Publié le 8 Nov 2024 - 14:07
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

La 15e législature entre attentes populaires et volonté de changement

 

La 15e législature s’apprête à entrer en fonction et les attentes des citoyens se font pressantes, notamment sur des sujets comme la transhumance politique et l’épineuse loi d’amnistie. Alors que l’héritage législatif pèse de tout son poids, la question demeure : les nouveaux députés seront-ils capables de rompre avec les pratiques du passé et de répondre aux aspirations d’un peuple lassé des promesses non tenues ?

 

Depuis près de deux semaines, les candidats aux Législatives du 17 novembre 2024 sont en campagne électorale, multipliant les meetings et affrontements verbaux. Mais là où l’on pourrait s’attendre à des débats de fond sur les réformes nécessaires pour répondre aux attentes des citoyens, les discussions se transforment souvent en querelles et attaques personnelles. Les projets de loi, pourtant cruciaux pour l’avenir du pays, sont rarement abordés. Dans ce contexte, l’impatience des électeurs grandit, surtout face aux attentes exprimées pour des textes qui pourraient transformer leur quotidien.

Alors que la 15e législature se prépare à s’installer, de nombreux militants et citoyens aspirent à des lois capables de marquer un tournant décisif. Yoro Ndao, militant du parti Pastef, figure parmi ces voix qui se font entendre. Il milite ardemment pour l’adoption d’une loi contre la transhumance politique, qu’il qualifie de fléau ‘’amoral’’ et en totale rupture avec les attentes des électeurs. Ce phénomène, qui voit des hommes politiques changer de camp pour des avantages personnels, a souvent été critiqué par le leader de Pastef Ousmane Sonko, qui promettait d’y mettre fin pour réconcilier les Sénégalais avec une politique basée sur des valeurs et des convictions.

Pour de nombreux militants, il est impératif que les députés de Pastef portent ce projet de loi à l’Assemblée afin de mettre un terme à cette pratique pernicieuse qui mine la culture démocratique et favorise la corruption.

Pour l’instant, les candidats interrogés ne semblent pas enclins à réagir face à ce phénomène.

La question est de savoir si les nouveaux députés auront la volonté de faire de la lutte contre la transhumance un enjeu législatif prioritaire ou si elle sera reléguée aux oubliettes.

L’amnistie : une loi qui divise

Un autre débat qui promet d’être explosif dans l’hémicycle est celui de la loi d’amnistie couvrant les infractions liées aux manifestations politiques entre 2021 et 2024. Pour Yoro Ndao, qui a passé sept mois en prison sans assister aux funérailles de son père, il est impératif de rétablir la justice pour les jeunes emprisonnés et de rendre des comptes aux victimes. Ce projet de loi, qui efface des délits politiques commis dans un contexte de manifestations, a permis à des leaders comme Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye de bénéficier d’une amnistie.

Mais pour Ndao et de nombreux autres Sénégalais, ce texte symbolise l’impunité.

Pourtant, Ousmane Sonko a récemment réitéré son engagement à abroger cette loi, rappelant les événements douloureux de mars 2021 et de juin 2023 qui ont endeuillé de nombreuses familles. Il dénonce les crimes de sang et l’utilisation des ressources de l’État pour réprimer des manifestants, exigeant que justice soit faite. ‘’L’amnistie ne peut pas être une couverture pour les crimes’’, martèle-t-il, soulignant que même s’il avait accepté l’amnistie pour libérer des jeunes, il n’a jamais soutenu une loi protégeant les commanditaires d’actes violents.

Un héritage législatif qui pèse

Les députés de cette nouvelle législature devront aussi composer avec un héritage législatif complexe. Parmi les lois qui continuent de marquer les esprits, figure celle du 6 février dernier, repoussant la Présidentielle du 25 février au 15 décembre 2024. Ce report, voté dans la confusion, a suscité de vives critiques, certains y voyant une manœuvre pour gagner du temps face à un climat politique tendu.

En juin 2021, trois mois après les violentes manifestations de mars provoquées par l'arrestation d'Ousmane Sonko, l'Assemblée nationale avait adopté deux projets de loi modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale. Selon les autorités, ces amendements visaient à renforcer la lutte contre le terrorisme.

