Publié le 23 Oct 2020 - 19:34
ME MORY DOUMBOUYA (GARDE DES SCEAUX GUINEEN)

‘’Il faut faire cesser les violences à tous les niveaux’’

 

Chaque mort met l’autorité de l’Etat dans une situation ‘’d’amertume’’, selon le ministre de la Justice guinéenne. Maitre Mory Doumbouya, qui s’exprimait hier, en marge d’une rencontre avec les ambassadeurs accrédités à Conakry, affirme qu’il faut faire cesser les violences à tous les niveaux.

 

Même s’ils ont été moins nombreux que le mercredi, les Guinéens de Dakar se sont réunis hier, dans l’après-midi, devant les locaux de leur ambassade, pour réclamer la victoire de leur candidat Cellou Dalein Diallo, à l’élection présidentielle du 18 octobre dernier, face au président sortant Alpha Condé. Les forces de l’ordre ayant quadrillé la zone à la suite de la manifestation du mercredi après-midi, elles ont usé de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants qui ont jeté des pierres pour déverser leur colère.

Mais à Dakar, aucun mort, ni arrestation n’ont été signalés durant ce mouvement. Ce qui n’est pas le cas dans la capitale guinéenne. Des vidéos montrant des Guinéens gisant à même le sol et ayant reçu des balles réelles circulent sur Internet. C’est dans le cadre de manifestations de jeunes qui ont barré des routes, brûlé des pneus pour réclamer la victoire de Cellou Dalein Diallo et le départ d’Alpha Condé que certains ont succombé.

Pourtant, la presse locale n’a rapporté aucun mort. Cependant, des sources officielles ont affirmé que les violences ont occasionné neuf morts à Conakry.

Interpellé hier sur la question, en marge d’une rencontre avec les ambassadeurs accrédités à Conakry, le ministre de la Justice de la Guinée, Me Mory Doumbouya, a déclaré que personne ‘’n’éprouve du plaisir à se réjouir’’ de la mort d’un Guinéen. ‘’Chaque cas de mort met l’autorité de l’Etat dans une situation d’amertume. Mais il faut faire cesser les violences à tous les niveaux. D’abord, nos condoléances. Et ces condoléances ont été officiellement présentées par le ministère de la Sécurité et réitérées ici par le gouvernement. Le moment venu, comme nous l’avons toujours fait, des enquêtes seront ouvertes et des procédures régulières seront mises en place avec la collaboration et la participation de la communauté internationale, de nos compatriotes, des parents des victimes. Des dispositions seront prises pour que les cours et tribunaux jouent leur rôle et que ces procédures soient examinées dans la plus grande impartialité’’, indique Me Doumbouya.

Le garde des Sceaux admet, certes, qu’il faut respecter la loi et garantir l’exercice des libertés. Mais il estime, en même temps, que l’ordre public doit prévaloir.   ‘’La Guinée n’étant pas une République bananière et l’Etat guinéen étant souverain, aucune velléité de déstabilisation des institutions ou de l’ordre public ne sera tolérée et l’État prendra toutes les mesures pour faire régner l’ordre et la sécurité. Ceci dans le strict respect des lois’’, assure le ministre.

Interpellé sur l’éventuelle ‘’séquestration’’ dont fait l’objet Cellou Dalein, candidat et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) à son domicile, Me Mory Doumbouya a soutenu qu’il s’agit de ‘’mesures de sûreté’’ dans l’intérêt même de ce candidat et celui de la République. ‘’Il y a des velléités de représailles des deux bords. Il y a des extrémistes des deux bords. Il est du devoir de l’Etat d’aménager des mesures de sûreté pour ne pas tomber dans un scénario à la rwandaise. Parce que nous connaissons le plan machiavélique du camp d’en face : c’est de nous amener et nous traduire dans des scénarios d’atteinte à l’intégrité physique d’une personnalité politique pour qu’on crie à des violences à relent ethnique. Mais le rôle de l’Etat est justement de préserver l’ordre et la sécurité, éviter que le pays ne bascule dans un cycle de violences’’, dit-il.

D’après le ministre de la Justice, il est du devoir et des prérogatives des officiers de la police judiciaire, lorsqu’ils sont autorisés par le procureur de la République ou les parquets compétents, ‘’d’enquêter et de traquer tout fauteur de troubles’’. ‘’Voilà ce que nous sommes en train de faire. Mais tous les fauteurs de troubles seront traqués jusque dans leurs derniers retranchements et seront mis hors d’état de nuire. Il faudrait que les règles du jeu soient claires. Nous sommes dans une situation d’enquête. Ce n’est pas devant la presse que je vais dire (…) au risque violer la loi, les éléments pertinents liés aux dispositions générales régissant les enquêtes judiciaires’’, renchérit-il.

