Publié le 6 Aug 2020 - 15:50
RECONSTRUCTION A L’IDENTIQUE DU MARCHE SANDAGA

Une ‘’destruction insensée’’ de l’authenticité du monument

 

Le Collectif pour la défense du patrimoine de Dakar affiche toute sa désapprobation du projet et demande aux autorités sénégalaises de réhabiliter le bâtiment, si l’on ne veut pas qu’il perde sa valeur historique et culturelle. 

 

La capitale sénégalaise est nostalgique de ses cartes postales datant des années 60. Partout où l’histoire de Dakar a légué un patrimoine aux générations futures, les constructions ‘’modernes’’ sont en train de leur disputer un droit de survie. Mais, pour le Collectif pour la défense du patrimoine de Dakar, l’heure est venue de tirer la sonnette d’alarme. Ses membres l’ont fait savoir hier, lors d’une conférence de presse. Le prétexte étant la démolition et la reconstruction annoncée du marché Sandaga.

Membre dudit collectif, l’architecte Mamadou Berthé s’est montré formel : ‘’Je ne comprends pas comment l’on peut envisager de détruire un site aussi symbolique. Lorsqu’on connait la valeur du temps sur l’art, on ne peut pas envisager de démolir et de reconstruire, même à l’identique. Cela n’a pas de sens, puisqu’une œuvre d’art qui perd son authenticité perd toute sa valeur.’’ Un coup de gueule qui fait suite au passage des engins démolisseurs, le 2 août dernier, au marché Sandaga, détruisant toutes les cantines sauvagement installées autour du bâtiment construit en 1933 par l’Administration coloniale. L’édifice central sera aussi rasé, selon les déclarations d’Alioune Ndoye, Maire de Dakar-Plateau, avant d’être reconstruit à l’identique.     

A l’image d’un groupe de bâtiments comprenant la Polyclinique, l’hôpital Abass Ndao, le Service d’hygiène, etc., le marché Sandaga fait partie des édifices à connotation culturelle très marquée sous le sceau de l’architecture soudano-sahélienne. La preuve, pour les spécialistes, il y a eu une recherche plastique et esthétique, du point de vue culturel, d’intégration de l’art et de la technique dans le vécu quotidien des Dakarois, qui date des années 1920. Un patrimoine inestimable pour le Sénégal que le Collectif pour la défense du patrimoine de Dakar a, de plus en plus, peur de perdre.

Ces derniers disent constater ‘’depuis quelque temps une velléité de détruire tout ce qui est mémoire à Dakar’’. Ce qui se reflète, selon M. Berthé, par des décisions inopportunes qui s’appliquent bon gré, mal gré : ‘’Le fait du prince ne peut pas s’appliquer sur l’espace urbain, par excellence, lieu d’intercommunalité. Il faut s’en tenir à ce que la raison commande, à savoir enlever les cantines, mais préserver le bâtiment classé site historique. Un classement qui n’est pas du fait du prince ; il est lié à l’histoire, à la culture, à l’art et à l’esthétique. Ces bâtiments constituent l’apport du Sénégal à l’histoire de l’art et de l’architecture. A ce titre, Sandaga est un chef-d’œuvre qui mérite d’être préservé de cette façon-là.’’

La décision de reconstruire le marché est d’autant plus incompréhensible à l’architecte, expert consultant de l’Unesco pour les questions de monuments et sites historiques, que ‘’nulle part au monde, il n’existe une législation qui admet la démolition d’un monument historique pour le reconstruire, simplement parce que l’on en a envie. Les rares cas où cela est admis concernent les bâtiments totalement détruits par des catastrophes naturelles ou des accidents. Et même dans ces cas, le monument perd tout son caractère d’authenticité. Dépasser toute cette logique et tout raser d’un bâtiment qui tient debout, solide, que rien n’affecte sur ce point, ne répond à aucune logique’’.

Les interrogations sur la reconstruction du marché Sandaga sont encore nombreuses. En 2013, il avait déjà été fermé, suite à une série d’incendies. Depuis lors, des inquiétudes ont été soulevées sur la sécurité de ses occupants. Toutefois, les discussions pour sa modernisation ne semblent avoir concerné que les autorités publiques et les commerçants. Les citoyens étant laissés de côté. Ce qui amène Jean Charles Tall, un autre architecte du collectif, à pousser la réflexion encore plus loin. ‘’Nous sommes dans un domaine scientifique. Est-ce qu’il y a des rapports qui recommandent de détruire le bâtiment du marché Sandaga ? Est-ce que toutes les procédures légales ont été respectées ? Pour intervenir sur un monument historique, il faut l’autorisation de la Commission supérieure des monuments historiques. A-t-elle été saisie ? Pour détruire un bâtiment du patrimoine, il faut une autorisation de démolir. Est-ce qu’elle a été délivrée ? Y a-t-il une étude d’impact environnemental et social ?‘’ se demande-t-il.

Pour éviter de telles légèretés, sa collègue Anne Jouga suggère de revenir à l’orthodoxie : ‘’Lorsque des projets de cette envergure sont en cours, l’avis du citoyen est important. Les termes de référence auraient dû être préparés par les ministères concernés, les villes, l’Ordre des architectes. Comme cela, un concours pourra déterminer la meilleure offre.’’ En plus, conseille-t-elle, ‘’on ne peut pas passer notre temps à démolir notre histoire. On a continué ce que les colons avaient fait, en détruisant tous les quartiers traditionnels lébous de Dakar.  Aujourd’hui, on ne retrouve que des traces du passé de la capitale. Ce qui n’est pas normal.’’

La ville étant un organisme vivant, les bâtiments et édifices participent de la multiplicité du langage urbain. Moderniser oui, mais il faut déjà définir ce qu’est la modernisation. Est-ce le fait de transplanter la pensée des autres ? Ou, au contraire, une conjonction d’expériences de vie pour répondre à des problématiques d’aujourd’hui ? Pour l’artiste visuel Diba Viyé, l’architecture est une prise de parole dans la durée. Et ‘’beaucoup d’artistes ont travaillé sur la capitale sénégalaise, dans le cadre de la Biennale de Dakar, parce que cette ville joue un rôle de leader au sein du continent. Avons-nous le droit de rendre notre capitale anonyme en détruisant ce qui fait le charme de la ville, capitale de l’AOF (Afrique occidentale française) ?’’.

Les membres du Collectif pour la défense du patrimoine de Dakar, qui ont consulté les rapports de la Direction de la protection civile et d’un bureau d’expertise sur le bâtiment du marché Sandaga, retiennent que ces documents ne recommandent en aucun cas de détruire le monument. De ce fait, il devient légitime de se demander s’il n’y a pas, dans ce projet de reconstruction précipitée, anguille sous roche ? De sorte que pour Jean Charles Tall, ‘’on a l’impression que tous ces sites historiques sont visés par une démarche de prédation foncière. Ces lieux constituent les rares réserves foncières sur lesquelles il y a une mainmise de l’Etat qui peut se faire attribuer sans débourser trop d’argent.  Si cela continue comme ça, ils risquent d’attaquer la Maison des anciens combattants, le camp Lat Dior, etc.’’.

Avec le projet de construction d’un hôtel sur la plage Anse Bernard ou encore sur les cimetières des abattoirs, la liste des lieux historiques menacés est loin d’être exhaustive.

Lamine Diouf  

 

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