Cependant, l'opposition, regroupée au sein du Mouvement pour la défense de la démocratie, avait vivement protesté, dénonçant des dispositions qu’elle trouvait liberticides. Plusieurs activistes et figures de l'opposition avaient été brièvement arrêtés, alimentant le débat sur la portée de ces modifications.

Le ministre de la Justice, Malick Sall, avait défendu ces textes devant les parlementaires, affirmant qu'ils renforçaient les outils de l'État pour combattre efficacement le terrorisme. Selon plusieurs membres de la société civile et de l’opposition, ces lois rendaient les dirigeants d’association, de syndicat ou de parti politique pénalement responsables des ‘’délits commis’’ par leurs organisations, menaçant le droit d’association. Dans le cas où une organisation serait reconnue coupable, ces lois autorisent la confiscation des biens des dirigeants et de l’organisation. Les textes conféraient également des pouvoirs supplémentaires aux responsables de l’application des lois pour effectuer la surveillance d’un suspect de terrorisme sans demander l’autorisation d’un juge.

La ‘’loi Sada Ndiaye’’, adoptée en 2008, reste un autre exemple emblématique. Conçue pour écourter le mandat de Macky Sall, alors président de l’Assemblée nationale, elle visait à sanctionner son enquête sur Karim Wade, fils du président Abdoulaye Wade, impliqué dans des affaires de corruption présumée. Cette loi scélérate, comme l’avait qualifiée Moustapha Diakhaté, symbolise la manipulation des institutions pour des règlements de comptes politiques.

En février 2005, le président Abdoulaye Wade avait également promulgué la loi Ezzan, une amnistie politique offrant l’impunité pour des crimes liés aux élections de 1993 à 2004. Ce texte a souvent été pointé du doigt comme un exemple flagrant de protection des puissants au détriment des victimes.

L’idée d’amnistier des délits graves continue de diviser l’opinion et son abrogation reste un sujet de débat récurrent.

Réformer ou consolider ?

L’Assemblée nationale est appelée à trancher sur des questions sensibles : faut-il abroger des lois controversées pour restaurer la justice et l’équité ou les maintenir pour préserver la paix sociale ? Certains élus plaident pour le caractère consensuel de la loi d’amnistie, qui a contribué à apaiser l’espace public. Mais d’autres estiment qu’il est impératif de réparer les injustices et de rétablir la vérité.

Au-delà de ces sujets polémiques, d’autres réformes sont attendues, notamment dans le domaine de la transparence de la vie publique, la lutte contre la corruption et l’adoption de mesures favorisant un développement plus inclusif. Une loi sur l'immigration et une réglementation plus stricte des banques sont également des revendications populaires, traduisant le désir d'une politique plus alignée sur les préoccupations concrètes des citoyens. Mais pour que ces réformes voient le jour, il faudra bien plus que des discours. Les électeurs, las des promesses non tenues et des débats stériles, réclament des actions concrètes et des lois qui répondent à leurs préoccupations quotidiennes.

Cette 15e législature sera-t-elle à la hauteur des attentes ou sombrera-t-elle dans les mêmes travers que ses prédécesseurs ? Le destin des nouvelles lois est désormais entre les mains des députés qui devront prouver que la politique peut encore être un levier de transformation pour le Sénégal.

Pour rappel, Idrissa Seck et Souleymane Ndéné Ndiaye, tous deux anciens Premiers ministres, ont été autrefois de fervents opposants à la transhumance politique. L’ancien maire de Thiès avait même envisagé de faire adopter une loi pour interdire cette pratique. Quant à Souleymane Ndéné Ndiaye, il était allé jusqu’à proposer de ‘’fusiller les transhumants’’, un signe de sa volonté radicale de lutter contre ce fléau. Ironiquement, les deux figures politiques ont fini par rejoindre Macky Sall, illustrant la difficulté de combattre cette pratique ancrée dans le paysage politique sénégalais.

Seul un retour aux idéologies fortes et une éthique politique véritable pourraient espérer changer la donne, quelles que soient les lois votées à l’hémicycle.

AMADOU CAMARA GUEYE

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