhaitent de consulter tous les documents à l’issue de la réunion jusqu’à seize heures et le lendemain samedi 20 février 2021, de dix heures à seize heures. 

Ce refus de laisser des membres de la commission disposer des éléments du dossier a, entre autres raisons, poussé les représentants de l’opposition et des non-alignés à démissionner de la commission ad hoc. Mais, le président est resté sur sa position, le justifiant par le fait que « ces documents sont des parties d’une instruction judiciaire confidentielle. Nous ne pouvons les diffuser ». Quant au droit de convoquer la plaignante, Pape Biram Touré oppose : « Nous sommes une Assemblée nationale, nous relatons des affaires de lois. L’instruction relève des affaires judiciaires. Nous n’avons aucun pouvoir pour convoquer Adji Sarr ».  

Me Malick Sall : « Je peux vous garantir que cette affaire n’a pas fait plaisir au Président »

Depuis l’éclatement de cette affaire, le président de la République a été désigné par le député Ousmane Sonko comme l’instigateur d’un complot politique visant à le neutraliser. De sorte que le président Macky Sall, interrogé sur la question, a indiqué qu’il n’était point  lié à cela. Devant les députés, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux est allé dans ce sens. Selon Me Malick Sall, « dans cette affaire, c’est moi, à titre personnel, en tant que Garde des Sceaux, qui a informé le chef de l’Etat. Nous étions en conseil des ministres. J’ai reçu un message du procureur général qui m’a envoyé la copie de la plainte déposée à la gendarmerie. J’ai immédiatement transféré cette information au chef de l’Etat. Et je peux vous assurer que sa réaction était une réaction de désolation et de compassion. Il m’a dit : ‘’à son pire ennemi, on ne souhaiterait pas cela’’. Je peux vous garantir que cette affaire n’a pas fait plaisir au président de la République ».

Et malgré cela, a poursuivi le ministre, Macky Sall ne peut s’immiscer dans le travail de la justice. Ainsi, selon le Garde des Sceaux, celle-ci a respecté toutes les procédures. Dans ce dossier, souligne Me Malick Sall, une plainte a été déposée à la gendarmerie qui a fait son travail, en interrogeant toutes les parties concernées. « Lorsqu’elle a demandé à interroger Ousmane Sonko, ajoute-t-il, il a fait part de son privilège de député. Ce que la gendarmerie ne peut pas ignorer. Elle a remis l’enquête au procureur qui, à son tour, a saisi un juge d’instruction. C’est ainsi que ce dernier a demandé à entendre le député Ousmane Sonko. Sachant qu’il est protégé par son immunité, il a procédé par des voies autorisées, à une demande de mainlevée, en passant par le président de l’Assemblée nationale. La règle veut que cette demande passe par le procureur qui le transfert au procureur général ; ce dernier l’a transféré au Garde des Sceaux ; et le ministre de la Justice la transmet au président de l’Assemblée nationale. Ce n’est que cela qui a été fait ».

Aïda Mbodj contredit le ministre et sermonne Moustapha Niasse

Désignée pour représenter Ousmane Sonko, malgré l’absence de saisine officielle du président de l’Assemblée nationale, la député Aïda Mbodji a souligné une incohérence sur les confidences du ministre de la Justice, par rapport au ressenti du président de la République. En effet, l’ex maire de Bambey s’est étonné du timing de l’annonce de Me Malick Sall de la plainte au chef de l’Etat. « Je ne sais pas au cours de quel conseil des ministres vous avez donné la nouvelle au président de la république. Mais, le 9 février (journée lors de laquelle le ministre a été saisi par la lettre du procureur) était un mardi. Ce n’est pas un jour de conseil, car celui-ci se fait les mercredis », a-t-elle déclaré.