Ablogui souligne des incohérences par rapport aux résultats de Faranah

Il existe une ‘’non-conformité’’ entre les résultats publiés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et ceux affichés dans les bureaux de vote de la région de Faranah. C’est ce qu’a révélé l'Association des blogueurs de Guinée (Ablogui) dans un communiqué reçu, hier, à ‘’EnQuête’’.

‘’Bien que l’analyse des données recueillies dans 878 bureaux de vote observés nous a révélé que la journée électorale s’est globalement déroulée dans un climat apaisé, nous constatons des anomalies dans les résultats de la circonscription électorale de Faranah. En effet, selon les résultats publiés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), 484 bureaux de vote sur 484 ont été pris en charge, soit 100 % ; 156 315 personnes sur les 156 097 ont voté, soit un taux de participation de 100,14 %’’, indique Ablogui.

D’après le document, ce taux de participation ‘’anormalement élevé’’ (au-delà de toutes les personnes inscrites, 218 autres personnes ont voté) engendre une situation de non-conformité entre les résultats publiés par la Ceni et ceux affichés dans les bureaux de vote de la région de Faranah. ‘’La dizaine de procès-verbaux des bureaux de vote de la commune urbaine que nos e-observateurs ont remontés, affichent des taux de participation variant entre 66 % à 90 %. Ainsi, nous sollicitons de la Ceni de bien vouloir apporter des explications crédibles qui fondent les résultats mentionnés ci-haut’’, demande-t-on dans le communiqué.

Pour contribuer à la promotion de la transparence, la crédibilité du scrutin et l’acceptation des résultats par tous, Ablogui rappelle qu’à l’instar de plusieurs autres organisations de la société civile, qu’elle a pleinement participé au processus d’observation citoyenne de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020. Ainsi, en collaboration avec ses partenaires, elle a déployé environ 200 e-observateurs sur toute l’étendue du territoire national, afin de veiller au déroulement et, par conséquent, disposer du maximum d’éléments pour s’exprimer sur la crédibilité du scrutin.

Afrikajom Center recommande un sommet extraordinaire de la CEDEAO

Face à la situation qui prévaut en Guinée et en Côte d’Ivoire, Afrikajom Center prône la tenue d’un sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) consacré à la crise régionale de la démocratie. Mais aussi à des élections, aux droits humains et à la gouvernance. Ceci pour diagnostiquer les causes profondes et proposer des remèdes appropriés aux pathologies et dysfonctionnements de la démocratie et des élections qui sont une menace pour la stabilité régionale. ‘’Une réforme profonde de la Commission de la CEDEAO qui semble avoir atteint ses limites dans la prévention, la gestion et la résolution des crises, particulièrement celles de la démocratie et des élections. Repenser l’observation des élections qui tourne à vide et incapable de jouer quel que rôle que ce soit dans le cadre de crises graves des élections et des droits humains comme celles de la Côte d’Ivoire et de la République de Guinée’’, préconise le centre de réflexion dirigé par Alioune Tine.

D’après lui, il urge de ‘’renforcer’’ l’indépendance structurelle, juridique et financière des organes de régulation et d’arbitrage nationaux, régionaux et internationaux qui font l’objet de contestations et de discrédits de la part de certains acteurs politiques et de la société civile, pour leur manque d’impartialité et leurs dysfonctionnements.

‘’La création d’une commission d’enquête internationale sur les violations graves des Droits de l’homme en Côte d’Ivoire et en République de Guinée ; l’impunité de certains auteurs de violations graves de Droits de l’homme en Guinée (événements du 28 septembre 2009) et en Côte d’Ivoire (événements post-électoraux de 2010) expliquent la récidive de ces mêmes violations en ce moment dans ces pays’’, lit-on dans le communiqué transmis hier à ‘’EnQuête’’. La même source sollicite la mobilisation de l’opinion africaine et internationale pour mettre une forte pression sur la CEDEAO et les leaders politiques africains, toutes obédiences confondues. L’objectif étant de faire respecter le droit à la vie, l’intégrité physique, la jouissance des libertés publiques et surtout et fondamentalement à la paix et au bien-être des Africains.

MARIAMA DIÉMÉ

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