Publié le 13 Jan 2015 - 21:37
SOUVENIRS DE CAN…YATMA DIOP RACONTE ASMARA 1968

‘’Dans mon esprit, nous étions champions d’Afrique’’

 

Après sa première participation en 1965, le Sénégal a enchaîné une deuxième Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Et comme la précédente, les Lions ratent de peu la qualification pour les demi-finales et sortent donc dès le premier tour. Yatma Diop, âgé aujourd’hui de 71 ans, revient sur cet échec de 1968 en Éthiopie. L’ancien attaquant de l’Avenir de Dakar, du Foyer Casamance (actuel Casa Sport) et du Jaraaf de Dakar souligne, dans ce témoignage, ce qui leur a fait défaut. Pour cet informaticien de formation qui a porté le maillot des Lions pendant une décennie, la CAN 1968 sera marquée à jamais sous le sceau des regrets et des espoirs déchus pour toute cette génération. Yatma Diop, ancien attaquant, a joué en France avant de revenir au Sénégal pour terminer sa carrière en 1971.

 

 ‘’On a failli  dans la gestion  de nos matches ‘’

‘’Avec le recul,  je pense qu’on  possédait un beau groupe capable d’aller au bout de la compétition et qu’on était plus forts que les finalistes que nous avions dominés. Dans mon esprit, je me considérais comme champion  d’Afrique, car on a largement  dominé les deux finalistes. L’ossature était formée autour  d’anciens de la campagne de  Tunis 1965, trois ans plus tôt. Par ailleurs, malgré notre volonté de revanche après l’édition tunisienne, on a péché dans la gestion  de nos matches. Même si la plupart des joueurs avaient une bonne formation académique, notre apprentissage du haut niveau laissait beaucoup désirer. Cela s’est ressenti dans les matches contre le Zaïre (actuel RD Congo) et le Ghana.

 ‘’On se permettait d’attaquer même en menant au score’’.

C’est vrai, il y avait beaucoup de vétérans de la campagne tunisienne comme Cheikh Diagne, le capitaine Moustapha Dieng, Abdoulaye Diallo et Louis Babacar Camara. Mais, il nous manquait certaine maturité tactique. On se permettait d’attaquer même en menant au score. Alors que la gestion du score et du temps fait partie de la science du football. Et que même, si on disposait d’un staff compétent autour de Lamine Diack, Joe Diop et Mawade Wade, on a beaucoup péché dans la maîtrise du match. Lors du premier match, on a mené par deux fois contre les Blacks Stars (Ghana), champions en titre, avant de se faire rejoindre en fin de partie.

 ‘’Notre gardien avait cru entendre un coup de sifflet de l’arbitre’’

Pour le dernier match contre le Zaïre, nous avons été victimes de malchance. Nous pensions tenir fermement le match nul synonyme de qualification, après notre victoire sur le Congo Brazzaville (2-1) lors du deuxième match. Jusque dans les dernières minutes contre les Léopards, on tenait la qualification (1-1). Sur un dernier corner concédé par Yerim Diagne et mal tiré par les Congolais, le ballon  atterrit dans les bras de notre gardien Abdoulaye Thiam. En se relevant, il laissa tomber le ballon et l’attaquant zaïrois, qui était près de lui, en profita pour pousser le cuir au fond des cages, donnant ainsi l’avantage aux Zaïrois. Ce qui était synonyme d’élimination pour nous. Mais d’autres versions rapportent que notre gardien, croyant entendre un coup de sifflet de l’arbitre, déposa  le ballon pour le dégager et  l’attaquant zaïrois en profita. Cet épisode sonne le glas de notre épopée en Coupe d’Afrique en  1968.

‘’On préférait poursuivre nos formations académiques, plutôt que de nous engager dans une carrière professionnelle’’.

Sincèrement, je pense qu’on avait un bon groupe autour de vrais talents. Ce groupe partageait  les mêmes expériences en club et affichait sa joie de vivre dans un jeu technique. Malgré le fait qu’on préférait poursuivre nos formations académiques, plutôt que de nous engager dans une carrière professionnelle, notre équipe pouvait regarder dans les yeux n’importe quelle sélection africaine. Sans oublier que la perte de Doudou Diongue, l’un des meilleurs attaquants, sur blessure, lors du premier match,  conjugué à la non-sélection de Matar Niang, le meilleur meneur de jeu africain, pour un problème de comportement et au départ de  Demba Thioye pour la France à quelques jours du tournoi, nous a largement handicapés lors du tournoi.

‘’Il nous a fallu un match d’appui contre le Syli’’

On a obtenu notre billet pour la Can à l’issue d’un match de barrage contre le Syli  national de Guinée, l’une des plus talentueuses équipes d’Afrique. Lorsque ma convocation était arrivée, je suivais des cours d’informatique à  Annecy, en Haute Savoie. De là, j’ai rejoint l’équipe nationale en partance pour Conakry. Après la défaite (3-0) à l’aller, on s’est imposé (4-1) au retour à Dakar. A égalité sur l’ensemble des deux matches, il nous fallait un  match d’appui pour nous départager. Ce match d’appui qui devait se jouer en Gambie, se jouera  finalement au Sénégal, avec à la clé une victoire (2-1)  contre le Sily national qui assure notre ticket pour la Can en Éthiopie.

‘‘Lamine Diack a dû taper du poing sur la table’’

Lamine Diack a dû taper du poing sur la table pour qu’on puisse disposer d’équipements sportifs dignes de ce nom, lors de notre stage de préparation à l’École Nationale d’Administration (ENA). Les primes ne dépassaient pas 25000 F Cfa. Mais, durant toute ma carrière au sein de l’équipe nationale. C’est cet esprit qui a prévalu. Car, pour nous, le sport était seulement une passion, un amusement. Même si la préparation ne s’est pas déroulée dans le meilleur des mondes, on  était motivés à ramener la coupe au Sénégal.

 ‘’Cet échec nous a permis  de voir l’énorme fossé entre le monde amateur et celui des professionnels’’

Certes, on avait une équipe talentueuse qui a perdu la qualification par pure malchance.  Mais, cet échec nous a permis de voir l’énorme fossé qui existe entre le monde amateur et celui professionnel. Car, malgré l’expérience de Tunis 1965, Nous demeurions toujours des amateurs. La notion de maîtrise du match nous était totalement inconnue ; Ce qui à mon avis est la grande différence entre la génération des Lions de 2002 et la nôtre. Du point de vue du talent pur, je pense qu’on n’avait rien à leur envier, mais ils avaient ce plus qui fait la différence dans les grandes compétitions.’’ 

Par Mamadou Makhfouse Ngom

 
Section: