Publié le 23 Mar 2020 - 22:44
TRANSFERT-RÉCEPTION D’ARGENT FACE À LA COVID-19

Les agences dans le creux de la vague

 

Le montant des transferts des émigrés à destination du Sénégal représentait 936 milliards, en 2011, dont 48,4 % provenaient d’Italie et de France (données ANSD 2019). Ces transferts sont, à cet effet, d’une importance capitale pour l’économie sénégalaise. Plusieurs activités périphériques sont nées de ce flux monétaire, au rang desquelles les transferts et envois d’argent. Depuis l’apparition du coronavirus, et surtout du confinement de mise, les envois à destination du Sénégal et le travail périphérique qui en dépend sont au ralenti.

 

Si le niveau de fréquentation est le baromètre quant à la bonne santé des institutions financières, de microfinances et des simples structures de transfert et de réception d’argent, la désertion des lieux montre une épidémie qui les touche toutes et qui risque de leur laisser des séquelles. Route de Rufisque, plus précisément au célèbre rond-point ‘’Jouti-ba’’, au km 25. D’un côté, le foirail et ses éleveurs et bêtes : moutons et chèvres ; les vendeuses de fruits aux bords des arrêts ; les voitures ‘’clandos’’ qui font des courses sur différentes localités périphériques.

De l’autre côté de la route, des bus en direction des localités intérieures du pays à l’arrêt et recherchant des clients, des cars ‘’Ndiaga Ndiaye’’, des bus Tata à la file, des calèches, tout y passe. La pollution atmosphérique est forte, avec les émanations des voitures. En plus, il y a la nuisance sonore, avec les musiques de différents genres : religieux, urbain, à la sauce locale…, diffusées par les baffles des magasins en plus des klaxons réguliers. Un véritable capharnaüm dans un tintamarre très gênant.

L’endroit se singularise aussi par la densité des services d’envoi et de réception d’argent. La forte activité notée aux alentours n’est sans doute pas étrangère à ces implantations stratégiques. Banques de premier et de second rang, systèmes financiers décentralisés, structures d’envoi et de réception d’argent, tous sont présents. Tous affichent les services offerts : Ria, MoneyGram, Western Union. Au bas de la hiérarchie précitée, des structures dénommées EMS et ‘’Mbaye & Frères’’. À l’intérieur d’elles, c’est le calme plat. À l’établissement EMS, même si les caissiers sont à leur poste, ils semblent se tourner les pouces avec la clientèle qui se fait rare. Chez ‘’Mbaye & Frères’’, par contre, seule une caissière est notée dans la boutique qui ne laisse filtrer aucun bruit provenant du dehors. L’ambiance interne tranche du branle-bas extérieur.

Dans le local peint en vert, 3 box sont pourtant visibles. Un espace client est aménagé. Le décor est complété par des produits électroménagers empaquetés. La maîtresse des lieux, Fatou Guèye, est habillée d’une combinaison grise bariolée de motifs, qui va de sa tête à ses pieds et qui ne laisse apparaître que la face de son visage. Elle est trouvée en train de faire ses comptes. Liasses de billets sur ses jambes, cahier en main, elle inscrit des chiffres sur son relevé de compte. La voilée se confie sans détours sur la situation des transferts internationaux enregistrés dans la structure où elle officie. ‘’Les opérations de transfert que nous faisons sont en baisse. Pour les transferts internationaux, avant le contexte du coronavirus, nous pouvions en faire une quarantaine. Mais, actuellement, il nous est difficile d’en enregistrer 10’’.

Une autre conséquence de la Covid-19 notée depuis le confinement décrété dans certains pays, c’est des problèmes de réception des envois depuis le Sénégal pour les destinataires en Europe. Elle ajoute : ‘’De nombreuses annulations de transactions sont enregistrées, de ce fait.’’ L’incidence sur leur travail est la baisse drastique des commissions qu’ils glanaient et, ce, depuis un mois. ‘’Si cette situation perdure, qu’on ouvre et qu’on enregistre peu d’envois et de retraits, on va devoir fermer boutique et aller au chômage’’, conclut-elle amère.

Dans le département de Dakar, plus précisément à Colobane, nous sommes dans une structure bancaire dont la couleur est le vert foncé. À la Bank of Africa, les volets ne laissent transparaître aucun détail de l’intérieur. L’entrée de la banque est gardée par un vigile bardé d’une tenue et armée d’un gel hydro-alcoolisé qu’il distille à tout arrivant, avant qu’il ne puisse prendre place. L’intérieur assez sombre est rendu plus morose par l’absence d’une clientèle. On n’aperçoit que des travailleuses à travers des portes entrouvertes. Ici, c’est silence et bouche cousue sur les activités. On nous réfère à la hiérarchie, au siège de ladite banque, aux Almadies. Trois cents mètres plus loin, sur l’avenue Cheikh Ahmadou Bamba, à équidistance de la mosquée Massilikul Jinan et du siège du Parti socialiste, une institution bancaire, la CBAO, visible au rez-de-chaussée d’une bâtisse blanche, avec sa plaque informative au logo, aux couleurs jaune et orange. L’accueil est le même qu’à la Bank of Africa avec un aseptisant proposé. La réponse à nos sollicitations à la chef d’agence sur la situation des activités est restée sans suite. ‘’Il faut aller au sommet de la pyramide’’. Comprenez au siège de la banque sise à la place de l’Indépendance.

Les opérations de transferts internationaux d’argent ont sensiblement baissé

Dans les ruelles de Colobane toujours animées, le marchandage entre vendeurs et clients, le défilé continu des foules, les embouteillages sur la route, les propositions de produits des vendeurs ambulants, etc. À l’intérieur du quartier, au détour d’une de ces ruelles menant à la place de la Nation, une atmosphère différente est remarquée au sein d’une petite structure de transfert-réception d’argent, entourée de dépôts de friperie. Le gérant en chef de la structure, le sourire presque forcé, témoigne d’une baisse d’activités importante. L’homme à la taille moyenne, aux cheveux crépus et d’un teint noir ébène discute avec un camarade d’infortune dans le local. Les deux individus sont visibles à travers l’orifice pour les échanges de bons procédés.

C’est le siège d’une importante activité économique qui connaît, ces derniers temps, une baisse de 50 % des activités, témoigne un travailleur. La particularité de l’agence réside dans le fait qu’elle enregistre plus de retraits que d’envois, et ce, en provenance de tous les pays, en particulier de ceux de la sous-région, notamment la Guinée-Bissau, dixit le gérant en chef. ‘’Pas moins de 1 million était journellement à notre disposition pour répondre aux demandes de retrait des clients. Actuellement, leurs demandes ne dépassent pas 500 000 F CFA’’, se désole-t-il, la mine dépitée. Le gérant, par conséquent, note un effet notable sur leur chiffre d’affaires.

Toujours dans la même commune, il y a la Banque islamique de Fass, non loin du canal 4. Un dispositif d’entrée pareil qu’aux autres banques est en place. L’agence est un peu plus animée que les précédentes visitées. Le responsable d’agence s’exprime sur l’impact du coronavirus sur l’agence en question. Il énonce l’hypothèse d’une période creuse en milieu de mois pour expliquer le faible rush remarqué. Il note quand même des transactions dans les Gab, toujours importantes. Mais, reconnait-il, les opérations de transferts internationaux d’argent ont sensiblement baissé. Gana Faye parle approximativement d’une dizaine, voire d’une quinzaine d’opérations de ce type avant la crise, contre deux en moyenne, ces derniers temps. La réponse par rapport à la question sur les conséquences éventuelles qu’il donne sonne comme une lapalissade : ‘’Cela pourrait avoir des répercussions sur les activités bancaires’’, avance-t-il prudemment, les chiffres d’affaires exacts générés par la banque étant détenus par la comptabilité générale, dit-il.

Par contre, le quadragénaire, qui porte une tenue traditionnelle sénégalaise, reconnaît que c’est une part importante du PNB. Il parle de sommes pouvant avoisiner ou atteindre le milliard, pour les plus grandes institutions bancaires.

À la Société générale Sénégal, ex-SGBS, établie au Point E aussi, le préposé à la sécurité a assimilé le réflexe de proposition de désinfectant, une forte exhalaison de menthe se dégage du produit vaporisé sur les mains des clients. Jamais 2 sans 3 dit l’adage, une fin de non-recevoir nous est servie au motif que parler de l’état des activités est du ressort du service de la communication.

‘’Ces derniers jours, on note plutôt des envois locaux vers les pays touchés par le confinement’’

Dans une agence Attijariwafa, une dame en grand boubou mauve assorti à son foulard, des lunettes transparentes aux branches dorées et une écharpe rouge enroulée autour du cou, qui a préféré taire son nom, accepte enfin de lever un coin du voile. Elle révèle un détail, dans notre quête de l’information. Une des données amenées par la pandémie actuelle et la situation de confinement est une inversion de la tendance habituelle sur les transactions qu’elle explique : ‘’D’habitude, ce sont les émigrés qui envoyaient de l’argent. Or, beaucoup d’entre eux sont dans le secteur de l’informel. Par conséquent, avec le confinement dû à la Covid-19, ils n’ont plus les moyens de travailler. De ce fait, ces derniers jours, on note plutôt des envois locaux vers les pays touchés par le confinement.’’

Aux allées Seydou Nourou Tall, dans une grande bâtisse aux volets gris, se trouve la Direction générale de Ria. La structure spécialisée dans les transferts, malheureusement, a cessé le travail en présentiel. Seule la sécurité est sur les lieux. La raison est simple, suivant la note affichée à l’entrée du siège national de Ria : ‘’Fermeture bureaux pour cause de confinement Covid-19.’’ Une fermeture jusqu’à nouvel ordre. Mais la structure, toujours joignable par mail et par téléphone, a enregistré notre requête, introduite dans le circuit. Mais jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, nous n’avons pas encore reçu de réponse de la direction générale et de son service comptable qui, seuls, disposent des statistiques de la boîte.

Mesurer les difficultés rencontrées par les structures de transfert d’argent, à cause du confinement en vigueur dans plusieurs pays en Europe, est très difficile, à ce stade. Aucune donnée chiffrée n’est, pour le moment, disponible. Mais, d’ores et déjà, autant les banques que les institutions de microfinance, les simples structures de transfert notent toutes un recul des démarches allant dans le sens de retirer ou d’envoyer de l’argent. Elles craignent une baisse continue des émoluments tirés de ces prestations. Et surtout, les agences qui ne font que cette activité redoutent un dépôt de bilan qui menace de nombreux emplois actuellement et à terme.

 

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