Ce faisant, « l’avocate » a rejeté la procédure utilisée jusqu’à la levée de l’immunité parlementaire. Cela en deux temps. Premièrement, elle a soutenu que « la procédure de saisine de notre institution s’est faite en violation flagrante de l’article 71 du code des procédures pénales. Celui-ci stipule que la saisine de l’Assemblée aux fins de levée de l’immunité parlementaire d’un député se fait sur le réquisitoire introductif du procureur de la République. Or, dans le cas qui nous concerne, ce réquisitoire ne vise aucunement notre collègue Ousmane Sonko, mais X. C’est dire que nous n’avons en réalité aucune base légale pour lever son immunité ».

En second lieu, Aïda Mbodji a préféré pointer du doigt le président de l’Assemblée nationale. A Moustapha Niasse, elle a déclaré : « Je vous saisis personnellement pour déplorer que votre expérience personnelle et politique ne vous ait pas amené à exiger que la procédure de levée de l’immunité parlementaire respecte le règlement intérieur de l’Assemblée nationale ». 

Déplorant que l’actuel Exécutif batte le record de levée d’immunités parlementaires, celle qui est surnommée la lionne du Baol a appelé ses collègues à « refuser que notre auguste institution soit utilisée à des fins de règlement de compte politique ». Cela, avant d’intégrer le camp des boycotteurs du vote de la plénière décrite comme « une des périodes les plus sombres de son histoire ».

Réactions …

Serigne Cheikh Mbacké, président groupe liberté et démocratie

« C’est une honte d’avoir des députés pareils à ceux de la majorité. Quand tu leur parles de la  parole du Seigneur, ils vont te huer. Mais lorsque tu leur parle de Macky Sall, ils écoutent religieusement. Tout ce qu’ils leur amènent, ils le votent sans réfléchir. S’il leur demande de couper la tête de quelqu’un, ils le feront sans pitié. Les Sénégalaises doivent revoir la façon d’élire les parlementaires ».

Mously Diakhaté, député de la majorité

« On s’attendait à ce qu’il (Ousmane Sonko) démissionne lors de sa déclaration d’hier (jeudi). C’est ce qu’il aurait dû faire. Il doit du respect aux institutions du pays s’il veut briguer les suffrages des Sénégalais. L’Assemblée n’est pas bonne, les magistrats ne sont pas bons, Macky Sall n’est pas bon, les députés sont des vauriens, les gendarmes n’ont pas le droit de faire quelque chose, la police est en train de torturer etc. Quelqu’un qui aspire à devenir président ne doit pas avoir une telle posture ».

Mansour Sy Djamil, député

La charge de la preuve, c’est l’accusateur qui doit l’amener. Le 31 décembre, le président de la République a reconnu qu’il y a des dossiers qu’il bloque pour éviter l’embrasement du pays et la mort d’hommes. J’ai la faiblesse de croire que cette affaire en fait partie. On sera tous perdant dans cette histoire et encore plus le peuple sénégalais. J’ai fait 9 ans ici avec Ousmane Sonko et je ne lui connais que compétence et sérieux. C’est  pourquoi je lui ai apporté mon soutien. 


Composition du dossier d’accusation justifiant la levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko par l’assemblée nationale

1) la lettre N°000059 MJ/SP du 09 février 2021 du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice adressée à son Excellence Monsieur Moustapha NIASSE, Président de l’Assemblée nationale et transmettant « la demande de levée de l’immunité parlementaire de Monsieur le Député Ousmane SONKO formulée par le Procureur de la République, demande transmise par le Procureur Général près la cour d’appel de Dakar au Garde des sceaux Ministre de la justice » ;

2) la lettre du Procureur Général près la Cour d’Appel de Dakar, lettre N°000005/PGDK du 09 février 2021 adressée au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice pour transmettre la demande de levée de l’immunité parlementaire de Monsieur le Député Ousmane SONKO ;

3) la demande motivée du juge d’instruction du 8éme Cabinet du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, en date du 09 février 2021, portant sur la levée de l’immunité parlementaire Monsieur le Député Ousmane SONKO;

4) Le procès-verbal d’enquête préliminaire n°078 du 05 février 2021 de la Section de recherches de la Gendarmerie nationale de l’Affaire Ousmane SONKO contre Adji SARR auquel sont annexées les pièces suivantes :

1. Procès-verbal de synthèse ; 2. Procès-verbal d’audition de Madame Adji SARR ; 3. Procès-verbal d’audition de Madame Aïssata BA ; 4. Procès-verbal d’audition de Monsieur Ibrahima COULIBALY ; 5. Procès-verbal d’audition de Monsieur Sidy Mouhamed MBAYE ; 6. Procès-verbal d’audition de Madame N’dèye Khady NDIAYE ; 7. Procès-verbal de mise en présence entre Adji SARR et Aïssata BA ; 8. Procès-verbal de mise en présence entre Adji SARR et N’dèye Khady NDIAYE ; 9.

Copie de la plainte de Madame Adji SARR ; 10. Copie de la réquisition à personne qualifiée (examen d’Adji SARR) ; 11. Copie de l’agrément de Madame N’dèye Khady NDIAYE (Sweet Beauté) ; 12. Copie du rapport médical suite à la consultation d’Adji SARR 13. Copie de l’attestation médicale concernant la fille de N’dèye Khady NDIAYE ; 14. Copie de l’accusé de réception de la convocation d’Ousmane SONKO ; 15. Copie du courrier du collectif des avocats d’Ousmane SONKO.


Mame Diarra Fam, la véritable élue du peuple

La démocratie sénégalaise est-elle menacée ? La liberté de la presse ? Si les Sénégalais ont pu suivre la plénière qui a mené au vote de la levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko, ils le doivent à la ténacité d’une élue du peuple. La député de la diaspora Mame Diarra Fam a retransmis en direct sur les réseaux sociaux la rencontre qui s’est tenue hier à l’Assemblée nationale. La seule manière pour les Sénégalais d’user de leur droit à l’information, puisque la presse a été empêchée à d’accéder à l’hémicycle. Même des chaînes de télévisions et de radios ont repris son signal pour avoir des informations sur le déroulé des activités de la plénière.

Devant l’insistance du président de l’Assemblée nationale qui a été mis au courant de la retransmission, Mame Diarra Fam a pris toutes ses responsabilités, l’assumant haut et fort devant ses collègues. Moustapha Niasse avait sommé la député d’arrêter son live, rappelant le huis clos des débats. Ce à quoi elle a répondu : « A plusieurs reprises, des députés ont fait des directs des plénières sur les réseaux sociaux. Je prends toutes mes responsabilités ».

Pendant ce temps, les journalistes ont été parqués devant l’Assemblée nationale par les forces de l’ordre, interdits d’accéder au bâtiment dans lequel des représentants du peuple enlevaient la protection que confère ce peuple à un des leurs. Dans une note, le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS) a dénoncé « avec la plus grande énergie la décision de la conférence des présidents de l’Assemblée nationale de ne pas prévoir l’accès des journalistes pour un jour aussi important que ce vendredi, 26 février ».

Pour les syndicalistes des médias, « l’accès à l’Assemblée nationale ce jour est une obligation professionnelle. A défaut, l’accès aux débats doit être assuré, malgré le contexte de Covid-19. Faire un live (direct) via les RS (réseaux sociaux) ou à défaut exiger que la RTS fasse un direct accessible à tous ». D’autant plus que qu’« une levée de l’immunité parlementaire d’un député est un événement essentiel, et le public a le droit de suivre tous les débats ».

Ainsi, la député du peuple a encore séduit le peuple et posé un acte symbolique et historique dans l’histoire de l’Assemblée nationale. Avec plus de 200 000 vues sur Facebook, dont plus de 20 000 ont suivi le direct, Mame Diarra Fam a permis à un droit démocratique élémentaire de survivre : l’accès à l’information. Bravo honorable !

Lamine Diouf

 

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