Publié le 16 Jun 2020 - 21:07
MISE EN ŒUVRE BUDGET-PROGRAMME

Le vrai faux départ du ministère des Finances

 

Pour des imprécisions, incohérences et insuffisances manifestes, le ministère des Finances et du Budget s’est vu contraint de renvoyer sine die la mise en œuvre du budget-programme.

 

C’est une grosse désillusion qui a failli passer presque inaperçue, en ces temps de pandémie. Après avoir chanté sur tous les toits la mise en œuvre du budget-programme dès 2020, l’Etat s’est résolu à arrêter la machine en plein exercice budgétaire. Sous le couvert de l’anonymat, ce spécialiste des régies financières affirme : ‘’On a confondu vitesse et précipitation. Le plus désolant, c’est que le Trésor, connue pour être à cheval sur les textes, avait déjà commencé à mettre en œuvre ces réformes, sans aucune base légale. On a mis la charrue avant les bœufs, en mettant en place une nouvelle organisation, alors que tous les textes n’ont pas été établis.’’

Malgré les alertes qui ont été lancées par de hauts cadres des régies financières, l’Etat a foncé droit vers le but. Mais sa course a finalement abouti sur le mur. Selon nos interlocuteurs, tout a été fait à l’envers. Et pour étayer leurs propos, ils invoquent un ‘’aveu’’ du gouvernement dans le rapport de présentation du décret 2020-1006 du 30 avril 2020 relatif à la gestion budgétaire. Lequel précise sans équivoque : ‘’Un examen minutieux des principaux textes porteurs des réformes a révélé un certain nombre d'incohérences et d'insuffisances à corriger avant le basculement dans la nouvelle gestion publique.’’

De plus, informe le décret, ‘’pour permettre à tous les acteurs concernés par la mise en œuvre de la nouvelle gestion publique de disposer d'un cadre légal et réglementaire en parfaite cohérence, il s'est avéré nécessaire de réécrire les nouvelles dispositions…’’. Les services d’Abdoulaye Daouda Diallo comptent ainsi corriger définitivement ces ‘’incohérences et insuffisances relevées’’ et apporter ‘’des précisions et des compléments sur certaines innovations relatives à la gestion budgétaire et comptable’’.

De ce fait, en plus de déterminer le cadre de gestion du budget-programme, le nouveau décret prévoit les acteurs qui interviennent dans ce cadre. A cet effet, le texte introduit des acteurs comme le coordonnateur des programmes incarné par le secrétaire général, le responsable de programme et le responsable de la fonction financière représenté par le chef du Service chargé des affaires administratives et financières du ministère ou de l’institution constitutionnelle. Lesquels ne sont toujours pas nommés.

D’après le rapport de présentation fait par les services d’Abdoulaye Daouda Diallo, il faudrait plutôt imputer ce report à la pandémie de Covid-19, éclatée en mars ; soit quelques mois après le démarrage de l’année budgétaire. ‘’A titre transitoire, dispose en effet l’article 71 du décret 2020-1006, aux fins de permettre, à l’issue de la période d'urgence nationale, l’achèvement du processus de mutation organisationnelle et de transfert de compétences entre les différents acteurs concernés par la déconcentration de l’ordonnancement, il est fait recours, dans le cadre de la gestion 2020, aux procédures d'exécution budgétaire en vigueur lors de la gestion 2019’’.

Seydou Diouf, député : ‘’Les pays de l’UEMOA sont déjà trop en retard.’’

Selon notre source, il faudrait surtout retenir que l’Etat est tenu au moins de nommer les responsables de programmes avant de mettre en branle le budget-programme.  Président de la Commission en charge des finances à l’Assemblée nationale, le député Seydou Diouf apporte une précision : ‘’En fait, les budgets actuels seront exécutés en format budget-programme, avec des crédits alloués à des programmes budgétaires, à des activités... Ce qui a été reporté, c’est plutôt la déconcentration de l’ordonnancement. Elle a été différée, parce qu’il va y avoir de nouveaux acteurs qui interviennent.’’

Selon lui, il faut savoir que juste après le vote de la loi de finances, il y a eu la pandémie. Toutes les conditions qui devaient être réunies pour aller vers une déconcentration, estime-t-il, ne le sont pas. C’est pourquoi le gouvernement a dit : ‘’On exécute le budget sous format programme, mais pour ce qui concerne l’ordonnancement des dépenses, on maintient le dispositif antérieur.’’

En ce qui concerne la nomination des responsables des programmes, Seydou Diouf rappelle qu’il a été retenu de les nommer par arrêté, puisqu’ils vont dépendre du ministère. ‘’Maintenant, il fallait non seulement régler ces conditions juridiques de leur nomination, ensuite, il faut aussi les nommer. Quand on finit de les nommer, il faut comprendre que toute la gestion budgétaire qui était centralisée au niveau du ministère des Finances se retrouve dans chaque ministère sectoriel, avec ses chaines d’acteurs’’, souligne le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale.

Sur l’accusation selon laquelle le gouvernement aurait mis la charrue avant les bœufs, il rétorque : ‘’Les gens peuvent le dire. L’idéal aurait certes été que tout soit mis en place, que tous ces acteurs soient nommés avant qu’on aille vers la loi de finances. Mais il faut savoir qu’une réforme se met en place au fur et à mesure. Si on attend que toutes les conditions soient réunies, on ne va jamais démarrer. Or, les pays de l’UEMOA sont déjà trop en retard.’’  

Cela dit, le budget 2020 continuera d’être exécuté selon les procédures antérieures. En d’autres termes, tout va rester centralisé au niveau du ministère des Finances et du Budget comme si de rien n’était. Par exemple, explique le président de la Commission des finances, les services financiers des ministères sectoriels vont continuer de faire des engagements, de les faire valider par le directeur général du Budget qui va établir les mandats… Or, toutes ces fonctions devraient se retrouver au niveau des ministères et l’argentier de l’Etat n’assurerait qu’une fonction de régulation. ‘’L’avantage est que ça donne plus de liberté aux ministères. Le fait de continuer selon les anciennes procédures peut donc impacter la célérité et l’efficacité qui étaient attendues du nouveau dispositif’’.

Prévue en 2017, puis en 2020, ce report constitue le nième renvoi dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions basées sur des directives de l’UEMOA datant de 2009 et transposées dans l’ordre juridique interne depuis 2011.

MOR AMAR

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